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«On nous a volé notre enfant. On nous a obligés à expliquer à sa sœur pourquoi son frère était mort.»
«Jacob, mon minou me manque tellement, je lui en veux tellement de nous avoir amenés dans un tourbillon que nous n’avons pas demandé»: ce sont les premières paroles de Marie-Christine Cloutier, la maman de Jacob, tué dans l’accident d’autobus alors qu’il n’avait que 4 ans, alors qu'elle livrait jeudi sa déclaration devant le tribunal présidé par le juge Éric Downs.
Mme Cloutier a été la première à prendre la parole par visioconférence - étant donné qu'elle se trouve à l'extérieur du pays. Son fils, Jacob, a été tué après que Pierre Ny St-Amand ait foncé en autobus sur une garderie de Laval en 2023.
«On nous a volé notre enfant innocent qui demandait seulement à jouer avec ses amis et sa sœur. On nous a obligé d’expliquer à sa grande sœur pourquoi son frère était mort. Il y a tant de pourquoi.»
Mme Cloutier a affirmé souffrir énormément de la perte de son fils. «À 36 ans, nous ne sommes pas censés préparer les funérailles de son enfant de 4 ans», a-t-elle dit.
Voyez le compte-rendu de Marie-Pier Boucher dans la vidéo ci-haut.
La mère de famille a confié qu’elle vivait dans la crainte et la peur. «C’est troublant de dire à une personne qui a les mains froides de ne pas les poser sur moi parce que ça me rappelle ses mains dans le cercueil», a-t-elle expliqué en pleurs.
La mère a aussi souligné qu’elle était en «dissociation constante» depuis le drame. «[…] Même présentement, je ne comprends pas ce que je fais ici. Même encore après 2 ans, je raconte cette histoire comme si ce n’était pas la mienne.»
Mme Cloutier et sa famille ont dû déménager après la mort de Jacob, «pour essayer de se reconstruire.»
«Je ne pourrai jamais accepter la mort de mon fils. C’est impossible qu’il ne soit plus là, que j'aie seulement 4 ans de souvenirs. À tous les jours, je dois vivre avec ce trou immense en dedans de moi.»
Après l’intervention de Marie-Christine Cloutier, le juge Downs lui a souhaité «la force, le courage, la résilience et la paix».
La famille de Maëva, décédée à l’âge de 5 ans, a été la seconde famille de victimes à prendre la parole.
La mère, Jessica Therrien, a affirmé que tout comme sa fille, elle ressentait le besoin profond de comprendre. «Cet acte de destruction m’a détruite. J’ai perdu espoir de trouver un sens», a-t-elle partagé.
«J’ai perdu confiance envers le système de transport. J’ai maintenant de la difficulté à confier mes enfants aux transports scolaires», a-t-elle confié.
Le père de Maëva, Nicolas, a aussi pris la parole pour lire une lettre.
«[…] Je m’effondre au sol, une partie de moi ne s’est pas encore réveillée. Il ne se passe pas une heure sans que je pense à toi. Je ne compte plus les heures de thérapie. Je ne peux m’empêcher de penser à une arme de destruction massive lorsque je vois un autobus. Je suis prisonnier de la tristesse. J’aurais tant voulu te protéger[…].»
Une tante de Maëva a aussi pris la parole pour lire une lettre rédigée par le frère et la sœur de la petite.
Médéric raconte que le 8 février a été «la pire journée de [sa] vie».
«[…] J’ai toujours mal. Chaque matin, c’est comme si une grosse boule se coince dans ma gorge. Depuis ce soir [la journée du drame], je sais que le mal peut arriver n’importe quand, même si on a rien fait de mal. Je me sens souvent seul. […] Il y a toujours quelqu’un qui pleure ou qui ne va pas bien […]», a-t-il notamment écrit.
La sœur de Maëva a livré un témoignage tout aussi touchant.
«Ma vie a changé pour toujours. […] J’ai très très mal dans mon cœur. Les autres enfants ne comprennent pas. Ils font comme si c’était normal, mais il n'y a rien de normal. Je suis fâchée. Je ne sais plus confiance aux gens que je ne connais pas. Avant j’avais plein d’amis, maintenant je n’en ai plus […]», a-t-elle exprimé.
«Je pense tout le temps à ma petite sœur chérie qui me donne plein de câlins. […] Je veux juste que ma sœur revienne, mais je sais qu’elle ne reviendra pas […].»
