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La Cour d'appel a statué qu'un syndicat de cols bleus n'a pas dépassé les limites de la liberté d'expression en publiant un encart publicitaire pour sensibiliser les citoyens aux «risques» d'accorder le déneigement en sous-traitance.
La Cour d'appel infirme ainsi une décision de la Cour du Québec, qui avait accueilli une demande d'élus municipaux pour atteinte à leur réputation par le syndicat et l'avait condamné à verser à chaque intimé 3000 $ en dommages-intérêts compensatoires et 5000 $ à titre de dommages punitifs.
Le litige prend sa source dans un différend entre une section locale du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), affilié à la FTQ, et des élus municipaux de La Minerve, dans les Laurentides, quant à l'opportunité de confier le déneigement en sous-traitance au privé, afin d'en réduire les coûts.
La municipalité avait déjà confié en sous-traitance certains tronçons, invoquant des questions de sécurité. Et le syndicat craignait qu'elle aille plus loin en la matière, nuisant ainsi aux emplois de ses membres.
Le syndicat avait fait paraître un encart publicitaire dans des hebdomadaires régionaux. Après avoir affirmé que les cols bleus faisaient un excellent travail de déneigement, il y affirmait que «les dirigeants de la Ville se préparent à confier ce travail à l'entreprise privée. Pour justifier cette décision irrationnelle, ceux-ci ont recours à une forme de "sabotage" en démantelant les méthodes de travail éprouvées qui ont garanti l'excellence du déneigement».
Le message faisait également référence au rapport de la Commission Charbonneau, rappelant que ses travaux «ont pourtant clairement démontré que la sous-traitance peut ouvrir la porte aux dépassements de coûts, à la collusion et à la corruption».
S'estimant victimes de diffamation, des élus municipaux avaient intenté un recours contre le syndicat en août 2020.
La Cour du Québec avait donné raison aux élus municipaux et avait condamné le SCFP et sa section locale à payer des dommages.
La Cour d'appel vient d'infirmer la décision, estimant que le juge de la Cour du Québec «commet plusieurs erreurs».
Entre autres, ce juge sous-estime «la capacité de discernement du "citoyen ordinaire"» qui aurait compris de cette publication que le syndicat cherchait à protéger les emplois de ses membres et qu'il cherchait à alerter la population des "dangers" de la sous-traitance, explique la Cour d'appel.
Elle ajoute qu'il faut aussi placer cette publication dans son contexte de relations de travail difficiles, où il y a eu un manque de communication de part et d'autre.
Elle ajoute que l'arène politique est un terrain où peuvent avoir lieu des «échanges virulents». «Ces débats sont cependant d'une importance cruciale pour la vitalité de notre démocratie.»
«La vitalité du débat public dépend en effet de la liberté avec laquelle peuvent s'exprimer celles et ceux qui tentent d'y faire valoir leurs idées. Cela implique qu'il doit être possible d'y exprimer son désaccord avec les décisions adoptées ou projetées par les élus et de critiquer les positions qu'ils défendent.»
«Les personnes qui s'impliquent dans la vie politique jouent un rôle social de première importance. En acceptant de participer au débat public, elles s'exposent cependant à la critique, laquelle peut parfois se révéler acerbe et incisive. Dans le cadre de ces débats, les élus se doivent d'assumer le poids de leurs décisions lorsque ces dernières sont attaquées et faire montre d'une certaine tolérance face à la critique», écrit la Cour d'appel.
Elle conclut que faire paraître une publicité pour sensibiliser l'opinion publique aux préoccupations des employés relève d'une «manifestation de la liberté d'expression qui, ici, n'a pas été exercée de manière négligente et encore moins de mauvaise foi»
La référence à la Commission Charbonneau, «même si elle laisse place à l'interprétation, n'est pas inexacte».
«Certes, les propos sont durs, ils déforment quelque peu la réalité et le langage utilisé manque de nuances, mais il s'agit d'opinions que peut valablement exprimer une personne raisonnable dans les circonstances. Les appelants étaient en droit de communiquer leurs inquiétudes à la population via les journaux afin de conscientiser les citoyens et de les inciter à poser des questions aux élus. Cela participe de la liberté d'expression dans un contexte de relations de travail en milieu municipal», conclut la Cour d'appel.