Environnement

Suspension de la communication obligatoire d’information liée au climat: et après?

«Le monde est en feu dans bien des cas. La situation est plus aiguë et plus urgente que jamais.»

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6f86009ad1f6a2059f35d2852eb783a928c3508537dd6f9e7f8ab5c095918b11.jpg Une torche éclaire le ciel au-dessus de la raffinerie d’Edmonton, en Alberta, le vendredi 28 décembre 2018. LA PRESSE CANADIENNE/Jason Franson

À l’avenir, connaître les émissions de carbone d’une entreprise ne sera peut-être pas plus difficile que de connaître le nombre de calories d’une barre chocolatée, mais ce jour semble plus lointain qu’il y a quelques mois.

L’année dernière a été marquée par des avancées majeures vers une meilleure transparence climatique des entreprises: un régulateur américain l’a exigée, le gouvernement Trudeau s’est engagé à aller plus loin et un groupe de travail canadien a publié des lignes directrices sur la forme que devraient prendre ces informations.

Mais l’élection du président américain Donald Trump a changé la donne.

Depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, la Commission des valeurs mobilières des États-Unis a effectivement abandonné son exigence de divulgation fin mars, ce qui a conduit les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) à abandonner leurs propres projets quelques semaines plus tard.

Ces mesures interviennent malgré les impacts croissants des changements climatiques, ce qui rend d’autant plus important que les entreprises soient tenues de publier leurs données sur les émissions, ainsi que d’indiquer les risques auxquels elles sont exposées face à la crise et la manière dont elles prévoient les gérer, selon Pamela Steer, présidente et chef de la direction de Comptables professionnels agréés du Canada.

«Le monde est en feu dans bien des cas, souligne-t-elle. La situation est plus aiguë et plus urgente que jamais.»

La décision des ACVM de ne pas exiger de divulgation est «extrêmement décevante», ajoute-t-elle, d’autant plus que des dizaines d’autres pays, dont l’Australie, l’Union européenne et même le Mexique, voisin des États-Unis, vont de l’avant avec cette exigence.

Difficultés à l'international

Les attentes croissantes en matière d’information rendront plus difficile pour les entreprises de lever des fonds à l’international sans ces règles, d’autant plus que le Canada cherche à diversifier ses activités hors des États-Unis, rappelle Mme Steer.

À l’heure actuelle, certaines entreprises publient un fouillis de données et d’analyses alors que d'autres n'en publient pas, ce qui complique la prise de décisions éclairées par les investisseurs, selon elle. 

«Il y a de nombreux risques et occasions à divulguer, et les investisseurs exigent cette information, tout comme les entreprises, qui réclament des conditions de concurrence équitables.»

De nombreuses entreprises sont toutefois moins ouvertes sur le climat en général, compte tenu de l’hostilité de l’administration Trump à ces initiatives, avec, par exemple, le retrait des grandes banques canadiennes de l’alliance bancaire Net-Zero. La montée des inquiétudes économiques a également incité les entreprises à réduire leurs dépenses là où elles le peuvent.

Les récentes règles anti-écoblanchiment du Bureau de la concurrence ont accentué la pression, rendant d’autant plus importante la mise en place de normes claires, soutient Mme Steer.

Ces règles, qui obligent les entreprises à justifier leurs déclarations environnementales sous peine de sanctions potentiellement lourdes, ont conduit nombre d’entre elles à se montrer encore plus silencieuses au sujet des changements climatiques. Selon Mme Steer, il est important de demander aux entreprises de rendre des comptes sur leurs déclarations, mais elles ont besoin d’un peu de répit alors que de nouvelles normes d’information sont en cours d’élaboration.

«Il est essentiel de disposer d’une sphère de sécurité, d’un commentaire et de lignes directrices plus pragmatiques.»

Le Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité (CCNID) a été créé spécifiquement pour adapter les normes internationales au contexte canadien. Il a publié en décembre des lignes directrices prévoyant plusieurs années supplémentaires de délai pour que les entreprises puissent rendre compte de certaines mesures.

