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«Ça fait plus que dix ans qu’on travaille là-dessu [...].»
La Première Nation atikamekw d'Opitciwan, une communauté isolée qui dépend du diesel pour ses besoins énergétiques, a procédé mercredi à l’inauguration des travaux d’une centrale à biomasse, qui pourrait réduire les gaz à effet de serre de la communauté de 85 %.
Chaque semaine, des camions remplis de diesel en provenance de Montréal roulent plus de 650 km, dont 160 km de chemin forestier, pour se rendre à Opitciwan, également appelé Obedjiwan, au cœur de la forêt boréale, afin de fournir en électricité la communauté de 2000 personnes.
Mais bientôt, les générateurs au diesel ne seront plus qu’une solution de secours en cas de problème, car la communauté produira son électricité à partir d’écorce d’arbre grâce à une centrale de cogénération à biomasse forestière, alimentée par les résidus de la scierie locale.
Le début des travaux de la centrale est «un jour historique qui va marquer la communauté» pour «les prochaines générations», a lancé le chef du Conseil des Atikamekw d’Opitciwan, Jean-Claude Mequish, devant sa population, mais aussi des dizaines d’invités, dont des élus, lors de la cérémonie d’inauguration des travaux.
Le projet de 70 millions $ sera réalisé en collaboration avec Hydro-Québec et soutenu par les gouvernements du Québec et du Canada.
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«Ça fait plus que dix ans qu’on travaille là-dessus, il y a quatre chefs avant moi qui ont travaillé pour qu’on réussisse à avoir de l’électricité en permanence», a indiqué le chef Mequish en parlant de la centrale de cogénération à la biomasse forestière qui devrait permettre à la communauté de devenir autonome sur le plan énergétique et ainsi éviter «toutes sortes de problèmes» causés par l’instabilité du réseau électrique actuel.
La centrale au diesel tombe fréquemment en panne, a expliqué Jean-Claude Mequish, comme ce fut le cas lors d’une période de froid intense en février dernier.
Pendant deux semaines, les habitants ont dû réduire leur consommation d’électricité et les quartiers de la communauté ont été alimentés en alternance afin d’économiser l’énergie. L'école primaire, comme d’autres bâtiments, a dû fermer ses portes plusieurs jours. Des malades ont dû être déplacés vers des bâtiments chauffés et c'est sans compter les aliments que les familles perdent lors des fréquentes pannes d'électricité.
«Cette communauté fait partie de celles qui n'ont pas de réseau électrique fiable», a indiqué le chef de l'Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), Ghislain Picard, à La Presse Canadienne.
«Comme Premières Nations, on peut se permettre des idéaux, dont le plein exercice à notre droit à l'autodétermination, mais en attendant, il faut se donner les moyens de relever les conditions socio-économiques de nos communautés», a ajouté le chef de l'APNQL en faisant référence au leadership des dirigeants de la communauté atikamekw.
Selon les estimations de la firme Enviro-accès, la nouvelle centrale devrait émettre 85 % moins de GES et 50 % moins de particules fines que le système de production d'énergie actuel qui fonctionne au diesel.
Le projet permettrait aussi d'éviter 105 livraisons de camions de diesel chaque année.
La centrale de cogénération appartiendra à la Société en commandite Onimiskiw d'Opitciwan (SCOO), qui elle, est détenue à 100 % par le Conseil des Atikamekws d’Opitciwan.
L’électricité qui sera produite par la centrale proviendra de la biomasse générée par la scierie locale qui produit du bois de construction.
«C’est un exemple parfait d’économie circulaire», selon l’administrateur de la SCOO, Grégoire Lemay.
«On a du bois qui est récolté par des entrepreneurs de la communauté, ces entrepreneurs acheminent le bois à la scierie détenue par la communauté majoritairement, le sous-produit du bois, qui est l’écorce, est utilisé comme combustible pour faire l’électricité qui elle, est consommée par ces mêmes personnes dans la communauté», a expliqué M. Lemay.
Actuellement, les écorces de la scierie d’Opitciwan sont vendues en Abitibi, à des centaines de kilomètres d'Opitciwan.
«Le plus ironique là-dedans, c'est que l’écorce est envoyée à des centaines de kilomètres pour produire de l'électricité. Alors, pendant que le camion va porter son chargement d’écorces à l’extérieur, il croise un camion de diesel qui s'en vient alimenter la communauté. Ça ne fait aucun sens», a souligné Grégoire Lemay.
Pourtant, le village est situé sur la rive nord du réservoir Gouin, qui alimente les centrales hydroélectriques qui fournissent de l’énergie aux populations du sud de la province.
Avant de servir les installations d’Hydro-Québec, le réservoir Gouin avait été aménagé pour permettre la régularisation du débit de la rivière Saint-Maurice et favoriser la drave, au début du XXe siècle.
La construction du réservoir a inondé les terres de la Première Nation atikamekw d'Opitciwan, qui a dû déménager deux fois.
En mai 2016, le Tribunal des revendications particulières a reconnu que l’inondation volontaire des terres d’Opiticiwan avait causé l'engloutissement des terrains et la destruction des habitations ainsi que de tous les biens qui s'y trouvaient, et même un cimetière ancestral.
À l’époque, l'eau était devenue non potable après l'inondation, en raison de carcasses d'animaux noyés qui s'y trouvaient comme nombre de matières en décomposition. Plusieurs Autochtones en sont morts, et bien d'autres ont été malades, peut-on lire dans l'un des jugements rendus au printemps 2016.
Le chef du Conseil des Atikamekw d’Opitciwan considère d’ailleurs que les barrages d’Hydro-Québec sur le réservoir Gouin et l’inondation du territoire constituent toujours une «occupation illégale» du territoire.
Toutefois, «les relations se sont beaucoup améliorées avec Hydro-Québec» dans les dernières années et «il y a eu beaucoup d’échanges et d’entraide des deux côtés», a tenu à souligner le président de la SCOO, Denis Clary, en faisant référence à la participation d’Hydro-Québec au projet de la centrale à biomasse.
«C’est une période, et nos membres doivent le comprendre qu'il y a une sorte de main tendue avec Hydro-Québec», a ajouté le chef Jean-Claude Mequish.
Le ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, Ian Lafrenière, a souligné que le début des travaux est l'aboutissement de «plusieurs années de travail acharné de la part de la communauté avec le gouvernement provincial, le fédéral et Hydro-Québec».
La mise en service de la centrale, dont la puissance serait de 4,8 mégawatts, est prévue pour 2026.