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La Couronne aura fort à faire pour démontrer hors de tout doute raisonnable que Gabriel Sohier-Chaput a fomenté la haine contre les juifs.
Le juge Manlio Del Negro, de la Cour du Québec, est venu jeter une douche d'eau froide sur la Couronne, vendredi, au procès de Gabriel Sohier Chaput, accusé d'avoir fomenté la haine contre les juifs.
Déjà qu'il est très difficile de prouver cette accusation hors de tout doute raisonnable, le juge a placé la barre encore plus haute après avoir reproché au procureur Patrick Lafrenière d'avoir négligé de bien monter sa preuve.
Le juge a également dû ramener à l'ordre l'avocate de Sohier-Chaput, Me Hélène Poussard, après sa tentative de réinterpréter l'histoire dans une audience qui avait des allures de déraillement de train au ralenti.
Le procès tirait sur sa fin, alors que Me Lafrenière était à compléter sa plaidoirie, après celle présentée par Me Poussard, au début de mars dernier.
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Le Montréalais de 35 ans a admis être l'auteur d'un article publié sur unsite d'extrême-droite qui a mené aux accusations criminelles contre lui. Gabriel Sohier-Chaput a signé, en fait, environ un millier d'articles sous le nom de plume Zeiger sur le site néonazi The Daily Stormer dont il était l'un des plus prolifiques auteurs. C'est l'un de ces articles publié en 2017 qui a mené à la plainte contre lui lorsque sa véritable identité a été dévoilée.
Tout se passait bien vendredi alors quele procureur Patrick Lafrenière arrivait à la fin de son plaidoyer, affirmant qu'il démontrerait que les propos étaient de nature publique, comme l'exige l'article de loi, que le contexte dans lequel les propos litigieux avaient été publiés était haineux et que l'auteur voulait fomenter la haine contre les juifs et, donc, avait eu une intention criminelle.
Sauf qu'arrivé à la fin, le juge Del Negro a reproché au procureur d'affirmer sans l'avoir mis en preuve que The Daily Stormer était un site d'extrême-droite et que l'extermination des juifs par le régime hitlérien était la conséquence de l'idéologie nazie.
Le magistrat a soulevé la notion de « connaissance juridique », un principe de droit qui fait en sorte qu'il n'est pas nécessaire de mettre quelque chose en preuve parce qu'il s'agit d'un fait établi. Le procureur a rétorqué qu'il s'agissait de vérités évidentes et connues, mais cela n'a pas satisfait le juge.
«Vous, Me Lafrenière, n'avez pas présenté d'expertise», a laissé tomber le juge.
«La Couronne en demande beaucoup. Vous avancez des choses qui n'ont pas été mises en preuve. (...) Je ne suis pas convaincu que de faire ce que vous me demandez de faire ne porte pas préjudice à l'accusé.»
L'avocate de Sohier-Chaput a aussitôt tenté d'en rajouter: aujourd'hui, le nazisme est utilisé à toutes les sauces. On mêle holocauste avec nazisme», a-t-elle d'abord affirmé. «On essaie de faire dire à un mot ce qu'il n'est pas.»
Puis, elle a ajouté que «ce n'est pas parce que des juifs ont été exterminés que ça faisait partie de l'idéologie nazie. (...) Si des gens sont morts, ils sont morts dans des camps de concentration pour sauver de l'argent », a-t-elle ajouté, soutenant avoir appris à l'école que c'était un proche d'Hitler qui avait proposé de les exterminer parce qu'il en coûtait trop cher de les déporter et de les garder captifs.
«Vous dépassez les bornes!», a alors tonné le juge Del Negro à son endroit.
Puis, se tournant vers le procureur Lafrenière: «Voyez-vous, Me Lafrenière, c'est votre faute. Ç'aurait été facile de faire la preuve que le Daily Stormer était un site d'extrême-droite. Ç'aurait été facile d'amener un historien pour faire la preuve que le nazisme est à l'origine de l'extermination des juifs».
Les parties ont convenu de se revoir le 29 août pour fixer une date afin de faire le fameux débat sur la connaissance judiciaire.
Avant que ne survienne ce dénouement totalement inattendu, Me Lafrenière avait cherché à démontrer lui-même que The Daily Stormer était un site d'extrême-droite, lui qui affiche des photos d'Adolf Hitler, d'autres images nazies et que l'article de Sohier Chaput lui-même affirmait que 2017 serait l'année du «nazisme sans arrêt, partout».
«Le nazisme, c'est la plus grande manifestation de la haine envers les juifs», avait-il affirmé, ajoutant que les propos dégradants de l'article, son ton agressif et le fait de qualifier les juifs d'«ennemis» étaient effectivement «susceptibles de provoquer la haine» contre la communauté juive.
Quant à la prétention de la défense selon laquelle Sohier Chaput faisait de l'ironie et cherchait plutôt à «faire rire» ses lecteurs sur un site qualifié de site «parodique» par l'accusé, la Couronne avait répliqué que TheDaily Stormer «a toutes les apparences d'un journal sérieux en ligne», avec ses trois millions d'abonnés au moment de la publication.
De toute façon, «la satire n'est pas une défense», avait rappelé Me Lafrenière. «L'article 319.2 (qui criminalise le fait de fomenter publiquement la haine contre un groupe précis), c'est une restriction à la liberté d'expression. On a le droit de faire de la satire, mais ça ne peut pas aller jusqu'à fomenter la haine.»
Aussi, selon le juriste, l'intention criminelle était claire: «Il ne pouvait pas ne pas savoir que ses propos allaient fomenter la haine.»
Une quarantaine de manifestants se réclamant de la mouvance antifasciste se trouvaient devant le palais de justice de Montréal pour exprimer leur absence de confiance envers «le système judiciaire pour combattre l'influence de l'extrême-droite et la menace fasciste».