Lorsque le premier ministre Mark Carney a dévoilé la première série de projets que le Canada souhaite accélérer, il a évoqué un autre projet qui ne figurait pas sur la liste: un nuage souverain.
«Cela permettrait de renforcer la capacité de calcul et les centres de données dont nous avons besoin pour soutenir la compétitivité du Canada, protéger notre sécurité et renforcer notre indépendance et notre souveraineté», a déclaré M. Carney jeudi.
«Cela donnera au Canada un contrôle indépendant sur la puissance de calcul avancée tout en renforçant son leadership en intelligence artificielle et en informatique quantique», a-t-il ajouté.
Mais qu’est-ce qu’un nuage souverain? La Presse canadienne a demandé à Guillaume Beaumier, professeur adjoint de science politique et d’études internationales à l’École nationale d’administration publique du Québec (ÉNAP), d’analyser le concept.
Qu’est-ce qu’un nuage souverain?
Un nuage souverain est un environnement informatique utilisé par les entreprises pour exécuter des services. Il peut être configuré pour se conformer aux lois ou aux valeurs fondamentales d’un pays spécifique.
Les nuages souverains peuvent donner aux utilisateurs un plus grand contrôle sur la résidence et la confidentialité de leurs données en permettant aux entreprises de décider où les informations sont conservées, qui peut y accéder et quelles protections juridiques y seront attachées.
Grâce à un nuage souverain, les entreprises peuvent s'assurer que les données et l'infrastructure à partir desquelles leurs services fonctionnent sont confinées à leur propre pays, empêchant ainsi l'accès depuis d'autres pays, a souligné M. Beaumier.
Pourquoi le Canada a-t-il besoin d'un nuage souverain?
Des entreprises comme Amazon et Microsoft ont déjà commencé à développer des nuages souverains, a expliqué M. Beaumier.
«Le problème, c'est que, puisqu'il s'agit d'entreprises étrangères, elles restent soumises aux lois des États-Unis», a-t-il noté.
Le Cloud Act permet au gouvernement américain de demander aux entreprises américaines ayant des bureaux ou des infrastructures à l'étranger de lui transmettre les données qu'elles détiennent à l'étranger si elles sont nécessaires à l'application de la loi.
Cette loi et d'autres pourraient mettre en péril les données canadiennes, d'autant plus que le pays est engagé dans une guerre commerciale avec son voisin du sud.
«L'objectif de l'administration canadienne actuelle est donc de développer un projet dirigé par le gouvernement ou par des entreprises canadiennes afin d'éviter ce risque», a déclaré M. Beaumier.
Que faut-il pour développer un nuage souverain?
Beaucoup d'argent.
Les nuages souverains sont coûteux, car ils nécessitent un grand nombre de puces et de serveurs capables de stocker et d'analyser les données. Ils nécessitent également des systèmes de refroidissement pour assurer leur fonctionnement même en cas de surchauffe, a indiqué M. Beaumier.
L'année dernière, Amazon a annoncé son intention d'investir l'équivalent d'environ 12,7 milliards $ dans un projet de nuage souverain en Europe.
Outre les coûts déjà évoqués, l'alimentation des nuages souverains nécessite d'énormes quantités d'électricité.
L'idée de M. Carney est-elle judicieuse?
Compte tenu de la guerre commerciale actuelle et des préoccupations croissantes concernant la confidentialité des données, M. Beaumier s'attend à ce que M. Carney bénéficie d'un large soutien pour un nuage souverain.
Cependant, il a ajouté que si le pays finissait par s'appuyer sur une ou quelques entreprises canadiennes pour le nuage, il pourrait se développer un marché «manquant de concurrence» et «nous pourrions ne pas bénéficier de meilleurs services qu'auparavant».
«L'un des problèmes du marché actuel du nuage est sa forte concentration. Seules quelques entreprises offrent ces services, a déclaré M. Beaumier. Elles peuvent alors acquérir un pouvoir de marché et tenter d'extraire davantage de revenus de leurs utilisateurs, qu'il s'agisse des gouvernements ou des entreprises.»
