Le bureau du premier ministre François Legault a été informé en 2020 d'un report pour le déploiement de la plateforme SAAQclic et d'un litige avec le consortium pouvant entraîner des dépassements de coûts.
Véronik Aubry, qui a été la directrice de cabinet de l'ex-ministre des Transports François Bonnardel, de 2018 à 2021, a témoigné mercredi après-midi à la commission Gallant.
À l'issue d'une rencontre en juillet 2020 avec la PDG de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) de l'époque, Nathalie Tremblay, Mme Aubry dit avoir eu une discussion avec la conseillère politique du cabinet du premier ministre, Ariane Gauthier.
Mme Aubry dit lui avoir fait un topo sur les derniers développements en lien avec le virage numérique de la SAAQ. Le déploiement de la plateforme est retardé d'un an.
«Je me rappelle d'avoir mentionné à deux personnes le report du projet: Ariane au niveau du bureau du premier ministre. Toutefois, je l'ai rassurée au niveau des coûts que, pour l'instant, on était toujours dans le même scénario de 458 millions $», a affirmé Mme Aubry.
A-t-elle apporté la «nuance» qu'un litige est en cours entre la SAAQ et le consortium, et que cela pourrait entraîner des «incidences financières», a demandé la procureure de la commission, Mélanie Tremblay.
«Je l'ai mentionné à Mme Gauthier», a répondu Mme Aubry. Elle dit avoir aussi avisé une personne au cabinet du ministre de la Cybersécurité et du Numérique, Éric Caire, sur l'échéancier, mais elle croit avoir omis d'évoquer l'aspect du litige et de ses impacts financiers possibles.
M. Legault a jusqu’ici toujours plaidé l’ignorance entourant les dépassements de coûts liés au projet de modernisation informatique de la SAAQ. Ce dernier devrait coûter au moins 1,1 milliard $, soit 500 millions $ de plus que prévu, selon le Vérificateur général.
L’ex-bras droit de M. Legault au ministère du Conseil exécutif, Yves Ouellet, savait dès le 7 septembre 2022 que les coûts de SAAQclic explosaient, selon le témoignage de l'ex-PDG de la SAAQ, Denis Marsolais, à la commission Gallant, à la fin du printemps.
Mme Aubry s'est souvenue que, lors de sa rencontre avec Mme Tremblay en juillet 2020, cette dernière était confiante de respecter le budget, malgré le différend.
En octobre de la même année, Mme Tremblay a avisé Mme Aubry qu'une conclusion est intervenue dans le litige et que l'entente n'aura aucun impact financier.
Quelque mois plus tard, en 2021, Mme Aubry apprendra que la facture totale dépassera les 458 millions $, puisqu'il faut aussi calculer les dépenses engagées à l'interne par la SAAQ pour le projet.
«C'était la première fois qu'on nous annonçait qu'il y avait un autre montant, qu'il n'y avait pas juste le montant de 458. Il y avait également un montant de la contribution de la SAAQ», a relaté Mme Aubry au commissaire Denis Gallant.
«De l'information parcellaire»
Plus tôt mercredi, un ancien collègue de Mme Aubry au cabinet du ministre Bonnardel s'est vu reprocher de ne pas avoir suffisamment talonné la SAAQ, alors que le projet présentait certaines difficultés.
Le conseiller politique responsable des dossiers de la SAAQ de 2019 à 2022, Alain Généreux, a dit au cours de son témoignage être rassuré par les explications de la SAAQ à propos de l'avancement de sa transformation numérique, malgré des signaux sur les coûts, de nombreuses anomalies à corriger et le report de fonctionnalités.
Le commissaire Gallant a fait part de son incompréhension face à ce sentiment du conseiller politique, qui s'est qualifié de «picosseux».
«Votre job, c'est d'obtenir des réponses. Puis, j'ai l'impression qu'au bout de la ligne, c'est ce qui se dégage, c'est que vous vous satisfaisiez de l'information parcellaire, alors qu'il y a (...) vraiment des signaux», a-t-il souligné.
M. Généreux a soutenu que les informations fournies par la SAAQ tenaient la route à l'époque.
«Pour nous, le projet, en octobre 2022, il est au vert, même s'il y a des enjeux de ressources, même s'il y a une livraison 2.5 parce qu'on va livrer certaines fonctionnalités plus tard», a affirmé l'homme, qui travaille toujours auprès de M. Bonnardel, désormais ministre de la Sécurité publique.
M. Généreux a évoqué que les informations montaient difficilement vers le cabinet.
Dans ses recommandations, il a déclaré qu'il aurait souhaité connaître les constats des auditeurs internes de la SAAQ qui avaient levé des drapeaux dans les années avant le lancement de la plateforme SAAQclic.
Plusieurs sont venus témoigner au début des audiences publiques de la commission.
«Ce que j'ai entendu m'a choqué, parce que c'est le genre d'information qui, pour nous autres, nous permet de faire du judo et de challenger les décisions, puis de challenger la machine sur certains enjeux», a mentionné M. Généreux.
Le cabinet du ministre avait accès aux sommaires des revues d'audit de la firme Ernst & Young sur le projet. Certains de ceux présentés à la commission soulevaient aussi des préoccupations.
«Hautement problématique»
Le commissaire Gallant a aussi exprimé avoir «un sérieux problème» quant au fait que les coûts réels du projet informatique nommé CASA (Carrefour des services d'affaires) avaient été délibérément dissimulés à d'autres élus en mars 2021.
Le cabinet du ministre Bonnardel avait eu en main un document évoquant une enveloppe totale de 682 millions $. La SAAQ avait choisi de ne pas transmettre cette information aux parlementaires siégeant à la Commission de l'administration publique (CAP) de l'Assemblée nationale. Ces derniers ont plutôt eu accès à un document mentionnant un coût de 458 millions $.
M. Généreux a expliqué mercredi que l'entente entre la SAAQ et le Conseil du trésor prévoyait seulement une reddition de comptes sur le contrat avec le consortium de 458 millions $ et non sur les coûts engagés à l'interne par la société.
Il a également soutenu que le rapport annuel de gestion de la SAAQ contenait des détails sur le budget informatique de l'organisation, bien qu'il ne détaillait pas les coûts rattachés à CASA.
M. Généreux reconnaît que la société d'État aurait pu faire preuve de plus de transparence.
Le commissaire Gallant a également dit percevoir «hautement problématique» le fait que les élus siégeant à la CAP n'aient pas été informés en mai 2020 d'un report probable du déploiement de SAAQclic.
Au moment où une replanification était en cours, la SAAQ et le cabinet du ministre ont décidé de retirer cette information dans le document faisant état de la situation au 31 décembre 2019, selon un courriel exhibé en commission.
Mme Aubry a défendu ce choix. Elle a soutenu que la décision d'un nouvel échéancier n'était pas encore «campée» et que le document visait a relaté seulement des informations pour l'année 2019.

