Art et culture

Peut-on vivre de sa musique au Québec en 2025?

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64202eab3622c3db2e4bf2c3b50c6a859abf46c7d037fc3efee9de5e6148095d.jpg L'autrice-compositrice-interprète Stéphanie Boulay a lancé son deuxième album solo cette année et elle retournera sur les bancs d'école, bientôt, car elle juge que le milieu de la musique n'est pas viable à long terme. Sur cette photo, Mélanie et Stéphanie Boulay brandissent leur prix lors du gala de l'Adisq, à Montréal, le dimanche 29 octobre 2017. (LA PRESSE CANADIENNE/Graham Hughes)

Les albums physiques disparaissent. Les plateformes d'écoute ramènent des revenus modestes. Et les parts de marché des spectacles produits ici diminuent. Dans ce nouveau contexte, les artistes québécois peuvent-ils vivre de leur art en 2025? Portrait de la situation.

«Maintenant, l'album devient un peu la carte de visite qui permet après ça de partir en tournée. Le spectacle dans l'ensemble des revenus est beaucoup plus important», a résumé Eve Paré, directrice générale de l'Adisq, en entrevue il y a quelques semaines.

L'autrice-compositrice-interprète Stéphanie Boulay, la «moitié blonde» des Sœurs Boulay qui sont dans le milieu depuis plusieurs années, a lancé son deuxième album solo cette année. Certaines de ses chansons ont passé à la radio, dont le dernier extrait, «On s'haïssait pas».

Un album intime et sensible sur lequel elle a «tout donné», de son propre aveu.

Pourtant, elle retournera sur les bancs d'école pour des études en droit parce qu'elle juge que le métier n'est pas viable à long terme. Sa sœur, Mélanie, est aussi retournée aux études en éducation spécialisée.

«C'est quelque chose qui est généralisé, c'est quelque chose que je vois vraiment beaucoup autour de moi», a-t-elle raconté en entrevue téléphonique avec La Presse Canadienne.

Stéphanie Boulay souligne que c'est un choix personnel, mais aussi financier, car elle constate qu'elle ne pourra plus vivre de son métier «dans vraiment pas longtemps». Et pourtant, reconnaît-elle, elle a accès à une bonne tribune et sa sœur et elle se produisent elles-mêmes. 

Même la fréquentation des spectacles est en baisse, constate-t-elle. «On parle aux diffuseurs des salles, l'achalandage dans les salles de spectacle a vraiment beaucoup diminué dans les dernières années», a-t-elle expliqué. 

Selon elle, l'inflation affecte les spectateurs, mais aussi les artistes, qui doivent débourser davantage en tournée.

«En ce moment, j'arrive encore à en vivre, je peux vraiment pas me plaindre, mais je vois vraiment que ça diminue année après année», a-t-elle ajouté.

L'artiste insiste pour dire qu'elle se sent chanceuse et qu'elle ne souhaite pas quêter la pitié des gens, mais elle rappelle souvent dans l'entretien qu'elle s'inquiète pour les plus jeunes qui commencent dans le milieu et qui naviguent dans ce nouvel univers. 

Selon elle, une partie de la solution réside dans la découvrabilité des artistes d'ici sur les différentes plateformes. 

«Les Québécois peuvent pas penser qu'ils aiment la musique d'ici s'ils ne se la font pas proposer et qu'ils ne la connaissent pas», a-t-elle argué.

«Écouter sur les plateformes, c'est bon aussi, il faut juste que notre musique circule, il faut que les jeunes la découvrent, que ça vive de génération en génération.»

Un travail «de 9 à 5»

La chanteuse jazz canadienne Emilie-Claire Barlow, qui vit aussi de son métier, travaille activement à maximiser son exposition sur ces plateformes – un véritable «travail de 9 à 5», a-t-elle confié dans une longue entrevue réalisée en anglais et en français, une langue qu'elle apprivoise de plus en plus maintenant qu'elle habite à Québec.

L'artiste torontoise cumule au moins 500 millions d'écoutes sur les différentes plateformes, l'accomplissement d'un travail de longue haleine.

Barlow a commencé il y a plus d'une dizaine d'années à étudier les différentes plateformes d'écoute en ligne pour pouvoir faire sa place dans ce nouveau médium.

«Moi, je suis devenue obsédée avec le processus de comprendre comment je pouvais être impliquée. Comment je peux promouvoir ma musique? Comment je peux comprendre les analyses et les utiliser à mon avantage?», a-t-elle expliqué au bout du fil.

Par exemple, sur Spotify, elle peut diffuser des vidéos pour s'adresser directement aux auditeurs. Sur Pandora – une plateforme seulement accessible aux États-Unis – elle peut enregistrer des messages audio adaptés selon la géographie pour faire la promotion de ses spectacles. Ainsi, un auditeur de Boston qui écoute l'une de ses chansons pourrait entendre la chanteuse parler de son prochain spectacle qui se tiendra dans cette ville américaine. 

L'artiste souligne que ces plateformes d'écoute représentent aujourd'hui une bonne partie de son revenu, soulignant toutefois qu'elle y est établie depuis plus de dix ans et qu'elle avait déjà un bon catalogue de chansons quand elle s'y est établie.

Selon elle, le mot clé pour y arriver est «adaptabilité».

«C'est toujours vraiment difficile de faire sa vie avec la musique, j'en suis très consciente et ça change constamment», a-t-elle témoigné, reconnaissant qu'il s'agit d'un sujet délicat pour plusieurs artistes.

«Mais si ton but est d'avoir une carrière en musique, tu dois travailler sur le côté affaires de la musique», a-t-elle ajouté.

Barlow croit-elle être avantagée par le fait de chanter en anglais également? Elle souligne que parmi ses chansons les plus populaires, il y a plusieurs titres en français. Aux États-Unis, ce sont ses chansons en français qui percent le plus, selon elle.

Sa chanson la plus populaire sur Spotify est d'ailleurs «C'est si bon», qui a été écoutée plus de 48 millions de fois. 

Stratégie de commercialisation et découvrabilité

Eve Paré, de l'Adisq, abonde dans le même sens que Emilie-Claire Barlow: il faut une stratégie bien huilée pour bien positionner les artistes, afin qu'ils se rendent aux oreilles des Québécois.

«Ça prend toute une équipe pour être capable de s'assurer d'un succès, que ce soit d'un album, d'une chanson», a-t-elle expliqué.

«Faut pas sous-estimer le travail de toute l'équipe qui entoure l'artiste pour assurer le succès d'un projet.»

Elle plaide aussi que la découvrabilité, évoquée par Stéphanie Boulay, est un point important: «Nos parts de marché sont à peine de cinq pour cent dans les oreilles des Québécois, parce que chacun a son algorithme.»

Eve Paré mentionne d'ailleurs que la radio demeure encore un bon outil pour les artistes.

«C'est encore un très, très bon moyen pour découvrir.»

Vicky Fragasso-Marquis

Vicky Fragasso-Marquis

Journaliste