Le Comité consultatif sur les changements climatiques avise le gouvernement qu'en raison de l’ampleur de la crise climatique, le Québec «ne peut pas se permettre de reculer en réaction à des circonstances conjoncturelles» et doit conserver, au minimum, la cible de réduction de 37,5 % de GES pour 2030 et devancer l'atteinte de la carboneutralité à 2045.
Ce sont deux des 11 recommandations qui figurent dans le huitième avis du Comité consultatif sur les changements climatiques remis au ministre de l’Environnement, Bernard Drainville, qui doit bientôt présenter les nouvelles cibles climatiques du Québec.
L’avis, demandé par le gouvernement Legault, comprend également la mise en place de budgets carbone quinquennaux.
Se situer «du bon côté de l’histoire»
Il y a un mois, le premier ministre François Legault avait laissé entendre que certaines mesures environnementales pourraient être mises sur la glace.
Le Québec «ne peut pas être le seul État en Amérique du Nord à faire des efforts», avait indiqué le premier ministre sur les ondes de Radio-Canada
«C’est des choses que Bernard Drainville va regarder», avait-il affirmé.
Mais la lutte au changement climatique ne doit pas être tributaire du contexte géopolitique, met en garde le comité scientifique principal qui conseille le gouvernement en matière de changements climatiques.
«Les sociétés humaines devront inévitablement réussir cette transition, la société québécoise doit continuer à avancer et progresser de façon cohérente et lucide en suivant une trajectoire crédible, ambitieuse et structurante, lui permettant de se situer du bon côté de l’histoire, de la science et de l’économie», peut-on lire dans l’avis d’une soixantaine de pages publié mardi matin.
Le document, dont le titre est «Définir l’ambition climatique du Québec: cibles et trajectoires de décarbonation», mentionne que, conformément à la Loi sur la qualité de l’environnement, «la cible de réduction des émissions pour 2030 ne doit pas être inférieure à 37,5 %» et qu’elle devrait même être revue à la hausse et qu’idéalement, elle devrait atteindre 45 % de réduction de GES d’ici 2030 par rapport au niveau de 1990.
Le comité de scientifiques nommés par le gouvernement de François Legault propose aussi «des cibles intermédiaires de réduction des émissions nettes de 60 % en 2035 et de 78 % en 2040».
Québec devrait viser la carboneutralité dès 2045 «en combinant une cible de réduction des émissions de 85 % par rapport au niveau de 1990 et une cible de séquestration permanente des émissions résiduelles équivalant à 15 %».
Trump ne doit pas dicter notre action
Le président du comité de scientifiques, Alain Webster, conçoit que ceux et celles qui aimeraient laisser aux prochaines générations un monde où le réchauffement climatique ne dépasserait pas trop le seuil 1,5 degré Celsius font face à des vents qui sont «très, très forts».
Non seulement l'administration Trump «nie les changements climatiques», mais elle détruit l'ensemble des programmes de suivis de données sur le climat.
«Ce qui se passe aux États-Unis est catastrophique», a indiqué le professeur d'économie de l'environnement, mais le mandat de l'actuel président «n'est pas éternel».
Et malgré un contexte géopolitique où certains acteurs mettent des bâtons dans les roues de l’action climatique, plusieurs États continuent la lutte, comme la Californie, partenaire du Québec dans le marché du carbone, a fait valoir le président du Comité consultatif sur les changements climatiques.
«Quand on regarde ce qui se passe à l'échelle européenne, où on souhaite ouvrir des marchés, c'est encore plus clair. L'UE a une cible de réduction de 90 % à l'horizon de 2050 et la cible de 2030, c'est 55 % de réduction des émissions», a-t-il fait remarquer lors d'une entrevue avec La Presse Canadienne.
«À l’échelle internationale, les États investissent massivement dans la transition; le dernier rapport de l'Agence internationale de l'énergie nous dit que, dans la dernière décennie, on a augmenté la production d'énergie renouvelable dans le monde de 120 %», a souligné Alain Webster.
Intégrer graduellement la séquestration du carbone
Selon la spécialiste des sols forestiers Évelyne Thiffault, l’une des membres du comité, «le secteur des terres et forêts est une source nette de GES et il ne dispose pas encore de cible de réduction, il faut remédier à cette situation. Il faut également distinguer et utiliser adéquatement la séquestration naturelle, plus temporaire, de la séquestration géologique, plus permanente, mais encore en développement».
Il faut donc prévoir l'utilisation de technologies pour séquestrer les émissions résiduelles.
Pour atteindre la carboneutralité vers 2045, le Québec devra réduire ses émissions de 85 %, selon les estimations du comité.
«Il faut se donner une cible de 15 % de séquestration. Alors, développons des technologies de captation de CO2 pour enfouir celui qu'on n'est pas capable d'éliminer complètement», a résumé Alain Webster.
Des budgets carbone quinquennaux
Les scientifiques suggèrent aussi de mettre en place «des budgets carbone et des feuilles de route sectorielles pour mieux baliser la trajectoire de décarbonation et accroître la mobilisation des parties prenantes».
En règle générale, un budget carbone définit le nombre d’émissions liées au carbone cumulé autorisées dans un certain laps de temps, par exemple sur cinq ans.
Donc, le gouvernement offrirait une feuille de route ou une trajectoire, pour indiquer les limites d’émissions de carbone que chaque grand secteur de l’économie devrait respecter.
L’avis souligne que ce type d’outil, «largement utilisé à l’international», permettrait de planifier de façon efficiente les transformations dans le transport, l’industrie, le bâtiment et l’agriculture, ainsi que dans le secteur des terres et forêts.
Le gouvernement Legault est sur le point de faire une «révision officielle» des cibles climatiques québécoises.
«Cet avis propose une vision cohérente: faire de la décarbonation et de la résilience climatique un véritable projet de société, porteur d’innovation technologique et sociale, de prospérité et d’équité. Notre intention est donc d’alimenter un dialogue ouvert et informé avec tous les acteurs de la société québécoise afin de favoriser l’adoption collective d’objectifs ambitieux balisant une trajectoire de décarbonation à la hauteur de l’urgence climatique et de l’aspiration de la société québécoise», a écrit Alain Webster, président du Comité consultatif sur les changements climatiques.
Des consultations prévues
Dans un échange de courriels, La Presse Canadienne a demandé au bureau du ministre Bernard Drainville si celui-ci avait l'intention de suivre les recommandations de l'avis du comité de scientifiques.
Le bureau du ministre a offert cette réponse: «Conformément à la Loi sur la qualité de l’environnement, des consultations sur la cible de réduction de GES débuteront dans les prochaines semaines afin d’entendre les groupes et acteurs concernés. Il s’agit d’une étape importante qui nourrira la réflexion gouvernementale et contribuera à éclairer les choix à venir. Le gouvernement analysera l’ensemble des recommandations avant de déterminer la cible finale.»

