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Il leur est recommandé «de veiller à ce que les décisions publiées soient dans les deux langues officielles», et ce, d’ici 18 mois.
La Cour suprême pourrait devoir se défendre devant un tribunal inférieur, en l’occurrence la Cour fédérale, si elle persiste à ne pas vouloir traduire en français l’ensemble des milliers de décisions qu’elle a rendues avant l’adoption de la Loi sur les langues officielles.
Dans un rapport d’enquête rendu public lundi, le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, recommande au plus haut tribunal du pays «de veiller à ce que les décisions publiées sur le site web de la Cour suprême du Canada soient dans les deux langues officielles», et ce, d’ici 18 mois.
Le plaignant dans ce dossier, l’organisme Droits collectifs Québec (DCQ), menace maintenant de traîner la Cour suprême devant la Cour fédérale dans les 60 jours si elle ne pose pas d’ici un mois des gestes démontrant qu’elle ira de l’avant avec les traductions.
Fort d’une motion adoptée à l'unanimité par l’Assemblée nationale en novembre 2023, DCQ avait porté plainte contre la Cour suprême relativement aux quelque 6000 décisions rendues de 1877 à 1969 publiées dans le «Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada». À l’époque, ces décisions étaient publiées dans une seule langue officielle, à savoir la langue dans laquelle l’audience s’était déroulée.
Selon DCQ, la «très grande majorité» des décisions préalables à 1970 et disponibles sur son site web sont en anglais seulement.
Or, la Loi sur les langues officielles de 1969 a établi l’obligation pour la Cour suprême de publier ses décisions dans les deux langues officielles dans certaines circonstances. C’est d’ailleurs ce qu’a fait la Cour suprême à partir de 1970.
La Cour suprême avait toutefois plaidé devant le Commissaire que même si la Loi l’oblige à rendre ses décisions dans les deux langues, elle n’est pas rétroactive à son adoption. Le commissaire Théberge est tout à fait d’accord avec cet argument, mais il conclut qu’il en va tout autrement quand vient le temps de mettre ces décisions en ligne.
La Loi, rappelle-t-il, oblige l’usage des deux langues dans les communications administratives des institutions fédérales avec le public. Ainsi, écrit-il, «l’acte de publier ces décisions est de nature administrative. Les faits établis dans le cadre de cette enquête ont révélé que la mise en ligne de décisions historiques ne fait ni partie de l’action judiciaire consistant à rendre une décision ni du continuum judiciaire consistant à rendre une décision».
En d’autres termes, même si la Cour n’avait pas à rendre ses décisions dans les deux langues avant 1969, «l’action administrative subséquente de la Cour suprême consistant à publier ces mêmes décisions, dans ce cas sur son propre site web, est ce qui déclenche l’application de la partie IV de la Loi».
Le Commissaire rejette du même coup l’argument de la Cour suprême voulant que la Loi ne s’applique qu’à la plateforme, qui est bilingue, mais pas à son contenu. La Loi, dit-il, «ne fait pas de distinction entre le contenu des services et des communications et la façon d’accéder à ces mêmes services et communications».
Il conclut donc que «toutes les décisions que la Cour suprême publie sur son site web devraient être dans les deux langues officielles puisque cette offre en ligne constitue une communication au public faite par une institution fédérale».
M. Théberge prend tout de même soin de souligner «que, depuis 1970, la Cour suprême a été, parmi les tribunaux fédéraux, exemplaire en publiant simultanément ses décisions dans les deux langues officielles». Il reconnaît également qu’une telle démarche de traduction présente des «difficultés», mais il réitère que la Loi «ne prévoit aucune exception pour l’affichage d’informations historiques».
Dans un communiqué publié mercredi, DCQ avertit donc qu’à moins que la Cour suprême se mette à la tâche, des procédures seront initiées devant la Cour fédérale «afin que la LLO (Loi sur les langues officielles) soit respectée» par la Cour suprême.
DCQ déplore que le juge en chef, Richard Wagner, ait invoqué un manque de ressources humaines et financières pour aller de l’avant et lui reproche de minimiser l’importance de ce corpus juridique en le qualifiant de «patrimoine culturel juridique rendu obsolète par l’évolution du droit québécois et canadien».
DCQ rappeler au passage qu’Ottawa a débloqué «9,6 millions de dollars sur trois ans, à compter de 2024-2025, au Service administratif des tribunaux judiciaires afin d’accroître sa capacité à fournir les décisions traduites des tribunaux fédéraux».
L’organisme s’élève par ailleurs contre la possibilité évoquée par le juge Wagner d’utiliser l’intelligence artificielle, affirmant que «l’IA ne saurait remplacer le traducteur ou la traductrice juriste, qui connaît les subtilités de la loi».
DCQ souligne l’ironie de la situation, rappelant que, dans une décision rendue en 1985, la Cour suprême avait elle-même obligé le Manitoba à traduire l’ensemble de ses lois depuis 1867, peu importe les ressources nécessaires pour répondre à un tel ordre de la Cour. «Pourquoi en serait-il autrement pour la CSC elle-même?», s’interroge-t-on.