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La Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique recommande l’adoption d’une loi qui définit, encadre et protège la liberté universitaire.
Les étudiants devront s’y faire : les salles de cours des universités ne peuvent pas être considérées comme des « espaces sécuritaires » (aussi appelés « safe spaces ») et toutes les idées, tous les sujets sans exception peuvent y être débattus.
La Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique a déposé mardi un imposant rapport qui vise à établir des règles qui permettront à la liberté universitaire d’être bien définie et protégée dans les institutions d’enseignement supérieur.
« Il n’existe pas de droit de ne pas être offensé », a déclaré d’entrée de jeu son président, l’ex-ministre et aujourd’hui vice-recteur à l’Université du Québec à Chicoutimi, Alexandre Cloutier, citant la Cour suprême dans l’affaire Ward.
La commission recommande entre autres l’adoption d’une loi qui définit, encadre et protège la liberté universitaire et qui imposerait aux universités divers mécanismes pour assurer sa mise en œuvre et son respect.
Bien que le premier ministre François Legault se soit montré peu réceptif à l’idée d’une loi dans le passé, Alexandre Cloutier estime qu’il faut privilégier la voie législative « pour qu’il y ait une définition qui soit conforme pour tous les établissements universitaires du Québec et qu’il y ait des mécanismes de traitement des litiges qui soient uniformes sur l’ensemble du territoire québécois ».
Les commissaires ont sondé plus d’un millier d’enseignants et presque autant d’étudiants et il en ressort notamment que la vaste majorité des deux côtés s’oppose à la censure de mots, de sujets, et sont très majoritairement en faveur de l’idée qu’un membre du corps professoral devrait pouvoir traiter tous les sujets relevant de son domaine d’expertise, peu importe son genre, son identité de genre, son orientation sexuelle, son ethnicité ou sa religion.
Malgré tout, une plus forte proportion d’étudiants que de professeurs, bien que minoritaires, voudraient interdire certains mots ou certains sujets. Mais le commissaire Yves Gingras, professeur à l’UQAM, rappelle d’une part qu’ils sont à l’université et, d’autre part, que la majorité des étudiants ne sont pas d’accord avec cette approche.
« L’université, c’est une institution spécifique. (…) Ce n’est pas l’école secondaire, ce n’est pas le cégep, c’est un lieu d’avancement des connaissances et, donc, de débats parce que la connaissance ne se fait qu’à travers les échanges souvent conflictuels », affirme M. Gingras.
« Ce n’est pas uniquement les profs versus les étudiants. Il y a des pressions et c’est normal, mais quand les étudiants vont voir qu’ils ont le droit d’apprendre, que c’est leur droit à eux, ils vont réclamer que, dans une classe, il n’y ait pas un sous-groupe qui veut les empêcher d’énoncer des opinions de droite ou de gauche ou d’extrême-droite ou d’extrême-gauche. C’est un débat universitaire. »
Alexandre Cloutier fait pour sa part valoir que près des deux tiers des enseignants disent s’être autocensurés au cours des dernières années sur l’usage de certains mots dans le cadre de leur enseignement, une situation qui ne peut plus durer, selon lui.
« Toutes les idées et tous les sujets sans exception peuvent être débattus de manière rationnelle et argumentés dans les classes, dit-il. Les établissements peuvent bien évidemment prévoir des espaces spécifiques afin de permettre aux étudiants d’exprimer leurs préoccupations et discuter librement entre eux sans jugement, sans crainte d’être offensés, mais une salle de classe, ce n’est pas un “safe space” : c’est un endroit pour discuter, dialoguer, questionner des idées. »
Une autre commissaire, Aline Niyubahwe, professeure à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, rappelle au passage que le rapport recommande aussi un soutien pour les enseignants. « Faire référence à un mot ne signifie pas utiliser un mot dans le sens de blesser. Quand c’est utilisé dans un contexte pédagogique, ça se comprend et l’étudiant aussi peut comprendre que ce n’est pas fait pour blesser, mais pour comprendre la matière. Si les profs sont accompagnés, ils vont aborder le sujet avec doigté et avec tout le respect que ça nécessite en classe. »
Outre les recommandations sur l’adoption d’une loi, la Commission émet aussi cinq avis fort importants, dont celui sur les espaces sécuritaires cité plus haut, mais aussi sur les traumavertissements _ des avertissements faits lorsque certains sujets sensibles seront abordés _ indiquant que la décision d’en émettre relève aussi de la liberté universitaire et ne peut être imposée.
