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Le décès Pierre Coriolan, abattu par les policiers de Montréal en juin 2017 alors qu’il était en état de crise, est la conséquence d’un manque de formation en désescalade des policiers impliqués.
Le décès Pierre Coriolan, abattu par les policiers de Montréal en juin 2017 alors qu’il était en état de crise, est la conséquence d’un manque de formation en désescalade des policiers impliqués.
Le coroner Luc Malouin a déposé mercredi un rapport d’enquête sur cette affaire dans lequel il insiste sur le fait que l’ensemble des policiers impliqués «n’avaient eu aucune formation sur la façon d’aborder ce genre de situation», ajoutant que ce manque de formation «est problématique et inacceptable».
«L’intervention a été menée en fonction de la formation qu’avaient les policiers au moment des événements», c’est-à-dire la formation pour intervenir dans un cas de tireur actif qui consiste à intervenir rapidement pour isoler et contrôler une personne menaçante. Dans le cas de Pierre Coriolan, toutefois, cette façon de faire était complètement contre-indiquée, mais « on ne peut (…) demander à des policiers d’appliquer des notions et des façons de faire qu’on ne leur a jamais enseignées », fait valoir le coroner.
Dans le dossier de Pierre Coriolan, l’affaire débute par un appel au 911 faisant état d’un homme en crise qui était en train de tout briser dans son appartement. La personne qui téléphone spécifie qu’il s’agit d’une personne en détresse et souffrant de problèmes de santé mentale. Les policiers dépêchés sur les lieux demandent l’assistance de collègues formés pour utiliser une arme à impulsion électrique, aussi appelée taser, et une arme d’impact à projectile non létale.
Les policiers entendent du bruit en arrivant, mais une fois montés à l’appartement, ils constatent que la porte est entrouverte et que M. Coriolan est assis, immobile, sur un divan, tenant dans ses mains un couteau et un tournevis et ne semble pas conscient de l’arrivée des policiers. Deux policiers lui crient de lâcher ses armes, après quoi l’homme de 58 ans se lève et se dirige vers eux en marchant, tenant toujours le couteau et le tournevis. Un projectile non létal l’atteint à la cuisse, mais il continue d’avancer. On tente ensuite d’utiliser le taser, mais sans succès. Il atteint le corridor, toujours avec ses armes dans les mains et continue de s’avancer vers les policiers qui, à ce moment, feront feu, l’atteignant mortellement de trois projectiles.
Selon le témoignage de deux experts en intervention avec usage de la force, l’opération, qui a duré 5 minutes 18 secondes, aurait dû se dérouler plus lentement. Le sergent responsable aurait dû, selon eux, rester en retrait, analyser, planifier et choisir de basculer en mode défensif puisqu’il «n’y avait plus aucune urgence d’agir à ce moment».
«M. Coriolan est dans son monde, a brisé ses biens et, manifestement, il est seul dans son appartement. Il marmonne seul et n’a aucunement conscience de la présence des policiers tant que ceux-ci ne lui intiment pas de lâcher ses armes. Manifestement, il n’y a aucun danger pour personne et il faut donc trouver un dénouement paisible à la situation», écrit le coroner.
Il s’explique mal le manque de formation en désescalade, d’autant plus que depuis 2012 sept rapports de coroner, dont un signé par lui-même en 2016, ont soulevé le besoin de donner aux policiers de meilleurs outils pour intervenir en situation de crise. La recommandation n’a rien d’anodin : Luc Malouin souligne que le SPVM répond annuellement à 50 000 appels pour des personnes en crise, soit près de 1000 par semaine. Le poste de quartier 21, d’où provenaient les policiers impliqués, a reçu entre 2015 et 2020 plus de 14 000 appels pour des personnes en crise.
Mais en raison de leur manque de formation, les policiers ont «agi avec des méthodes dépassées et aucunement à jour avec les connaissances actuelles».
Le coroner souligne que l’époque du policier qui applique bêtement un texte de loi ou un règlement quelconque est révolue. «On s’attend maintenant à ce qu’ils aient à l’occasion pratiquement les compétences des travailleurs sociaux et des psychologues. C’est une nouvelle réalité et il n’est pas facile pour tous les acteurs de ce milieu de s’adapter avec rapidité à ce changement. Pas plus qu’il n’est facile pour les organisations policières de faire ce virage pourtant essentiel et obligatoire», martèle le coroner Malouin.
L’École nationale de police du Québec donne cette formation en désescalade, qui enseigne une approche en douceur, basée sur la communication, qui sera obligatoire pour tous les policiers. Le SPVM a également mis sur pied ce genre de formation et vise à avoir formé l’ensemble de ses policiers et superviseurs d’ici trois à quatre ans.
C’est donc sans surprise que le coroner Malouin recommande au ministère de la Sécurité publique, à la ministre de la Sécurité publique Geneviève Guilbault, au SPVM et à la Sûreté du Québec, notamment, de déterminer les exigences en matière de formation continue et de mise à jour des compétences policières, de modifier la loi pour y inclure l’obligation de suivre une formation continue annuelle qui comprend une requalification en désescalade. Il recommande également «de prioriser le déploiement de cette formation aux personnes en autorité et aux supérieurs dans un poste de police et de prendre tous les moyens possibles pour que les principes de désescalade deviennent partie prenante du travail quotidien des policiers».
Les proches de Pierre Coriolan ont réagi par voie de communiqué, se disant «satisfaits du rapport». Ils reprennent à leur compte le fait que «devant une personne en crise, il faut continuellement bien réfléchir à chaque geste que l’on pose» et qu’il est important de prendre son temps.
«La seule présence des personnes en uniforme peut provoquer une augmentation de la crise», font-ils valoir, estimant quand «sommant M. Coriolan comme ils l’ont fait, les policiers ont provoqué une réaction en chaîne».
Ils affirment à leur tour que dans une telle situation, les policiers doivent « y aller avec douceur, ne pas hausser le ton et tenter d’établir un contact avec la personne pour amener un déroulement pacifique ». Tout comme le coroner Malouin, ils dénoncent également l’absence de formation des policiers en intervention auprès des personnes en crise.
Les deux sœurs de M. Coriolan poursuivent la Ville de Montréal, lui réclamant 160 000 $ pour le décès de leur frère.