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«Mes enfants sont orphelins alors que leur mère est en vie.»
Trophaina Wilson, une réfugiée du Burundi, n’a pas vu ses cinq enfants depuis sept ans. Ceux-ci sont en Tanzanie, réfugiés dans les faits, mais sans statut dans ce pays qui préférerait les renvoyer au Burundi. «Mes enfants dorment parfois à l'extérieur de leur demeure parce qu'ils ont peur d'être détenus», une réalité qui les guette dans ce pays qui ne les accepte pas.
«Je ne peux pas dormir, je ne peux rien faire», dit-elle en sanglots, alors qu’elle participe à une conférence de presse, lundi, où les responsables de l’organisme Action réfugiés Montréal (ARM) réclament d’Ottawa que l’on ouvre une voie de passage aux familles de réfugiés. Ils demandent que les familles immédiates – enfants et conjoints ou conjointes – de personnes réfugiées qui ont été acceptées au pays et dont le statut de réfugié est reconnu, puissent entrer plus rapidement au Canada, soit avec le permis de résidence temporaire (PRT) ou le permis de séjour temporaire (PST).
Le cas de Mme Wilson est très loin d’être unique. L’acceptation de réfugiés est soumise à un seuil fixé par le gouvernement fédéral et lorsque les demandes de réfugiés et de leurs familles atteignent ce seuil, tous les autres doivent attendre à l’année suivante pour refaire le processus, de sorte que les retards s’accumulent. ARM n’est pas en mesure de chiffrer le nombre de dossiers accumulés, mais estime qu’on parle de plusieurs milliers, sinon de dizaines de milliers de réfugiés qui attendent, en moyenne, quatre, cinq et même sept ans, comme Trophaina Wilson.
Pour illustrer le caractère insoutenable de cette situation, le directeur général d’Action réfugiés Montréal, Carlos Rojas-Salazar, demande à tous les parents de faire ce qu’il appelle «un exercice d’empathie: imaginez-vous, vous êtes séparé de vos enfants non pas pendant des heures, mais pendant des années. Imaginez tout ce que vous allez perdre, leurs apprentissages, leurs rires. Imaginez-vous ne pas pouvoir être avec vos enfants pour les soigner, pour les embrasser quand ils sont tristes, pour les nourrir.»
La situation est d’autant plus absurde que le processus d’entrée accélérée de membres de la famille que réclament les réfugiés est déjà en place pour les personnes immigrantes et, puisque les demandes de réunification familiale seront presque toutes acceptées éventuellement pour les réfugiés, ARM estime qu’il y a là une forme de discrimination dans les processus.
Plus encore, le Canada, en agissant de la sorte, se place en contravention face à ses propres engagements, souligne Me Yves Martineau, de l’Association québécoise des avocates et avocats en droit de l’immigration (AQAADI), qui rappelle que le Canada a signé en 1991 la Convention des Nations unies sur le droit des enfants. «Entre autres, l'article 9 de la Convention parle du fait que les enfants ne doivent pas être séparés de leurs parents. Quand les délais de traitement qui s'accumulent d'année en année font en sorte que les familles sont séparées, on a un problème humain, mais aussi un problème juridique.»
Le juriste va plus loin, estimant que cette attente va «à l'encontre même de l'objet de la Loi de l'immigration. Les lois de l'immigration – c’est une opinion juridique personnelle – sont écrites, sont pensées à l'origine surtout pour le bienfait et l'intérêt de la société d'accueil et rarement pensées d'abord dans le meilleur intérêt des personnes qui sont affectées, c'est-à-dire les immigrants», avance-t-il.
Il ajoute au passage que «si une mère reçoit ses enfants, ils vont rester sous un même toit. Ils ne vont pas prendre plus de logements. Ils ne vont pas augmenter la crise du logement».
Une personne réfugiée est une personne qui est entrée au Canada, qui a demandé et obtenu le statut de réfugié en faisant la démonstration qu’elle répond à trois critères, soit: qu'elle a une crainte bien fondée de persécution; que l'État de son pays d'origine n’est pas en mesure de la protéger et; qu'elle n'est pas en mesure de fuir cette persécution nulle part dans son pays d'origine. Une fois acceptées comme réfugiées, ces personnes feront ensuite une demande de résidence permanente.
Rehab El Mezeini, coordonnatrice à ARM, affirme qu’Ottawa n’a aucune raison de ne pas offrir les mêmes règles du jeu aux réfugiés qu’aux immigrants. «Le problème des délais vient directement de notre système d'immigration. La bonne nouvelle, c'est le gouvernement qui a mis en place le système et, donc, ça veut dire que c'est le gouvernement qui a le pouvoir de modifier le système et le mettre à jour pour qu'il réponde davantage aux besoins et aux engagements humanitaires du Canada.»
«Les personnes qui n'ont nulle part où aller, qui courent pour sauver leur vie, qui recherchent une protection ne devraient pas être limitées par un quota», lance-t-elle, faisant valoir que «ce sont des gens qui vont venir de toute façon. Qu'ils viennent maintenant ou plus tard, ils vont venir».
Selon les intervenants sur place, le ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, a le pouvoir de modifier ces règles sans que le Parlement ne soit convoqué, ce qui serait un obstacle en soi dans les circonstances actuelles où la session a été prorogée et que tout indique que les travaux ne reprendront pas avant qu'une élection ne produise un nouveau gouvernement..
Le cabinet du ministre Miller n’a pas voulu s’engager à cet effet, un long courriel envoyé à La Presse Canadienne indiquant à la fin que «nous ne spéculerons pas sur les décisions politiques futures». La missive confirme du même coup les affirmations d’Action réfugiés Montréal, admettant que «dans certains cas, le nombre de nouvelles demandes reçues dépasse le nombre de demandes admises chaque année, ce qui peut allonger les délais de traitement et entraîner une augmentation de l’inventaire».
Le bureau du ministre Miller tente d’abord d’imputer la faute à Québec, évoquant que «le Québec assume l’entière responsabilité quant à la sélection des immigrants qui veulent s’établir dans la province, à l’exception des demandeurs de la catégorie du regroupement familial et des demandeurs d’asile au Canada». Or, c’est justement de la catégorie du regroupement familial dont il est question ici et la solution demandée des permis temporaires relève du ministre fédéral.
On nous précise enfin qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada «a continué de réduire ses arriérés en numérisant les demandes, en exploitant les technologies d’automatisation pour accroître la capacité et l’efficacité de traitement», dans le but de «traiter ces enjeux (de délais de traitement) avec diligence».
Pour Trophaina Wilson, une telle accélération de la démarche pourrait peut-être permettre, espère-t-elle, de fermer des plaies qui, visiblement, lui font très mal. «Quand je lui parle au téléphone, ma fille me dit que je lui ai menti, que j’avais promis de revenir les chercher, mais que je les ai abandonnés», a-t-elle confié à La Presse Canadienne, la gorge nouée, une fois la conférence de presse terminée.