Parmi les autres témoignages, celui de Mélanie Goulet, dont la fille avait été emprisonnée sous le lourd véhicule avant d'être secourue. La mère a expliqué que son enfant, qui a survécu, a «perdu beaucoup» ce jour-là.
«Elle a perdu deux amis» et «elle a perdu son insouciance, son sentiment de sécurité, sa légèreté ainsi qu'une partie de sa joie de vivre. Une portion des étoiles qui brillaient dans ses yeux depuis sa naissance se sont éteintes à tout jamais.»
Sa petite fille a encore, aujourd'hui, «beaucoup de difficulté à tolérer les câlins trop enveloppants», car «elle se sent coincée, coincée comme elle était sous l'autobus».
Comme plusieurs autres parents depuis le début du procès, Mélanie Goulet a dénoncé le manque de soutien offert aux victimes.
«Le Québec a fait comme choix de société de tenter de rétablir et de réhabiliter ceux et celles qui commettent l'irréparable. Mais qu'en est-il des victimes, des plus petites ou plus grandes? Aurons-nous tous accès au même soutien, par des équipes multidisciplinaires, sans aucune limite budgétaire? Serons-nous logés, nourris et pris en charge à 100 % afin que l'on puisse tous se concentrer à notre guérison et à notre rétablissement?», a-t-elle demandé.
«La plus grande injustice pour moi, elle est là.»
Après cette intervention, le juge Éric Downs a continué à entendre des témoignages, une quinzaine en tout, de personnes qui doivent vivre avec leurs démons depuis le drame de février 2023.
Le juge a écouté les récits d'employées de la garderie qui vivent avec la culpabilité ne pas avoir été en mesure de sauver leurs protégés. Des proches ont lu des lettres d'enfants gravement blessés physiquement et psychologiquement. Des parents ont témoigné de leurs difficultés financières depuis le drame, car ils sont incapables de retourner au travail. Plusieurs ont fait part de leur anxiété, de leur insomnie et d'une panoplie de traumatismes.
Un père, qui, le matin de la tragédie, avait aidé à maîtriser l'accusé, a raconté, comme d'autres, qu'il a eu l'impression d'être complètement laissé seul, face à ses démons, depuis février 2023.
«J'aimerais dire que je déteste l'accusé pour tout cela», mais «je sais que c'est une victime également. Il est victime de cette folie qui s'est emparée de lui et, dans ses moments de lucidité, s'il en a, il doit faire avec cette réalité, celle d'être le propriétaire du corps qui a tué deux enfants et fait des dégâts sur un nombre considérable de personnes, physiquement, émotionnellement et mentalement», a indiqué le jeune père.
«Je ne pardonnerai jamais l'acte, mais je peux pardonner l'homme», a-t-il conclu, la gorge nouée par les émotions.
En ouverture d’audience, le juge Downs a mentionné que le tribunal entreprenait jeudi «une autre étape du processus judiciaire dans cette affaire difficile et douloureuse».
Il a rappelé que le rôle du tribunal était d’appliquer la loi «en toute indépendante et sans parti pris».
Il a aussi ajouté qu’il comprenait la souffrance des victimes, «plus particulièrement ici, cette souffrance est incommensurable.»
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Après la déclaration des victimes, le tribunal devra se pencher sur les modalités de détention de Pierre Ny St-Amand à l’Institut Pinel et aussi déterminer si l’accusé sera déclaré ou non «accusé à haut risque».
Les procureurs ont annoncé leur intention de désigner Ny St-Amand comme un «accusé à haut risque», une désignation qui entraîne une détention en milieu hospitalier avec restrictions. De plus, toute remise en liberté partielle ou complète devrait être approuvée par un juge et non par la Commission d’examen des troubles mentaux.
Plus tôt cette semaine, un juge de la Cour supérieure du Québec a accepté une recommandation commune de la Couronne et de la défense selon laquelle Pierre Ny St-Amand n'est pas criminellement responsable du meurtre de deux enfants et des blessures infligées à six autres.
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Lors de son procès, les médecins ont déclaré que l'ancien chauffeur d'autobus de 53 ans souffrait de psychose et ne savait pas distinguer le bien du mal lorsqu'il a foncé sur la garderie avec un autobus, le 8 février 2023.
Avec des informations de La Presse canadienne.