Dix des plus importants fonds de pension publics du Canada, représentant plus de 2200 milliards $ d’actifs sous gestion, ont exprimé leur soutien aux lignes directrices proposées.

«L’alignement sur une base de référence mondiale est important pour la compétitivité des entreprises canadiennes sur les marchés financiers mondiaux», a déclaré le groupe de pensions publiques, bien que le fonds de pension de l’Alberta ait été remarquablement absent, malgré son approbation du principe moins de deux ans plus tôt.

Les autorités provinciales en valeurs mobilières devaient prendre ces lignes directrices en compte et les rendre obligatoires, mais les ACVM ont plutôt annoncé le 23 avril qu’elles suspendaient leurs travaux pour une durée indéterminée.

Le président des ACVM, Stan Magidson, qui est également président-directeur général de la Commission des valeurs mobilières de l’Alberta, a déclaré dans un communiqué que l’organisme de réglementation s’efforçait de rendre les marchés canadiens plus compétitifs, plus efficaces et plus résilients.

Les travaux sur la divulgation des données climatiques seront réexaminés dans les années à venir, ont indiqué les ACVM.

Pour la compétitivité

Mais, comme l’ont souligné les caisses de retraite, les efforts de divulgation contribuent à maintenir la compétitivité, selon Wendy Berman, présidente du CCNID.

«Il y aura beaucoup de mouvements de capitaux au cours des dix prochaines années, avec la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, et nous ne voulons certainement pas que le Canada rate cette occasion», soutient-elle.

«Nous commençons à observer un changement mondial majeur, ajoute Mme Berman. Serait-il préférable que les États-Unis suivent le mouvement du reste du monde? Bien sûr. Mais cela ne devrait pas freiner les entreprises canadiennes.»

Le Canada et les États-Unis ont tous deux reculé en matière de divulgation, même si les règles constituaient le «strict minimum» pour aider les investisseurs, selon Gary Gensler, alors président de la Commission des valeurs mobilières des États-Unis lorsqu’elle les a adoptées l’année dernière.

En mettant fin à ces exigences, le président par intérim actuel, Mark Uyeda, les a qualifiées de «règles de divulgation des changements climatiques coûteuses et inutilement intrusives». 

Alors que les organismes de réglementation américains et canadiens abandonnent leurs efforts, il est difficile de savoir dans quelle mesure le premier ministre Mark Carney pourra tenir sa promesse électorale d’instaurer une divulgation générale des risques climatiques pour les entreprises canadiennes, ou donner suite à la promesse de Justin Trudeau d’imposer la divulgation aux grandes sociétés privées constituées en vertu d’une loi fédérale.

Le ministère des Finances a répondu que le Cabinet n’ayant prêté serment que la semaine dernière, le gouvernement aura davantage à dire en temps voulu.

Mais, même si des débats très médiatisés font rage sur la divulgation plus large des risques, les règles établies en 2023 par l’organisme de réglementation bancaire canadien contribuent à fournir un filet de sécurité.

Les règles qui sont entrées en vigueur cette année au Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) concordent largement avec les recommandations du CCNID: exiger des banques qu’elles rendent compte de l’impact potentiel des changements climatiques sur leurs finances, ainsi que de leurs propres contributions aux émissions.

Compte tenu de leur envergure et de leur implication dans de nombreuses autres entreprises, les exigences de déclaration devraient contribuer à exercer une pression et à ouvrir la voie à d’autres, selon Mme Berman. 

«Lorsque le BSIF l’approuve et que les banques doivent désormais s’y conformer, cela crée un élan», affirme-t-elle.

Cet élan pourrait contribuer à faire de la divulgation d’informations climatiques un élément incontournable de l’évaluation de la santé d’une entreprise, tout comme les règles d’étiquetage des aliments, il y a quelques décennies, ont rendu difficile d’imaginer une barre de chocolat sans la mention des calories, des matières grasses et d’autres informations essentielles pour rester en bonne santé.