Le président sud-coréen Yoon Suk Yeol a décrété mardi la loi martiale, promettant d'éliminer les forces «antiétatiques» alors qu'il lutte contre une opposition qui contrôle le parlement du pays et qu'il accuse de sympathiser avec la Corée du Nord communiste.
Moins de trois heures plus tard, le parlement a voté la levée de la déclaration, le président de l'Assemblée nationale Woo Won Shik déclarant que la loi martiale était «invalide» et que les législateurs «protégeront la démocratie avec le peuple».
Des policiers et des militaires ont été vus en train de quitter l'enceinte de l'Assemblée après que M. Woo a appelé à leur retrait. Lee Jae-myung, chef du Parti démocrate, qui détient la majorité au parlement de 300 sièges, a déclaré que les législateurs du parti resteraient dans la salle principale de l'Assemblée jusqu'à ce que M. Yoon lève officiellement son ordre.
«Les législateurs du Parti démocrate, dont moi-même et beaucoup d'autres, protégeront la démocratie et l'avenir de notre pays, la sécurité publique, les vies et les biens, au péril de nos propres vies», a déclaré M. Lee aux journalistes.
Des centaines de manifestants se sont rassemblés devant l’Assemblée, brandissant des banderoles et réclamant la destitution du président Yoon.
Certains manifestants se sont bagarrés avec les troupes avant le vote des législateurs, mais il n’y a pas eu de blessés ni de dégâts matériels majeurs signalés dans l’immédiat. Au moins une fenêtre a été brisée alors que les troupes tentaient de pénétrer dans le bâtiment de l’Assemblée.
Une femme a tenté en vain d’arracher un fusil à l’un des soldats, tout en criant «N’êtes-vous pas gêné!»
Maintenir la paix et l'ordre
Cette décision surprenante du président rappelle une époque de dirigeants autoritaires que le pays n'a pas connue depuis les années 1980, et a été immédiatement dénoncée par l'opposition et par le chef du parti conservateur de M. Yoon.
En vertu de la constitution sud-coréenne, le président peut déclarer la loi martiale en «temps de guerre, en situation de guerre ou dans d’autres états d’urgence nationaux comparables» qui nécessitent le recours à la force militaire pour maintenir la paix et l’ordre. On peut se demander si la Corée du Sud se trouve actuellement dans un tel état.
Lorsque la loi martiale est déclarée, des «mesures spéciales» peuvent être employées pour restreindre la liberté de la presse, la liberté de réunion et d’autres droits, ainsi que le pouvoir des tribunaux.
La constitution édicte également que le président doit se plier à l’exigence de la levée de la loi martiale par l’Assemblée nationale.
Après l'annonce de M. Yoon, l'armée sud-coréenne a proclamé que le parlement et d'autres rassemblements politiques qui pourraient provoquer une «confusion sociale» seraient suspendus, selon l'agence de presse Yonhap financée par le gouvernement.
À Washington, la Maison-Blanche a affirmé que les États-Unis étaient «gravement préoccupés» par les événements de Séoul. Un porte-parole du Conseil de sécurité nationale a indiqué que l’administration du président Joe Biden n’avait pas été informée à l’avance de l’annonce de la loi martiale et était en contact avec le gouvernement sud-coréen.
L'armée a également déclaré que les médecins en grève du pays devraient reprendre le travail dans les 48 heures, a indiqué Yonhap. Des milliers de médecins sont en grève depuis des mois en raison des projets du gouvernement visant à augmenter le nombre d'étudiants dans les écoles de médecine. L’armée a prévenu que toute personne violant le décret pourrait être arrêtée sans mandat.
L'Assemblée nationale sous haute surveillance
Peu après la déclaration, le président du parlement a appelé sur sa chaîne YouTube tous les législateurs à se rassembler à l’Assemblée nationale. Il a exhorté les militaires et les forces de l’ordre à «rester calmes et à maintenir leurs positions».
Les 190 législateurs qui ont participé au vote ont soutenu la levée de la loi martiale. Des images télévisées ont montré des soldats qui étaient en poste au parlement quittant le site après le vote.
Quelques heures plus tôt, la télévision a montré des policiers bloquant l’entrée de l’Assemblée nationale et des soldats casqués portant des fusils devant le bâtiment.
Un photographe de l’Associated Press a vu au moins trois hélicoptères, probablement militaires, atterrir dans l’enceinte de l’Assemblée, tandis que deux ou trois hélicoptères tournaient au-dessus du site.
Cette décision du président a suscité l’opposition immédiate de politiciens, notamment du chef de son propre parti, Han Dong-hoon, qui a qualifié la décision de «mauvaise» et qui a juré de «l’arrêter avec le peuple». Le chef de l’opposition Lee Jae-myung, qui a perdu de justesse face à M. Yoon lors de l’élection présidentielle de 2022, a qualifié l’annonce d’«illégale et inconstitutionnelle».
«Éliminer les forces antiétatiques»
M. Yoon a déclaré lors d'un discours télévisé que la loi martiale aiderait à «reconstruire et à protéger» le pays de «tomber dans les profondeurs de la ruine nationale». Il a promis «d'éradiquer les forces pro-nord-coréennes et de protéger l'ordre démocratique constitutionnel».
«J’éliminerai les forces antiétatiques le plus rapidement possible et normaliserai le pays», a-t-il promis, tout en demandant au peuple de croire en lui et de tolérer «certains inconvénients».
Le président Yoon – dont la cote de popularité a chuté ces derniers mois – a du mal à faire avancer son programme dans un parlement contrôlé par l'opposition depuis son entrée en fonction en 2022.
Le Pouvoir au peuple, le parti conservateur de M. Yoon, est dans une impasse avec le Parti démocrate de l'opposition sur le projet de loi budgétaire de l'année prochaine.
L’opposition a également tenté de faire passer des motions visant à destituer trois procureurs de haut rang, dont le chef du bureau des procureurs du district central de Séoul, dans ce que les conservateurs ont qualifié de vendetta contre leurs enquêtes criminelles sur M. Lee, qui est considéré comme le favori pour la prochaine élection présidentielle de 2027 dans les sondages d’opinion.
Il a également rejeté les appels à des enquêtes indépendantes sur les scandales impliquant sa femme et de hauts fonctionnaires, s'attirant des réprimandes rapides et fortes de la part de ses rivaux politiques. Le Parti démocrate aurait convoqué une réunion d'urgence de ses législateurs après l'annonce de M. Yoon.
La décision du président Yoon est la première déclaration de la loi martiale depuis la démocratisation du pays en 1987. La dernière loi martiale du pays remontait à octobre 1979.

