L’une des femmes qui ont accusé l’ancien magnat de la mode Peter Nygard d’agression sexuelle a déclaré aux jurés de son procès à Toronto qu’elle avait eu peur de se manifester pendant les années qui ont suivi l’agression présumée.
Peter Nygard, fondateur d'une société internationale de vêtements féminins aujourd'hui disparue, est accusé d'avoir utilisé sa position dans l'industrie de la mode pour attirer des femmes et de jeunes filles.
Âgé de 82 ans, il a plaidé non coupable de cinq chefs d'accusation d'agression sexuelle et d'un chef d'accusation de séquestration pour des faits qui se seraient produits entre les années 1980 et le milieu des années 2000.
La Couronne a annoncé que les cinq plaignantes dans cette affaire devraient alléguer qu'elles ont été emmenées au siège de Nygard à Toronto sous des prétextes allant de visites à des entretiens d'embauche, et que toutes les rencontres se sont terminées dans une chambre à coucher au dernier étage, où elles ont été agressées sexuellement.
Le jury a appris que la première plaignante, dont l'identité est protégée par une ordonnance de non-publication, avait rencontré Nygard lors d'un concert des Rolling Stones à Toronto à la fin des années 1980, avant d'être ramenée dans la chambre du dernier étage du siège de sa société à Toronto, où elle affirme avoir été piégée et agressée. Elle avait une vingtaine d'années à l'époque.
La femme a témoigné mercredi que des sentiments de honte, la peur de ne pas être crue et la crainte que des allégations contre un personnage puissant ne détruisent sa carrière d'actrice l'ont empêchée de se manifester immédiatement après l'agression présumée.
Elle a raconté qu'au cours de l'agression présumée, elle avait dit à Nygard de «mettre un f**king condom», ce qui, selon elle, a limité la quantité de preuves physiques, un autre facteur qui l'a empêchée de s'adresser à la police.
«C'était ma parole contre celle d'une personne très connue, bien établie, qui connaissait le premier ministre, l'ex-premier ministre… qui était un homme très riche et qui avait des ressources», a témoigné la femme, aujourd'hui âgée d'une soixantaine d'années.
«À l'époque, il y avait encore cette mentalité selon laquelle tu l'avais cherché.»
Une déposition 10 ans plus tard
La plaignante a dit qu'elle avait décidé de s'adresser à la police une dizaine d'années plus tard.
Elle a rapporté qu'elle déjeunait avec une personne proche à Toronto en 1998 lorsqu'elle a remarqué un article sur Nygard dans un magazine à sensation et lui a raconté ce qui s'était passé. Cette personne l'a encouragée à se manifester, en lui proposant de la mettre en contact avec ses connaissances au sein de la police de Toronto, a-t-elle témoigné.
Elle a déclaré qu'après s'être rendue au siège de la police pour faire sa déposition, un policier l'a appelée pour lui dire que le chef de la sécurité de Nygard s'était rendu à Toronto pour découvrir qui avait parlé à la police, ce qui l'a amenée à abandonner l'affaire plus tard en 1998, par peur.
«J'ai paniqué, j'ai eu peur pour ma vie, a-t-elle indiqué aux jurés. J'ai décidé que je préférais être en vie et que je n'avais pas besoin d'avoir raison.»
Elle a expliqué au jury que lors d'une retraite de yoga à Bali, en Indonésie, en 2020, elle a lu un article dans le New York Times sur une action collective américaine contre Nygard, et a décidé de contacter les avocats dans cette affaire et de porter plainte à Toronto. Elle a également dit qu'elle s'était jointe à l'action en justice américaine.
«À la suite du mouvement .MeToo, les choses ont changé dans la société, et je pense que ce type de comportement (…) il est temps que cela cesse', a-t-elle affirmé au tribunal.
«Beaucoup de gens ont été blessés par cela, et je suis plus âgée, je n'ai pas si peur. C'est quelque chose qui a entaché ma vie. Je veux en finir avec ça.»
Un échange houleux
Nygard, qui portait un costume noir, des lunettes teintées et ses longs cheveux blancs attachés, a regardé l'écran de vidéoconférence devant lui pendant que la plaignante témoignait, écoutant parfois ses avocats parler. Il s'est tourné vers l'avocat de la défense, Brian Greenspan, pendant le contre-interrogatoire.
Me Greenspan a interrogé la plaignante sur les raisons qui l'ont poussée à témoigner, suggérant qu'elle l'avait fait pour recevoir des incitatifs de la part de ceux qui ont mis en place l'action collective, ou une compensation de l'action collective, qui, selon lui, avait plus de chances d'aboutir si Nygard était reconnu coupable à Toronto.
Me Greenspan l'a également interrogée sur la source de l'information selon laquelle le chef de la sécurité de Nygard s'était rendu à Toronto pour trouver son accusatrice. Elle a répondu que l'information lui avait été communiquée par la police de Toronto.
«Vous vous basiez donc sur des ouï-dire et des rumeurs, non étayés et non fondés, n'est-ce pas ? a demandé Me Greenspan à voix haute. Je vous suggère que tout ce que vous venez de dire est un mensonge pur et simple… que rien de tout cela n'est vrai.»
La femme a essuyé des larmes à la suite de cet échange houleux.
Peter Nygard a fondé Nygard International à Winnipeg en 1967 et s'est retiré de la présidence de l'entreprise de vêtements en février 2020, avant qu'elle ne dépose son bilan.

