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Ottawa prévient que les Canadiens qui décideraient d’aller combattre aux côtés des Russes en Ukraine pourraient faire face à de graves conséquences, même si le gouvernement reconnaît pour la première fois des incertitudes quant à savoir s’il serait légal d’aller combattre pour le camp ukrainien.
La vice-première ministre Chrystia Freeland a lancé jeudi un avertissement aux Canadiens qui songeraient à se joindre aux troupes russes dans l’invasion de l’Ukraine. Interrogée lors d’une conférence de presse où elle annonçait de nouvelles sanctions contre Moscou, Mme Freeland a rappelé que pour le Canada, «cette guerre est illégale» et «le Canada adoptera une attitude sévère et appropriée à l’égard de quiconque y participera».
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Pourtant, les ministres fédéraux semblaient moins empressés d’affirmer que des volontaires canadiens qui se battraient pour l’Ukraine violeraient les lois canadiennes.
Le gouvernement de Kyiv a lancé en fin de semaine dernière un appel aux volontaires étrangers à rejoindre une «brigade internationale» pour défendre le pays contre l’armée de Vladimir Poutine. De nombreux Canadiens ont depuis déclaré qu’ils y songeaient, et certains ont même déjà pris l’avion.
Aux côtés de Mme Freeland, jeudi matin, la ministre de la Défense, Anita Anand, qui est aussi avocate, a déclaré que même si elle comprenait le désir de nombreux Canadiens de prendre les armes pour défendre l’Ukraine, «la légalité de la situation (…) est incertaine pour le moment».
Le gouvernement fédéral avait auparavant évité de discuter directement de la légalité de cette participation volontaire, ou si Ottawa soutenait les Canadiens qui veulent aller se battre pour l’Ukraine. Les ministres fédéraux ont plutôt présenté la chose comme une affaire de risque personnel.
Cette position contrastait fortement avec celle du Royaume-Uni et de l’Australie, dont les gouvernements ont noté les enjeux juridiques potentiels auxquels leurs citoyens pourraient être confrontés s’ils se battaient dans un conflit qui n’impliquait pas leur pays.
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La ministre Anand a plutôt encouragé les citoyens à s’enrôler dans l’armée canadienne, qui fait face à une pénurie de milliers de militaires actifs. «Nous serions ravis de recevoir des candidatures de partout au pays, a-t-elle dit. Les Forces armées canadiennes ont assuré une mission de formation en Ukraine depuis 2015 et ont formé plus de 33 000 soldats ukrainiens.»
Le premier ministre Justin Trudeau a par la suite éludé une question similaire sur la légalité des volontaires canadiens qui se battraient pour l’Ukraine. Il a simplement rappelé les avertissements précédents du gouvernement concernant les risques de voyager en Ukraine, avant d’ajouter qu’il n’était pas avocat.
Alors que Mme Freeland n’a pas précisé que les Canadiens qui se battraient dans le camp russe pourraient être poursuivis, l’historien Tyler Wentzell croit que les avocats du gouvernement examinent actuellement de près la Loi sur l’enrôlement à l’étranger, et comment elle peut s’appliquer aujourd’hui dans le cas de l’Ukraine.
Adoptée en 1937, la loi visait à maintenir la neutralité du Canada pendant la guerre civile espagnole. Elle interdit essentiellement aux Canadiens de rejoindre une armée étrangère pour combattre un pays que le Canada considère comme un «État ami». Ceux qui enfreignent cette loi peuvent être passibles d’une amende pouvant aller jusqu’à 2000 $ et de deux ans de prison.
Mais la loi ne définit pas précisément ce qu’est un «État ami», et M. Wentzell souligne que le texte donne spécifiquement au cabinet le pouvoir et la flexibilité de déterminer quels conflits étrangers sont autorisés ou interdits.
«Ils peuvent édicter des règlements qui diraient sans équivoque: vous ne pouvez pas rejoindre les forces armées russes», estime le professeur Wentzell, qui a étudié l’implication des Canadiens dans des conflits étrangers antérieurs et a écrit un livre sur les Canadiens qui ont combattu pendant la guerre d’Espagne.
«Les ministres peuvent également édicter des règlements disant: nous ne poursuivrons personne, ou nous avons besoin d’une autorisation ministérielle pour poursuivre quelqu’un pour telle ou telle infraction.»
Certains experts ont par ailleurs soulevé le fait que des unités paramilitaires en Ukraine et même certains segments de l’armée ukrainienne ont été liés par le passé à la radicalisation d’extrême droite et à la haine, et même accusés de crimes de guerre.
Ces liens ont soulevé des inquiétudes quant au fait que les Canadiens qui décident de se battre contre la Russie soient impliqués, consciemment ou non, dans de telles unités et deviennent complices d’activités dont ils pourraient plus tard être tenus responsables.
Selon M. Wentzell, il est intéressant de noter que le gouvernement ne se contente pas de décourager les Canadiens d’aller se battre en Ukraine: «il ne promet, au fond, absolument rien» à ces volontaires.