Accusé d'agressions sexuelles par neuf femmes, Gilbert Rozon est revenu mercredi à la barre des témoins dans le cadre de son procès civil au palais de justice de Montréal où il a (re)donné sa version des faits concernant les accusations portées par Annick Charette, l'une des neuf demanderesses.
Rozon a raconté sensiblement la même histoire qu’il avait évoquée lors de son procès pour agression sexuelle et attentat à la pudeur contre Mme Charette et où il a été acquitté en décembre 2020.
Gilbert Rozon affirme être sorti dans un bar avec Mme Charette. «Nous étions deux adultes, nous savions que c’était une opération de charme de part et d’autre», a-t-il expliqué en précisant qu’après la sortie au bar, ils se sont retrouvés dans une maison de Saint-Sauveur, dans les Laurentides.
Une fois à la maison, il a raconté avoir allumé un feu, probablement pris un verre et que le duo s’est installé sur le canapé où il affirme avoir commencé à lui faire des avances en l’embrassant.
Gilbert Rozon a affirmé que c’est lorsqu’il a voulu caresser Mme Charette «sous sa longue robe» qu’elle l’a repoussé.
«Je n’ai pas eu de forme de résistance jusqu’au moment où j'ai voulu aller plus loin et à ce moment, elle s'est manifestée physiquement et non verbalement et moi par orgueil je lui ai dit de dormir là [dans une chambre au rez-de-chaussée] et que moi j'allais dormir en haut», a-t-il poursuivi.
Gilbert Rozon a affirmé avoir vu de la surprise dans l’air de Mme Charrette. «Est-ce qu'elle était surprise parce que j’ai arrêté [les avances] trop brusquement? Je me suis senti mal habile. J’avais 24 ans à l’époque, je n’ai pas une expérience des femmes colossales», a-t-il dit.
Rozon a affirmé qu’il était ensuite allé au lit et que c’est au lever du jour qu’il aurait constaté qu’Annick Charette était dans son lit.
«Je suis 10 000% catégorique, on a dormi dans deux chambres. Elle était venue me rejoindre, elle avait gardé sa longue jupe, elle avait enlevé son haut, c’est elle qui a initié une relation avec moi», a-t-il raconté au tribunal.
«Elle était par-dessus moi tout au long de la relation, c’est elle qui dominait et contrôlait le rythme. […] Elle se faisait l’amour sur moi. D’autres considéreraient ça comme une agression, mais pour un homme, c’est plus mécanique qu’une femme et quand c’est parti…», a-t-il poursuivi.
Gilbert Rozon affirme qu’il a pris une douche après sa relation sexuelle avec Annick Charette et qu’il est allé la reconduire.
Mme Charette a porté plainte à la police dans la foulée du mouvement #MeToo en octobre 2017. Sur les quatorze plaintes analysées par le DPCP, seule la sienne avait été retenue.
Toutefois, au terme du procès – qui a présenté deux versions très contradictoires – le tribunal a acquitté Gilbert Rozon des accusations de viol et d’attentat à la pudeur qui pesaient contre lui.
Six mois après l’acquittement de Rozon, Annick Charrette a choisi de se tourner vers le tribunal civil.
Elle accuse Gilbert Rozon de l’avoir violé en 1980, mais aussi d’avoir menti et de l’avoir dépeinte comme une «délurée» lors de son procès.
«Dans son témoignage lors du procès criminel [Gilbert Rozon] a menti non seulement en niant la version d’[Annick Charette], mais également en inventant de toutes pièces un scénario qui inversait les rôles, un scénario grotesque dans lequel c’est [elle] qui était l’agresseur, et [M.] Rozon la victime », peut-on lire dans la requête déposée à l’époque au palais de justice de Montréal.
«On a fait tout simplement l'amour»
Concernant les accusations portées par Lyne Charlebois, Gilbert Rozon confirme avoir eu une relation sexuelle avec cette dernière en 1982, chez lui, mais affirme qu’elle était consentie.
Après avoir passé un long moment à discuter et à boire, Rozon affirme avoir entraîné Mme Charlebois par la main, vers sa chambre.
Lors de son témoignage, Mme Charlebois avait expliqué que c’est à ce moment que le viol avec pénétration avait eu lieu. Lyne Charlebois avait dit avoir «figé» lors de l’agression et «avoir craint de mourir».
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Dans sa version, Rozon affirme plutôt que Mme Charlebois l’a suivi, «donc je ne l’ai pas forcé».
