Le gouvernement du Québec, dans le but de «mettre fin à la confusion linguistique», interdit dorénavant l'utilisation des mots émergents — des mots qui ne sont ni masculins ni féminins — tels que iel, toustes, celleux, mix ou froeur, dans toutes les communications de l'État.
Dans un communiqué publié mercredi, le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, ajoute que l'utilisation des doublets abrégés comme «l'administrateur/trice, les agent.e.s ou encore les étudiants.es» sera aussi interdite.
Québec précise que les formes de doublets abrégés acceptées selon l'Office québécois de la langue française (OQLF) sont formulées à l'aide de parenthèses ou de crochets, par exemple : «Nom du (de la) conseiller (-ère) ou Nom du [de la] conseiller [-ère]».
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«Conserver une cohérence dans les communications de l'Administration permet d'être compris par le plus grand nombre de personnes. Avec ces changements, nous ancrons solidement les bonnes pratiques au sein de l'Administration et nous nous assurons qu'elle utilise des procédés admis en français», a commenté M. Roberge.
«Le français, notre langue officielle qui nous unit collectivement, ne doit pas être dénaturé. Il doit demeurer accessible pour en faciliter sa compréhension et son apprentissage.»
Ces modifications à la Politique linguistique de l'État — fait en conformité avec les recommandations de l'Office québécois de la langue française (OQLF) — s'appliqueront notamment aux différents ministères, aux sociétés d'État (Hydro-Québec, la SAAQ, la SAQ, etc.), aux différents organismes publics (les Centres de services scolaire et les établissements de santé, entre autres) et aux municipalités.
Québec précise par ailleurs que les modifications apportées à la Politique linguistique de l'État «ne changent en aucun cas le droit des personnes non binaires d'utiliser le marqueur X dans les différents documents gouvernementaux».
Une décision «surréelle»
«La décision du gouvernement Legault est surréelle», a commenté Suzanne Zaccour par écrit à Noovo Info.
La chercheuse, formatrice, conférencière féministe et autrice du livre Grammaire pour un français inclusif avec Alexandra Dupuy et Michaël Lessard s'explique: «L’État règlemente les courriels et écrits de ses employé·es, sous prétexte que la rédaction inclusive serait confuse ou difficile à comprendre. Elle est pourtant tout à fait documentée», argumente-t-elle.
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«Un courriel peut être difficile à comprendre par manque de contexte, il peut contenir un émoticône, des fautes d’orthographe, être mal écrit… Va-t-on règlementer là-dessus? Bien sûr que non», a écrit Mme Zaccour qui estime que la décision de Québec cache un prétexte «pour augmenter les attitudes discriminatoires envers les personnes non binaires».
«La langue évolue. On ne peut pas légiférer contre ça. C’est une vérité universelle que la langue évolue selon l’usage […].»
Suzanne Zaccour croit qu’«autrefois», le Québec était chef de file en matière de rédaction inclusive. «Est-ce qu’un point médian dans un courriel est vraiment le fléau social qui, aujourd’hui, demande l’attention du gouvernement?»
La décision de Québec d’interdire des mots émergents comme «iel» dans les communications de l’État surprend également Marie Houzeau, directrice générale du GRIS (Groupe de recherche et d’intervention sociale) Montréal, un organisme communautaire qui démystifie les orientations sexuelles et les identités de genres par la méthode du témoignage.
«Je ne peux même pas croire qu’on se parle de ça ce matin», a-t-elle confié mercredi en entrevue à Noovo Info.
«C’est de mettre du temps sur quelque chose qui ne cause pas de difficultés, chacun est libre de l’adopter ou pas [la rédaction inclusive] et je crois que c’était la bonne façon de faire», a expliqué Mme Houzeau.
La directrice générale du GRIS Montréal croit elle aussi que la langue française évolue de tout temps avec des mots qui se créent et des mots qui disparaissent.
«C’est très important parce que la langue n’est pas qu’un concept théorique, c’est notre moyen de communication et il doit nous permettre de rendre compte des réalités qui sont présentes dans la société dans laquelle on vit», a-t-elle précisé.
«Je crois que de simplement penser que par décret on va être capable de mettre un frein à cette évolution complètement normale, je crois que c’est illusoire. Que le gouvernement légifère ou pas, ça va continuer dans l’usage commun», a conclu Marie Houzeau.
Un débat de société
Le débat entourant la rédaction inclusive ne date pas d'hier au Québec. En 2023, entre autres, l'histoire de Mx Martine avait fait couler beaucoup d'encre en plus de susciter de nombreuses réactions.
À cette époque, la direction d'une école de Richelieu, en Montérégie, avait envoyé une lettre à des parents d'élèves afin de les inviter à utiliser le terme «Mx» (se prononce Mix) pour désigner l'enseignante qui ne se décrit comme ni femme ni homme.
Dans cette missive on pouvait notamment lire: «Mx est un titre de civilité qui est l'équivalent non genré ou neutre des titres de civilité "madame" et "monsieur", et est employé entre autres pour désigner les personnes non binaires (dont l'identité de genre se situe en dehors du système binaire (homme/femme), ou les personnes qui préfèrent tout simplement qu'on ne réfère pas à leur genre lorsqu'on s'adresse à elles. Il est utilisé depuis plusieurs années dans de nombreux pays et est reconnu par le gouvernement du Canada.»
La publication de cette lettre sur Facebook a engendré un tsunami de réactions négatives, au point où la direction de l'école a été forcée d'appeler la police.
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Les questionnements fondés sur l’identité de genre ont aussi mené le gouvernement du Québec à fermer la porte en 2023 à l’idée de rendre complètement «mixtes» les blocs sanitaires destinés aux garçons et aux filles dans les écoles.
Le ministre de l’Éducation de l’époque, Bernard Drainville, n’était toutefois pas contre la création de «toilette individuelle mixte».
«Je pense que ça peut être une façon de s'adapter à cette nouvelle réalité, celle d'enfant ou de membres du personnel scolaire, qui se considère non binaire», avait-il alors expliqué.
Avec des informations de Véronique Dubé, Étienne Phénix, Julien Denis et Émeric Montminy pour Noovo Info.

