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Le commissaire à la vie privée voit du bon dans C-12, mais veut certains changements

M. Dufresne témoigne jeudi devant le comité parlementaire de la Sécurité publique, qui se penche sur le projet de loi C-12.

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c44be0c0b95a8c043bfb3c0831c892fce0bcafad51b7312eb6d65af1dfa20b6d.jpg Le commissaire à la vie privée Philippe Dufresne se présente devant le comité sur la sécurité publique et la sécurité nationale à Ottawa, le jeudi 20 novembre 2025. LA PRESSE CANADIENNE/Adrian Wyld (Adrian Wyld | La Presse canadienne)

Le commissaire fédéral à la protection de la vie privée, Philippe Dufresne, juge que la nouvelle mouture d'un projet de loi critiqué sur la sécurité frontalière comprend des mesures pour empêcher certaines dérives, mais recommande tout de même des modifications. 

M. Dufresne a témoigné jeudi devant le comité parlementaire de la Sécurité publique, qui se penche sur le projet de loi C-12.

«Il contient des protections importantes et positives en ce qui concerne le respect d'ententes de partage d'information pour leur divulgation à l'extérieur du ministère de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté», a déclaré le commissaire.

Il a, du même souffle, recommandé que des clarifications soient apportées quant aux limites d'un pouvoir qu'accorderait C-12 aux autorités frontalières s'il est adopté. Plus précisément, M. Dufresne a abordé des dispositions de la pièce législative qui visent à permettre à des agents de frontaliers «d’accéder aux locaux sous le contrôle des transporteurs et des exploitants d’entrepôts pour effectuer des inspections dans les endroits où les marchandises destinées à l’exportation sont déclarées, chargées, déchargées ou encore entreposées», tel que le décrit le gouvernement.

«Pour harmoniser cela avec des dispositions existantes de la Loi sur les douanes, je recommanderais que le projet de loi clarifie qu'un agent ne puisse pas entrer dans une maison d'habitation sans le consentement de l'occupant, excepté dans les cas où un mandat a autorité», a dit le commissaire.

Il a, en outre, soutenu qu'il s'attend à ce que son bureau soit consulté quand le gouvernement élaborera des réglementations en lien avec C-12.

Le projet de loi est presque identique à une autre proposition législative déposée par le gouvernement, C-2. Il a toutefois été expurgé de certains articles qui suscitaient des inquiétudes quant à la protection de la vie privée et aux droits de la personne.

Cela n'a toutefois pas suffi à calmer les préoccupations d’une coalition d’organisations de la société civile qui demande le retrait complet de C-12, en plus de celui de la pièce législative initiale.

Parmi les dispositions retirées dans le nouveau projet de loi, on retrouve celles qui visaient à donner aux autorités de nouveaux pouvoirs pour fouiller le courrier. Il en va de même pour des passages ciblant des transactions en espèces de plus de 10 000 $ afin de lutter contre le blanchiment d’argent.

D'autres témoins entendus jeudi par les élus siégeant au comité de la Sécurité publique ont salué le projet de loi C-12. Le président de la Fédération de la police nationale, Brian Sauvé, a qualifié la proposition législative de «pas dans la bonne direction», mais l'a jugée insuffisante sur plusieurs aspects. 

M. Sauvé a aussi déploré l'absence, dans C-12, de certaines dispositions qui se trouvaient dans C-2, comme celle qui donnerait des pouvoirs permettant de fouiller le courrier.

Des clauses controversées en immigration

Des sections critiquées de C-2 en matière d’immigration se retrouvent, malgré les changements apportés, aussi dans C-12.

Parmi ces clauses, certaines visent à donner le pouvoir au gouvernement, «s’il estime que l’intérêt public le justifie», d’«annuler ou modifier des visas de résident permanent ou temporaire, des permis de travail, des permis d’études, des permis de séjour temporaire, des autorisations de voyage électroniques, des cartes de résident permanent ou tout autre document», selon les mots employés par Ottawa.

Cela peut être fait «en masse» ou, autrement dit, pour une série de demandes similaires, peut-on lire dans un document d’information de juin détaillant les mesures. L’initiative a pour but de répondre à de potentielles crises ou des cas massifs de fraude.

Or, les pouvoirs que conférerait C-12 aux représentants gouvernementaux sont très étendus et n'ont pas été adéquatement justifiés, s'est inquiétée jeudi la députée conservatrice Michelle Rempel Garner, au cours d'une réunion du comité de l'Immigration. Elle estime que la notion d'intérêt public selon laquelle Ottawa interviendrait pour suspendre ou annuler des visas «en masse» n'a pas été suffisamment circonscrite.

Le député libéral Sameer Zuberi s'est montré ouvert à ce que C-12 soit modifié pour que l'intérêt public soit mieux défini.

Une haute fonctionnaire au ministère de l'Immigration, Tara Lang, a plaidé, devant le comité de l'Immigration, que la définition avait été rédigée de façon vaste afin d'offrir de la flexibilité au gouvernement pour qu'il puisse réagir rapidement à une situation donnée qui n'était pas prévisible.

Des élus se sont aussi montrés préoccupés par d'autres dispositions de C-12. C'est le cas d'une section de la pièce législative qui ferait en sorte que les demandes d’asile déposées plus d’un an après qu’un potentiel réfugié eut mis les pieds au Canada seraient jugées inadmissibles pour être transférées à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR), normalement chargée d’évaluer ces requêtes.

Une «évaluation de risques» serait faite avant chaque renvoi de migrant, souligne le gouvernement à chaque occasion. Cela signifie qu'Ottawa serait tenu de déterminer si la vie de chaque personne est menacée dans son pays.

Si la personne risque d’être persécutée, elle pourrait alors obtenir le statut de réfugié. Toutefois, si ce statut lui est refusé, la personne n’aurait pas la possibilité de contester cette décision de la même façon qu’elle en a la possibilité quand son dossier est examiné par la CISR.

Le député bloquiste Alexis Brunelle-Duceppe s'est montré perplexe jeudi quant à la raison d'être de cette disposition. Le gouvernement espère que la mesure contribuera à désengorger l'arriéré de demandes d'immigration, mais l'élu doute que cela porte ses fruits.

Un autre haut fonctionnaire du ministère de l'Immigration, Jason Hollmann, lui a indiqué que, présentement, dans environ 14 % des cas où une évaluation de risques avant renvoi est faite, la personne menacée d'expulsion peut finalement rester en sol canadien. Le représentant gouvernemental a affirmé qu'Ottawa s'attend à ce que ce taux augmente si les dispositions prévues dans C-12 sont mises en œuvre.

Cela fait dire à M. Brunelle-Duceppe que l'approche de C-12 reviendrait donc à «déshabiller Pierre pour habiller Paul».

Émilie Bergeron

Émilie Bergeron

Journaliste