«[…]une fois dans la chambre, on va se caresser, s'embrasser, on va faire l'amour comme deux jeunes adultes pouvaient le faire à l’époque», a raconté Gilbert Rozon ajoutant qu’il a fait l’amour à Mme Charlebois «doucement, agréablement».
Rozon affirme que Mme Charlebois a ensuite quitté sa résidence, en lui demandant de l’argent pour le taxi.
«Ç’a été passionnel»
Le témoignage de Gilbert Rozon s’est poursuivi mercredi avec sa version des faits des évènements qui le lie à Patricia Tulasne.
Mme Tulasne affirme avoir été agressée sexuellement par Rozon en août 1994 alors qu’il l’a raccompagné chez elle après une soirée au Piémontais – un restaurant aujourd’hui fermé.
Rozon affirme pour sa part qu’il est monté chez elle et qu’ils ont commencé à faire l’amour «contre le mur». Il croit que la relation s’est terminée au lit, mais sans en être certain.
«On était très emporté par cette pulsion sensuelle. Ça ressemblait à une scène de film. C’était excitant et je la sentais aussi excitée que moi», a-t-il plaidé.
Mme Tulasne avait raconté tout le contraire lors de son témoignage affirmant qu’elle avait refusé que Rozon monte à son appartement et qu’il l’avait alors poussé «violemment».
«Il me prend par les épaules et me plaque contre le mur du fond [de la salle à manger] et me maintient comme ça contre le mur. Je ne comprends pas du tout ce qu’il se passe. [...] Je résistais, mais j’étais incapable de bouger, il m’appuyait fortement contre le mur. Et c’est là qui a commencé à déboutonner ma robe», avait alors confié Patricia Tulasne qui a aussi affirmé être alors entrée dans un état de «confusion» et de «stupéfaction» totale.
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Retour sur les événements de 1998
Les avocats de Gilbert Rozon ont questionné leur client sur les évènements de 1998, au Manoir Rouville-Campbell, qui ont mené au dépôt d’accusations de nature sexuelle.
À l’époque, Gilbert Rozon avait plaidé coupable «d’avoir commis des gestes de la nature d'agression sexuelle» sur une jeune femme de 19 ans, soit une croupière engagée pour la fête.
C’était la première fois que Gilbert Rozon donnait sa version des faits.
Rozon a donc affirmé qu’il avait bel et bien invité la jeune femme dans sa chambre, qu’il lui avait caressé les jambes et les cheveux. A-t-il touché ses seins? «Peut-être, ce n'est pas impossible», a-t-il répondu tout en ajoutant que ce comportement serait surprenant venant de sa part. Il a aussi affirmé devant le tribunal qu’il n’avait pas touché «ses parties intimes».
Rozon a aussi reconnu que la jeune femme était anxieuse. Il a attribué ce malaise au fait qu'elle craignait possiblement d'être réprimandée par son employeur.
Rozon a poursuivi son témoignage en indiquant que la jeune femme a quitté la chambre après sept à dix minutes et qu’il s’est ensuite endormi.
C’est le lendemain que Gisèle Baril, adjointe pour Juste pour rire, lui aurait confié que la jeune fille aurait eu peur.
Rozon a raconté qu’il s’en est suivi un ouragan médiatique. «Ça a pris des proportions démentes», a-t-il expliqué au tribunal.
Gilbert Rozon a souligné qu’à l’époque sa priorité était de protéger sa boîte qui écopait durement de cette histoire.
S’il avait d’abord plaidé non coupable, il a expliqué avoir changé son plaidoyer en raison de la pression de sa famille et de son équipe, et ce, même si la décision «allait contre ses principes». Rozon avait affirmé la même chose lors de son dernier témoignage, le 5 juin. Il avait notamment dit avoir plaidé coupable à contrecœur à un délit sexuel en 1998.
Gilbert Rozon avait par la suite obtenu une absolution inconditionnelle dans ce dossier.
Une entreprise en voie «d'imploser»
C'est le 19 octobre 2017 que Le Devoir et le 98,5 FM dévoilent un article concernant des allégations d'inconduites sexuelles impliquant Gilbert Rozon. Par la suite, ces accusations ont mené à des poursuites judiciaires et à un procès criminel, où il a finalement été acquitté.
Rozon a affirmé qu’il était à l’époque épuisé physiquement et psychologiquement alors qu’il se trouvait à Paris pour la fin des tournages et la promotion de l'émission de télévision française Incroyable Talent - maintenant intitulée La France a un incroyable talent.