Elle invite également les universités à se donner des règles sur l’usage des médias sociaux « de façon à prévenir et à sanctionner, le cas échéant, la cyberintimidation envers des membres de la communauté universitaire ».
« Les politiques en lien avec les médias numériques sont loin d’être uniformes d’une institution à l’autre et certaines d’entre elles nécessiteraient une mise à jour importante », dit M. Cloutier.
Elle demande également aux directions des institutions de « défendre et protéger la liberté universitaire » contre les pressions qui lui portent atteinte et de « prendre fait et cause » pour les membres de la communauté universitaire qui seraient visés par des procédures judiciaires pour avoir exercé leur liberté universitaire.
La Commission définit la liberté universitaire, distincte de la liberté d’expression au sens large, comme étant le droit « en dehors de toute contrainte doctrinale » d’enseigner, discuter, faire de la recherche, créer, publier et « d’exprimer son opinion sur l’établissement ou le système au sein duquel travaille le bénéficiaire de cette liberté, de ne pas être soumis à la censure institutionnelle », notamment, le tout « en conformité avec les normes d’éthique et de rigueur scientifique ».
Quant à la loi que la Commission propose d’adopter, celle-ci devrait comprendre au-delà des principes et définitions, l’obligation pour les universités de se doter : d’un comité sur la liberté universitaire dont le mandat consiste à entendre les litiges entourant ces questions et à formuler des recommandations après analyse ; d’une politique sur la liberté universitaire comprenant certaines modalités de son application, incluant d’éventuelles sanctions, des mesures de sensibilisation et d’information, des ressources et outils pédagogiques, par exemple sur la manière d’aborder des sujets potentiellement sensibles.
Une telle loi n’existe nulle part ailleurs, souligne Alexandre Cloutier, et pourrait en inspirer plusieurs. « On pense vraiment que le Québec peut devenir un modèle ailleurs dans le monde et on peut même penser que ça va devenir attractif pour d’autres étudiants de venir étudier au Québec, parce qu’ils vont savoir qu’ils ont le droit de s’exprimer librement. »
Il a conclu sa conférence de presse en rappelant que l’ouverture du débat dans les universités a un impact qui va bien au-delà des institutions. « On a une responsabilité comme société de s’assurer que dans nos universités on a le droit de débattre librement et on a le droit de s’exprimer _ dans le respect, évidemment, et pas de n’importe quelle manière _ dans le respect de la mission de l’université. Il faut préserver ça, parce que c’est directement lié à la démocratie. »
Le rapport a déjà reçu un accueil favorable de la ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, qui dit recevoir « avec beaucoup d’intérêt les conclusions formulées par le groupe d’experts ». Rappelant que la Commission a été mise sur pied dans la foulée de plusieurs incidents remettant en cause la liberté académique, la ministre s’engage à en analyser les conclusions rapidement et de rendre publiques les intentions du gouvernement à cet effet. Elle note que « les audiences publiques, les mémoires et les témoignages confirment les préoccupations de la communauté universitaire à l’égard de cet enjeu, et je les entends ».
Du côté syndical, la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ-CSN), qui représente 85 % des chargés de cours universitaires, « accueille avec satisfaction » les recommandations de la Commission, y voyant une réponse à certaines de ses demandes. Sa vice-présidente, Christine Gauthier, souligne par voie de communiqué que ces recommandations « sont un bon rempart contre l’autocensure que plusieurs de nos membres avouent s’imposer pour éviter des plaintes aux conséquences sérieuses, compte tenu de leur statut précaire ».
Elle salue l’avis selon lequel « dans un contexte pédagogique, tous les sujets et enjeux de société (même controversés) doivent pouvoir être abordés, enseignés et discutés, dans le respect ». Enfin, elle se réjouit d’y retrouver également « une disposition précisant le statut supérieur que devrait avoir la liberté académique sur d’autres obligations juridiques des enseignantes et des enseignants, notamment le devoir de loyauté », qu’elle estime avoir été utilisé de façon abusive au cours des dernières années.