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Loi 21: Ottawa riposte et évoque une menace contre les institutions

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1bcb5edf5f45df92d6a486ef56b5d28392d81d32c8f313ca0c545ed490bcbb75.jpg Le ministre de la Justice du Canada, Sean Fraser, s'adresse aux journalistes avant une réunion du caucus libéral sur la colline du Parlement, à Ottawa, le mercredi 8 octobre 2025. LA PRESSE CANADIENNE/Spencer Colby (Spencer Colby / La Presse Canadienne)

Ottawa riposte aux quatre provinces alliées du Québec pour défendre la disposition de dérogation, dans le dossier de la contestation de la loi sur la laïcité de l'État: le fédéral a invoqué, mercredi, les menaces qui pèsent sur les institutions, ainsi que la guerre en Ukraine.

Le Bloc québécois (BQ) s'est indigné à la période de questions de cet argumentaire du ministre fédéral de la Justice, Sean Fraser, qui défend le droit pour son gouvernement d'intervenir. 

Rappelons que dans cette cause, la Commission scolaire English-Montreal et d'autres intervenants s'adressent à la Cour suprême pour contester la loi sur la laïcité. Le Québec défend son recours à la disposition de dérogation pour protéger sa loi contre les contestations devant les tribunaux, tandis que le fédéral de son côté veut limiter le recours à cet outil. 

Mais dans une lettre rendue publique mardi, les premiers ministres de l'Ontario, de l'Alberta, de la Saskatchewan et de la Nouvelle-Écosse demandent conjointement avec François Legault à leur homologue fédéral Mark Carney de se retirer de cette cause.  

Le plaidoyer d'Ottawa est une «attaque directe contre les principes constitutionnels fondamentaux du fédéralisme et de la démocratie», écrivent-ils. 

La position des premiers ministres de ces provinces est «ironique» et «intenable», a répliqué le ministre Sean Fraser, en mêlée de presse mercredi matin avant la séance du caucus libéral. 

Les Canadiens doivent être «très vigilants», a-t-il plaidé: si jamais un jour le pays est entraîné dans la chute, ce sera par un gouvernement rendu trop puissant en raison de l'érosion des droits des citoyens et il sera trop tard.

«Plus précisément, nous sommes à une époque où les institutions sont mises à rude épreuve (...), les échanges commerciaux internationaux sont menacés, un membre du Conseil de sécurité de l'ONU défie ouvertement les valeurs de la Charte de l'ONU - la Russie envahit l'Ukraine», a-t-il évoqué, pour justifier qu'Ottawa doit défendre les droits des citoyens et la Charte des droits et libertés. 

Un dérapage

«Ce ministre a encore dérapé», a dénoncé le député bloquiste Rhéal Fortin, au cours d'une période de questions particulièrement houleuse.

«Pour lui, le recours du Québec à la clause dérogatoire pour protéger la laïcité de l'État, ça met la démocratie en danger de manière comparable à l'évasion de l'Ukraine par la Russie», a-t-il poursuivi. 

«Franchement, est-ce qu'il ne va pas immédiatement retirer cette analogie boiteuse et insultante?» a demandé l'élu bloquiste.

«Lorsqu'un député décide de mal interpréter une citation pour servir ses fins politiques, il est clair qu'il trouve que son argument est faible», a répondu M. Fraser. 

Devant les journalistes, le ministre avait soutenu que cette cause était un «enjeu national» qui aurait un «effet durable» et qu'il était «inimaginable» que le fédéral reste les bras croisés.

Il craignait notamment les «excès» des Parlements et a souligné que dans certains pays, les gouvernements étendaient leur emprise sur les instances judiciaires qui perdaient leur indépendance.  

«Je ne suis pas en train de suggérer que le gouvernement du Québec menace les tribunaux», a-t-il tenu à préciser, tout en résumant la position de son gouvernement.

«La clause dérogatoire n'a pas été conçue pour permettre aux gouvernements provinciaux de restreindre de façon permanente les droits dont jouissent les Canadiens», a-t-il conclu. 

Pour leur part, les signataires de la lettre prétendent que «les arguments avancés par le gouvernement fédéral font complètement fi du compromis constitutionnel ayant permis l’adoption de la Charte (des droits et libertés). Ces arguments mettent en péril l’unité nationale en tentant de miner la souveraineté des États fédérés».

La Loi sur la laïcité interdit le port de signes religieux notamment chez les enseignants et les juges.

Dans son mémoire, Ottawa a choisi d'éviter de se prononcer sur les fondements de la loi, mais plutôt de s'attaquer à l'emploi de la disposition de dérogation.

Si elle est employée de façon répétée, cette disposition équivaut à «modifier indirectement la Constitution», fait valoir Sean Fraser.

Ou encore, si son emploi n'est pas encadré, elle pourrait «autoriser l’exécution arbitraire ou l’esclavage», peut-on lire, ce qui a soulevé la colère du Bloc.  

De l'avis du fédéral, la Cour suprême devrait pouvoir statuer sur la question de savoir si un recours répété à cette clause peut entraîner une «atteinte irréparable» aux droits des Canadiens.

«L’impossibilité prolongée d’exercer un droit ou une liberté visés par l’article 33 reviendrait, en pratique, à en nier l’existence même, ce qui ne peut se faire que par une modification constitutionnelle», peut-on lire dans le mémoire.

On ne sait pas encore quand la Cour suprême tiendra ses audiences sur la contestation de la loi. 

Patrice Bergeron

Patrice Bergeron

Journaliste