Gilbert Rozon a aussi précisé à son procès civil qu'avant même que l'enquête ne soit publiée, le 19 octobre 2017, les rumeurs entourant ces révélations à venir avaient provoqué une fuite de capitaux de l'ordre de 30 millions $ entre 17h et 20h la veille, soit le 18 octobre.
«L'entreprise, pourtant très saine, est en voie d'imploser», a-t-il raconté alors que les gouvernements gèlent les subventions et les commanditaires en font autant devant ce qui n'est toujours que rumeurs à cet instant.
Québecor l'avise également de la rupture de leurs liens d'affaires alors que les deux entreprises sont dans le processus de conclure une importante entente de 18 à 20 millions $ par année sur cinq ans pour des droits de télédiffusion et autres activités périphériques. Il est d'ailleurs possible que Pierre Karl Péladeau témoigne au procès de Gilbert Rozon.
Un proche collaborateur de Gilbert Rozon lui suggère alors de démissionner et il le fait. Gilbert Rozon affirme qu'il aurait pu faire faillite à ce moment, avec une perte subite de 30 millions $ de l'entreprise en quelques heures, mais «je préférais mourir personnellement plutôt que l'entreprise meure».
L'homme a donc dû démissionner sur-le-champ, préparer une déclaration pour publication sur les réseaux sociaux et il s'est mis en quête d'un acheteur au plus vite. «Il faut tenir le coup jusqu'à la vente», a-t-il raconté. Il a aussi démissionné du même coup de ses postes de Commissaire aux fêtes du 375e de Montréal et de vice-président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.
Avec des dénonciations qui venaient de l'interne comme de l'externe, des humoristes se dissociant du Festival Juste pour rire pour créer leur propre événement parallèle.
Descente en enfer
Gilbert Rozon affirme avoir vécu une descente aux enfers qui aurait duré deux ans.
«Dans notre famille, un garçon, ça ne pleure pas. Tu es exécuté le jour même avant même de passer par un procès», a-t-il partagé en spécifiant qu'il avait considéré le suicide «de façon très sérieuse».
«Et comme j'ai travaillé dans la mort, j'avais une façon bien précise de comment le faire, je voulais le faire pour alléger mes proches. Les gens allaient devoir subir mon agonie, ma souffrance. Si je meurs, dans deux ans, le deuil va être fait, et l’entreprise va continuer à exister», a confié Rozon au tribunal. Il a également affirmé que ces pensées l'occupaient encore aujourd'hui. «Si je l’avais fait, ça aurait été pour libérer mes amis, ma famille et mes collègues.»
Ses avocats l’ont également questionné sur sa relation avec la drogue. Rozon a notamment reconnu avoir testé certaines drogues. C'est la première fois que Gilbert Rozon admet publiquement avoir pris des microdoses d'ecstasy (MDMA) durant certaines périodes plus ou moins longues vers la fin des années 80 et le début des années 90.
L'ex-magnat de l'humour a témoigné une première fois le 2 juin dernier. Le premier volet du témoignage de Gilbert Rozon visait avant tout à tracer les grandes lignes de sa vie de son enfance jusqu’à la réalisation du festival Juste pour rire.
Neuf demanderesses et de nombreux témoins
Le procès civil de Gilbert Rozon s'est ouvert au début de décembre 2024 alors que neuf demanderesses lui réclament environ 14M$ pour des agressions sexuelles et des viols, entre autres.
Les neuf présumées victimes - Lyne Charlebois, Guylaine Courcelles, Patricia Tulasne, Danie Frenette, Anne-Marie Charette, Annick Charette, Sophie Moreau, Marylena Sicari et Martine Roy - ont d'ailleurs toutes témoigné au cours des derniers mois.
La défense - représentant les neuf demanderesses - a aussi fait entendre d'autres témoins au fil du procès, dont des personnalités connues comme Julie Snyder, Salomé Corbo et Pénélope McQuade. L'ex-conjointe du fondateur de Juste pour rire, Véronique Moreau, a aussi pris la parole. Elles ont toutes témoigné d'abus qu'elles auraient subis aux mains de Gilbert Rozon.
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Les avocats Rozon ont également appelé des témoins au cours des derniers mois, dont ses soeurs Luce et Lucie Rozon et son ex-bras droit Guylaine Lalonde. Elles ont tenu des discours contraires à ceux des présumées victimes qui ont été entendus jusqu’à maintenant. Le tribunal a aussi entendu le journaliste, auteur et producteur Guy Fournier ainsi que l'ancien premier ministre Pierre-Marc Johnson.
Avec des informations de La Presse canadienne.

