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Le syndrome de La Havane: les conclusions du gouvernement fédéral sont contestées

Des diplomates ont intenté des poursuites contre le gouvernement fédéral.

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Un homme marche devant l'ambassade du Canada à La Havane, à Cuba, le 17 avril 2018. Un homme marche devant l'ambassade du Canada à La Havane, à Cuba, le 17 avril 2018. (Desmond Boylan/Associated Press)

Un avocat représentant des diplomates canadiens et leurs familles se dit convaincu que la mystérieuse maladie qu'ils ont attrapée à Cuba a été provoquée par un adversaire étranger, même si le gouvernement fédéral a rejeté cette théorie.

Il y a huit ans, des diplomates canadiens et leurs personnes à charge avaient commencé à rapporter des symptômes, comme des maux de tête, des pertes de mémoire, des variations d'humeur, des problèmes de vue, des nausées et des saignements de nez.

Des diplomates ont intenté en 2019 des poursuites contre le gouvernement fédéral. L'affaire est toujours pendante devant la Cour fédérale.  Les 17 plaignants demandent des millions de dollars en dommage. Ils soutiennent que le gouvernement canadien ne les a pas protégés, a caché des renseignements cruciaux et a minimisé les risques qu'ils couraient. Ottawa rejette tout reproche de négligence ou de méfait.

Plusieurs membres de la mission diplomatique américaine à Cuba ont reporté des symptômes identiques. La maladie est connue sous le nom de «syndrome de La Havane».

Plusieurs hypothèses circulent au sujet des causes de la maladie: l'emploi de pesticide, le chant des grillons, le mauvais fonctionne d'un système d'écoute et même une attaque sonique par un pays ennemi.

En 2024, un rapport d'Affaires mondiales Canada avait conclu que ces incidents inexpliqués «n’étaient pas le résultat d’un acte malveillant d’un ou de plusieurs acteurs étrangers».

Le rapport, rédigé sur la base d'une enquête menée par une équipe interministérielle et des experts externes, indique que «des problèmes de santé préexistants, des facteurs environnementaux et des maladies communes sont susceptibles d’avoir joué un rôle important dans bon nombre des symptômes ressentis».

Les auteurs ajoutent que «l’authenticité des symptômes éprouvés n’a jamais été remise en cause».

Paul Miller, un avocat des plaignants, a dit à La Presse Canadienne être «très persuadé» qu'un acteur étranger se cachait derrière ces problèmes de santé.

«Je fais vraiment confiance envers les gens que j'ai rencontrés et avec qui j'ai parlé, a-t-il dit. Je n'ai aucune confiance envers Affaires mondiales Canada parce qu'elles ont tenté d'écrire un récit qui fonctionne pour eux.»

Il y a trois ans, les parties s'étaient entendues sur la nomination d'un ancien juge de la Cour suprême pour arbitrer la cause des neuf familles impliquées.

Me Miller affirme que les deux jours de discussions qui se déroulés au début de 2023 «n'ont mené nulle part».

Il dit avoir fait des efforts pour trouver de nouveaux renseignements, mais de nombreux documents sont classés confidentiels en attendant la résolution de l'affaire. Certains croient qu'ils pourraient dévoiler des renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables, selon la Loi sur la preuve au Canada.

Le rapport des Affaires mondiales Canada a retracé les divers efforts des agences fédérales pour intervenir. 

 

En juin 2017, une enquête a été lancée par l’Équipe intégrée de la sécurité nationale  de la GRC.

«Des agents d’AMC et de la GRC se rendent régulièrement à Cuba dans le cadre de l’enquête afin de détecter l’éventualité d’attaques malveillantes possibles et de mettre en œuvre des stratégies de surveillance et de détection», peut-on lire dans le rapport. Le Canada a partagé les renseignements obtenus avec des partenaires étrangers, dont les États-Unis.

En 2019, des instruments conçus pour détecter et enregistrer des traces de phénomènes acoustiques ou de rayonnement et en mesurer les effets sur l’environnement —température, humidité, pression barométrique, taux d’ozone — sont installés dans les logements du personnel diplomatique canadien à La Havane.

«Les données recueillies par les instruments ne fournissent pas d’informations pertinentes et probantes permettant de déterminer la cause des symptômes, de sorte que les instruments sont retirés en 2022», souligne le rapport.

L'Équipe intégrée de la sécurité nationale a alors conclu «qu’il n’y avait pas eu d’acte criminel commis et que rien ne permettait d’attribuer ces symptômes à un acteur étranger».

«Dans leurs conclusions, la GRC et d’autres organismes partenaires nationaux évaluent qu’aucun acte criminel n’a été découvert en lien avec les incidents de santé inexpliqués, dont la responsabilité ne peut être attribuée à quiconque. De plus, on ne relève aucune tendance entre les symptômes, l’âge, le sexe, le lieu de résidence ou toute autre variable», mentionne le rapport.

Un autre avocat, Mark Zaid, qui représente des membres du personnel américain ayant souffert des mêmes symptômes, a déclaré en mai 2024 au Congrès qu'il existait des preuves scientifiques, médicales démontrant l'existence de problèmes de santé causés par un acteur étranger.

Me Zaid, qui a eu accès à ces documents secrets, dit être convaincu que «ces preuves [...] contredisent les conclusions des enquêtes publiques» des agences fédérales américaines.

Les Affaires mondiales Canada disent s'en tenir aux conclusions du rapport de 2024.

Un porte-parole, John Babcock, dit que le ministère des Affaires étrangères continuait d'appuyer les diplomates canadiens et les personnes à leur charge.

«Pour des raisons de sécurité et de confidentialité, les Affaires mondiales Canada ne peuvent pas commenter sur les détails d'une enquête en cours, d'un cas individuel ou autres mesures de sécurité, a-t-il écrit dans un courriel. Nous ne pouvons pas commenter plus amplement tant que la cause est devant les tribunaux.»

Jim Bronskill

Jim Bronskill

Journaliste