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Un audit révèle 132 œuvres autochtones perdues par le centre chargé de les préserver

La collection est évaluée à environ 14,4 millions $.

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Rebecca Alty, ministre des Relations Couronne-Autochtones, prend la parole à l'Assemblée générale annuelle de l'Assemblée des Premières Nations à Winnipeg, le mercredi 3 septembre 2025. Rebecca Alty, ministre des Relations Couronne-Autochtones, prend la parole à l'Assemblée générale annuelle de l'Assemblée des Premières Nations à Winnipeg, le mercredi 3 septembre 2025. (John Woods/La Presse canadienne)

Le gouvernement fédéral a perdu la trace de plus de 130 œuvres d'art autochtones et risque de perdre la confiance des artistes issus des Premières Nations s'il ne prend pas mieux soin de sa collection, selon un audit interne réalisé l'année dernière.

Le rapport, daté de novembre 2024, a été publié plus tôt ce mois-ci sur le site internet de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada. Il a suivi les activités du Centre d'art autochtone du ministère du 1er avril 2019 au 31 août 2024.

L'audit a révélé que la collection du Centre d'art autochtone, créée par le gouvernement fédéral en 1965 pour protéger, préserver et promouvoir l'art autochtone, comprend plus de 5000 œuvres d'artistes des Premières Nations, Métis et Inuits.

La collection est évaluée à environ 14,4 millions $. L'audit ne précise pas la valeur des œuvres égarées, mais indique «qu'il s'agit notamment d'œuvres dont le dernier emplacement est connu, mais qu'on n'arrive pas à trouver».

Lori Beavis est coprésidente du Collectif des commissaires autochtones et directrice générale de Daphné, un organisme sans but lucratif montréalais qui soutient les artistes autochtones. Elle a qualifié les résultats de l'audit de «troublants et peu surprenants» et a déclaré que le gouvernement fédéral devrait révéler clairement quelles œuvres d'art il a égarées.

Elle a indiqué avoir entendu des rumeurs dans le monde de l'art concernant les tentatives passées du Centre des arts autochtones pour retrouver des œuvres disparues.

«Ces histoires sont toujours un peu amusantes, avec toutes ces recherches, et tout ça, a expliqué Mme Beavis. On peut comprendre comment ils peuvent perdre la trace (d'œuvres d'art), et je ne pense pas que ce soit non plus une nouveauté.»

 

Dans un communiqué, une porte-parole de la ministre des Relations Couronne-Autochtones, Rebecca Alty, a expliqué que la majorité des œuvres disparues avaient été prêtées à des bureaux gouvernementaux dans les années 1980 à des fins d'exposition.

«Dans plusieurs cas, des doublons ont été découverts et certaines œuvres d'art ont depuis été retrouvées. Il a également été déterminé que bon nombre des objets identifiés comme manquants étaient des reproductions, et non des œuvres originales», a expliqué Alec Wilson.

Il n'a pas précisé combien étaient des reproductions, quelles œuvres étaient manquantes et combien avaient été retrouvées.

«Maintenir la confiance avec les artistes et les communautés autochtones exige les plus hauts standards de soin et de gestion. C'est pourquoi le ministère a accepté toutes les recommandations de l'auditeur et a mis en œuvre des mesures supplémentaires pour améliorer la tenue des dossiers et les pratiques de gestion des collections», a-t-il ajouté.

Exposition à des «risques majeurs» 

Le Centre d'art autochtone a commencé en 2022 à transférer sa collection vers des installations d'entreposage temporaires du secteur privé, pendant la rénovation de l'ancien site.

L'audit a révélé que la collection était exposée à des «risques majeurs» pour sa sécurité pendant et après le déménagement et a mis en garde contre un «risque accru de vol et d'atteintes à la sécurité».

«La mauvaise gestion des œuvres d'art d'importance culturelle conservées dans la collection représente un risque pour la réputation du Ministère et pourrait nuire aux relations du ministère avec les intervenants autochtones», indique l'audit.

L'audit indique que, parmi les 132 œuvres égarées, un nombre indéterminé n'a pas été retrouvé, même si le Ministère dispose d'une liste de leurs derniers emplacements connus.

«Des instruments de politique à jour, assortis de rôles et de responsabilités clairs pour la mise en œuvre des exigences de protection, de préservation et de promotion de la collection, sont essentiels pour garantir que le Ministère remplisse son mandat de supervision du développement et de l'entretien de l'art autochtone dont il a la garde», indique l'audit.

«Le non-respect d'exigences clés peut miner la confiance que lui accordent les artistes autochtones et nuire au statut de la collection dans le cadre du Programme des biens culturels mobiliers (Patrimoine canadien)», ajoute l'audit.

Le rapport d'audit recommande au Ministère de mieux tenir ses dossiers et d'améliorer les processus de suivi et de supervision pour les employés chargés de la gestion de la collection.

Le député conservateur Jamie Schmale, porte-parole de son parti en matière de relations Couronne-Autochtones, s'est dit choqué par la lecture du rapport de vérification et par la possibilité que tant d'œuvres d'art aient disparu.

«Ils semblaient abasourdis par la disparition de certaines œuvres, a expliqué M. Schmale lors d'une entrevue avec La Presse canadienne. Ils continuent d'acheter des œuvres d'art, mais ne savent pas vraiment si elles restent. Et c'est très important, car ils achètent des pièces potentiellement historiques de la culture et du patrimoine autochtones. Nous devrions leur accorder le respect qu'elles méritent.»

Il a expliqué trouver «inhabituel» le manque apparent de sécurité dans les installations abritant les œuvres d'art, et que le même traitement ne serait pas accordé aux œuvres d'artistes non autochtones.

«Je suis certain que, si une œuvre d'art du Groupe des Sept était exposée dans un bureau gouvernemental, certaines personnes sauraient où elle se trouve et s'attendraient à ce qu'elle leur soit restituée à un moment donné», a-t-il ajouté.

Il a expliqué espérer que Mme Alty témoignera devant le Comité des affaires autochtones de la Chambre des communes pour expliquer la situation, et qu'en cas de vol, les responsables en soient tenus responsables.

Le bureau de Mme Alty a déclaré que les œuvres sont considérées comme manquantes, et non volées, et qu'il n'existe aucune preuve d'acte répréhensible.

Mme Beavis a déclaré que l'acquisition d'une œuvre pour le Centre d'art autochtone est un vote de confiance et qu'il est décourageant de penser que certaines œuvres pourraient être définitivement perdues.

«C'est une collection connue dans le monde entier, a-t-elle dit. C'est une collection unique au Canada.»

Alessia Passafiume

Alessia Passafiume

Journaliste