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La Cour suprême du Canada a déclaré inconstitutionnelles les peines minimales obligatoires d’un an d’emprisonnement pour possession ou accès à de la pornographie juvénile, vendredi.
Par une décision rendue à cinq voix contre quatre, la Cour suprême a affirmé que, bien que ces peines contribuent aux objectifs de dénonciation et de dissuasion, elles privent les juges du pouvoir discrétionnaire d’imposer d’autres peines que l’emprisonnement lorsque cela est approprié.
Les politiciens conservateurs ont rapidement dénoncé cette décision.
Dans une publication sur les médias sociaux, la première ministre de l'Alberta, Danielle Smith, a qualifié le jugement d'«outrageux» et a exhorté le gouvernement fédéral à l'infirmer en invoquant la clause dérogatoire de la Constitution.
Le chef conservateur Pierre Poilievre a indiqué que son parti, s'il formait le gouvernement, utiliserait la clause dérogatoire pour annuler cette décision «inacceptable» et réintroduirait les peines minimales obligatoires pour possession de matériel pédopornographique.
Le député du Parti conservateur du Canada Larry Brock, porte-parole du parti en matière de justice, a déclaré que la décision constituait une «insulte répugnante et cruelle» aux victimes.
Cette décision confirme un arrêt de la Cour d’appel du Québec, qui avait jugé que les peines minimales obligatoires violaient la garantie de la Charte canadienne des droits et libertés contre les peines cruelles ou inusitées.
L’arrêt de la Cour d’appel survenait à la suite des cas de deux hommes qui avaient plaidé coupables d'infractions liées à la pornographie juvénile.
La Couronne et le procureur général du Québec ont fait appel devant la Cour suprême, qui a entendu la cause en janvier.
La majorité des juges de la plus haute instance judiciaire a statué qu'une peine minimale obligatoire ne viole pas nécessairement la protection de la Charte contre les peines ou traitements cruels et inusités.
Toutefois, lorsque l'application d'une peine minimale obligatoire est large et couvre un vaste éventail de circonstances, la peine est constitutionnellement vulnérable, car elle ne laisse d'autre choix que d'imposer une peine manifestement disproportionnée à certains contrevenants, a statué la Cour.
Afin de déterminer si une peine minimale obligatoire est conforme à la Charte, une analyse contextuelle et comparative en deux étapes est requise, a écrit la juge Mary Moreau au nom de la majorité.
La première étape consiste à déterminer une peine juste et proportionnée pour le contrevenant en question et, possiblement, pour d'autres contrevenants raisonnablement prévisibles, a-t-elle expliqué.
La deuxième étape exige une comparaison entre la peine déterminée à la première étape et la peine minimale obligatoire, notamment en ce qui concerne l'ampleur de l'écart entre ces deux peines.
L'utilisation de «scénario hypothétique raisonnable» est indispensable à un contrôle de constitutionnalité efficace, car l'objectif est de garantir son application à tous les citoyens, et non seulement à la personne en mesure de contester la validité d'une loi, a écrit la juge Moreau.
Pour statuer sur l'appel, la Cour suprême a examiné le cas d'un jeune homme de 18 ans recevant, par téléphone portable, d'un ami du même âge, une photo explicite de la petite amie de ce dernier, âgée de 17 ans.
Le destinataire conserve l'image sur son téléphone et la regarde brièvement, sachant qu'elle constitue de la pornographie juvénile.
À l'ère de la communication numérique, «ce n’est pas invraisemblable» qu'un jeune homme de 18 ans reçoive d'un ami une image correspondant à la définition de la pornographie juvénile, a écrit la juge Moreau.
Bien que les actes du contrevenant représentatif dans ce scénario soient graves et méritent d'être dénoncés, ils se situent au bas de l'échelle de gravité des infractions d'accès et de possession de pornographie juvénile, a-t-elle précisé.
«Le jeune âge du délinquant, ainsi que le fait qu’il a reçu une photo sans la demander et qu’il n’a pas d’antécédents judiciaires constituent des circonstances atténuantes importantes», a écrit la juge Moreau.
Infliger une peine d'un an d'emprisonnement au prévenu représentatif de 18 ans, alors qu'une peine appropriée serait une absolution conditionnelle assortie de conditions strictes de probation, constituerait une peine exagérément disproportionnée, a fait valoir la juge.
L'infraction de possession de pornographie juvénile recouvre un très large éventail de situations, a précisé Mme Moreau.
«Les infractions auxquelles elles sont associées couvrent un très large éventail de circonstances. Elles visent autant le délinquant très organisé qui, au fil des années, a accumulé des milliers de fichiers montrant des victimes prépubères, que le jeune délinquant de 18 ans qui, un jour, conserve et regarde un fichier montrant une victime de 17 ans qui lui a été envoyé sans qu’il l’ait demandé», a-t-elle écrit.
«La peine minimale obligatoire doit également être imposée indépendamment du contenu de la pornographie juvénile», précise la décision.
L'expérience carcérale est susceptible d'être particulièrement néfaste pour un jeune adulte si elle ne favorise pas sa prise de conscience et sa réinsertion, a conclu la juge Moreau.
Elle a rappelé que la Cour suprême, dans un arrêt antérieur, avait statué que les peines imposées pour les infractions sexuelles contre des enfants doivent être conformes aux initiatives législatives du Parlement et à la compréhension actuelle du préjudice profond que cause la violence sexuelle contre les enfants.
Les peines minimales obligatoires au cœur de la présente affaire «vont au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre leurs objectifs», a écrit la juge.
Les autres initiatives du Parlement et la jurisprudence «assurent l’infliction de peines sévères priorisant la dénonciation et la dissuasion en matière de crimes reliés à la pornographie juvénile», a-t-elle ajouté.
Mme Moreau a indiqué que, même si l’on peut supposer que les peines minimales obligatoires dans cette affaire contribuent à la priorisation de ces objectifs, «elles ont aussi pour effet de retirer le pouvoir discrétionnaire des juges d’infliger d’autres peines que l’emprisonnement lorsque les circonstances le justifient».
Elle a suggéré que le Parlement pourrait souhaiter maintenir des peines minimales pour certains crimes, tout en respectant les limites imposées par la Charte.
Mme Moreau a affirmé que, bien qu'il n'existe pas de formule unique à cet effet, le Parlement pourrait limiter la portée des peines minimales obligatoires à certains comportements ou permettre aux juges d'exempter les cas exceptionnels pour lesquels la peine minimale obligatoire constituerait un châtiment cruel et inusité.
Les juges dissidents ont toutefois soutenu qu'il n'est pas démontré que les peines minimales constituent des peines cruelles et inusitées.
«La réprobation sociale et juridique doit se refléter avec cohérence et rigueur dans les peines imposées aux délinquants coupables d’infractions d’ordre sexuel contre des personnes mineures. Au travers de l’imposition de peines plus sévères, le système de justice exprime l’indignation profonde et légitime de la société», ont-ils fait valoir.