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Pourquoi a-t-on refusé une trousse médicolégale à une femme francophone?

Le processus d’obtention d’une trousse médicolégale à Montréal est remis en question après qu’une victime d’agression sexuelle a été amenée à trois hôpitaux différents avant de recevoir le service requis.

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Un lit d'hôpital vide est visible dans une photo d'archive datée du 25 janvier 2022. Un lit d'hôpital vide est visible dans une photo d'archive datée du 25 janvier 2022. (Chris Young | La Presse canadienne)

Le processus d’obtention d’une trousse médicolégale à Montréal est remis en question après qu’une victime d’agression sexuelle a été amenée à trois hôpitaux différents avant de recevoir le service requis.

Ce texte est une traduction d'un article de CTV News

Cet incident qui s’est produit en 2020 a également déclenché une enquête de l’Office québécois de la langue française (OQLF), car la victime a été initialement redirigée parce qu’elle parlait français.

Les défenseurs des droits affirment que l’histoire de la femme, rapportée devant un juge la semaine dernière lors du procès de son agresseur, reflète les problèmes plus larges d’accessibilité dans le signalement des agressions sexuelles et la nécessité de mettre à jour un protocole qui n’a pas changé depuis des décennies.

Un accord «bien connu»

Selon les reportages de La Presse et du Journal de Montréal, la police a d’abord emmené la victime à l’Hôpital général de Montréal, mais elle a été réorientée vers un autre établissement en raison de sa langue maternelle.

Cela est dû à un protocole spécifique lié à la langue utilisé pour traiter les victimes d’agression sexuelle à Montréal.

Les soirs, les fins de semaine et les jours fériés, «le service des urgences de l’Hôpital général de Montréal est chargé de fournir des services aux victimes anglophones [d’agression sexuelle], et les urgences de l’Hôpital Notre-Dame aux patients francophones», indique une déclaration du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), qui supervise l’Hôpital général.

«Cet arrangement est bien connu de tous ceux impliqués dans la gestion de ces cas.»
- Extrait d'une déclaration du CUSM

Cette procédure fait partie d’un «accord de longue date» avec le Centre pour les victimes d’agression sexuelle de Montréal (CVASM), le «centre désigné» de la ville pour l’intervention médicale dans les cas d’agression sexuelle, qui fonctionne pendant les heures de bureau.

Le CVASM, quant à lui, offre des services en français et en anglais.

«En dehors des heures normales […], il est de notre devoir d’informer les victimes francophones que l’Hôpital Notre-Dame est l’hôpital désigné. Cependant, nous ne refusons en aucun cas de traiter quiconque préfère rester à l’Hôpital général de Montréal, indépendamment de la langue», a écrit le CUSM.

Une tentative infructueuse au CHUM

Des rapports affirment cependant que la femme n'a pas été dirigée directement vers l'Hôpital Notre-Dame, comme le prévoit le protocole. Au lieu de cela, on aurait dirigé la victime vers le Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM), où les trousses médicolégales n'ont pas été administrées depuis 2017.

Cependant, le CUSM nie ces allégations et affirme à CTV News que «les infirmières de triage de notre service des urgences sont toutes bien conscientes de l'accord de longue date, spécifiant que l'Hôpital Notre-Dame est le centre désigné pour fournir des soins la nuit, les fins de semaine et les jours fériés aux victimes d'abus sexuels qui parlent français. Ainsi, un patient ne serait pas redirigé vers le CHUM par l'Hôpital général de Montréal.»

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a affirmé dans une déclaration envoyée mardi après-midi que «la préoccupation principale des policières et des policiers, lorsqu’une personne est victime d’une agression sexuelle, est de la sécuriser et de la rassurer. C’est dans cet objectif que la victime a été amenée au centre désigné le plus près afin de recevoir un suivi médicolégal et médicosocial le plus rapidement possible soit, dans ce cas-ci, l’Hôpital général de Montréal.» 

La victime a finalement été emmenée à l'Hôpital Notre-Dame, où la trousse médicolégale a été administrée.

Trois ans plus tard, les preuves recueillies lors de la procédure ont conduit à la condamnation de son violeur, qui a été condamné à 18 mois de prison la semaine dernière.

L'organisme de surveillance de la langue française enquête

L'OQLF a confirmé le lancement d'une enquête sur l'Hôpital général de Montréal.

«Cette situation est inacceptable. Les faits rapportés par le juge sont extrêmement troublants. Nos pensées vont à la victime», soutient un communiqué du cabinet du ministre de la Langue française, Jean-François Roberge.

«Tous les hôpitaux au Québec doivent offrir des services en français. L'OQLF enquêtera sur la disponibilité des services en français dans cet hôpital.»

La directrice générale du CUSM, la Dre Lucie Opatrny, a déclaré dans son propre communiqué que les «faits rapportés indiquent un événement inacceptable et incompatible avec les responsabilités, les valeurs et la mission du CUSM», précisant qu’une enquête interne a été lancée.

«Nous ne refusons jamais aucun patient. Nous sommes fiers d’offrir des soins et des services en français et en anglais, selon la préférence du patient, dans tous nos sites», a mentionné Dre Opatrny.

Un problème systémique ?

Deborah Trent, directrice du CVASM, estime que le problème va au-delà de la langue.

«Le fait que nous ayons ce protocole basé sur la langue ne signifie évidemment pas que l’Hôpital général de Montréal ne peut pas fournir de services aux personnes francophones. Donc ce n’est pas une question linguistique de notre point de vue, c’est une question de protocole», a-t-elle expliqué.

Elle a ajouté que le système actuel est en place depuis les années 1970.

«La réalité – linguistique, démographique – de Montréal a changé, est-ce la meilleure façon de fournir le service à l’avenir? Il est absolument nécessaire de se pencher là-dessus», a-t-elle déclaré.

«Quarante ans plus tard, nous devrions nous assoir et examiner le protocole pour nous assurer que c’est la bonne façon de faire.»

Justine Chenier, porte-parole du RQCALACS, une coalition québécoise de centres d’aide aux victimes d’agression sexuelle, estime que la situation reflète le manque de ressources global de la province en ce qui concerne l’administration des trousses médicolégales.

«Effectivement, il y a un manque de personnel», a-t-elle dit, expliquant que des formations spécialisées sont nécessaires, car les preuves recueillies au cours du processus pourraient être utilisées devant les tribunaux.

Elle applaudit les efforts d’enquête de l’OQLF et du CUSM, mais que le besoin sous-jacent d’accessibilité devait être traité.

«Notre souhait est d’avoir un meilleur accès aux services médicaux légaux pour les personnes victimes d’agression sexuelle», a-t-elle ajouté. «Cela passe par la création et la désignation de plus de centres, mais aussi par la formation des travailleurs pour fournir ce type de service […] et garantir aux personnes l’accès dans leur langue.»

CTV News

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Journaliste

Lillian Roy

Lillian Roy

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