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Le centre de réadaptation Cité-des-Prairies est confronté à «de graves lacunes»

Cela résulte d'une enquête lancée à la suite d'allégations d'inconduite sexuelle entre du personnel et des jeunes.

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Le centre de réadaptation Cité-des-Prairies est confronté à «de graves lacunes» Le centre de réadaptation Cité-des-Prairies est confronté à «de graves lacunes»

L'enquête administrative visant le centre de réadaptation pour jeunes en difficulté Cité-des-Prairies met en lumière «de graves lacunes organisationelles». Lancé à la suite d'allégations d'inconduite sexuelle entre du personnel et des jeunes hébergés à Cité-des-Prairies, le rapport écarte toutefois l'hypothèse d'une «infiltration» par les gangs de rues.

«Nous n’avons pas de faits qui permettraient de conclure que les éducatrices impliquées et concernées par les dossiers que nous avons traités agiraient sous l’effet d’une menace quelconque», explique-t-on dans le rapport d'enquête élaboré par des consultants externes mandatés par le Centre intégré de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de l’Île-de-Montréal (CCSMTL).

Les enquêteurs ont tout de même identifié 27 employés «pour lesquels un suivi devrait être effectué» et ils ont procédé à 10 signalements de jeunes. 

Le rapport d'enquête dévoilé mardi soutient que des employés avaient peur de représailles s'ils dénonçaient des situations inappropriées. 

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Le rapport d'enquête soulève aussi près de 80 «problèmes» au sein du fonctionnement du centre Cité-des-Prairies.

Au niveau des pratiques, les enquêteurs ont noté la présence et la tolérance de pratiques «non professionnelles» et «inappropriées» dans les unités, que les comportements répréhensibles ne sont pas suffisamment «encadrés et proscrits» et que les mesures disciplinaires sont «sous utilisées».

Du côté de la sécurité, huit «problèmes» ont été soulevés lors de l'enquête, toutefois sept d'entre eux ont été jugés confidentiels, donc caviardés. On peut lire à la recommandation numéro 26 que «beaucoup d'objets interdits entrent à Cité-des-Prairies» et à la recommandation numéro 28 qu'il y a même «de la drogue».

La dernière problématique dévoilée en lien avec les enjeux de sécurité est l'absence de salle de repos pour les agents de l'unité La Relance. «Des informations confidentielles sont partagées entre les agents et sont susceptibles d’être entendues par les jeunes présents», précise-t-on dans le rapport.

Processus d'embauche et antécédents

Plusieurs observations de l'enquête visant Cité-des-Prairies mettent en lumière des lacunes au niveau de l'embauche des éducateurs et éducatrices ainsi que de la façon dont les comportements répréhensibles de certains employés sont traités.

«La prise de référence lors de l’embauche d’éducateurs n’est pas d’usage. La prise de référence aura lieu seulement si on a des doutes en lien avec le candidat», dit-on dans le rapport.

«Des éducateurs au CIUSSS qui ont eu des relations de proximité avec les jeunes, pour lesquels le CIUSSS a fait des signalements, qui sont revenus en faits fondés, ont démissionné et on nous confirme que certains travaillent dans d’autres organisations avec une clientèle similaire.»
-Extrait du rapport d'enquête élaboré par des consultants externes mandatés par le CCSMTL

Les enquêteurs indiquent aussi avoir remarqué «une trop grande tolérance en lien avec les comportements qui ne devraient pas être tolérés» et une «gradation des sanctions trop lente» en lien avec des comportements similaires, «le message ne passe pas auprès des employés», ajoute-t-on.

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«Dans plusieurs des dossiers traités, on attend que l’éducatrice démissionne de son poste, alors qu’on aurait tous les éléments en main pour procéder au congédiement. Ces éducatrices vont travailler dans un autre établissement, à titre d’éducatrice auprès d’une clientèle similaire», note-t-on également. 

Formation insuffisante et climat houleux

De plus, le rapport soulève quelques lacunes au niveau de la formation et l'accompagnement du personnel. Entre autres, on soutient que l'accompagnement du personnel est insuffisant, que l'attraction et la rétention des spécialistes en activités cliniques est problématique, que le personnel éducatif en milieu de garde est constitué principalement de jeunes femmes «non expérimentées», qu'il y a une perte d'expertise alors que les éducateurs et les éducatrices expérimentées quittent leur foncions et qu'il y a une surcharge de travail.

Concernant le climat à Cité-des-Prairies, le rapport souligne une perte de confiance des employés envers leur direction, la volonté de plusieurs employés de quitter leur emploi et un climat de méfiance et de crainte «se traduisant par une loi du silence parmi les employés. Certains employés auraient été victimes de représailles suite à des divulgations, selon le rapport.

Parmi les autres problèmes soulevés dans le rapport d'enquête sur Cité-des-Prairies, on retrouve notamment le fait que les signalements ne sont pas faits comme prévu en vertu de la LPJ et que la DPJ-DP n’est pas avisée ou est avisée tardivement des situations impliquant son imputabilité.

Les recommandations

Le rapport d'enquête sur le centre de réadaptation propose 65 recommandations - dont celles concernant les mesures de sécurité ont été caviardées.

Lors d'un point de presse à Montréal, Assunta Gallo, directrice de la protection de la jeunesse au CIUSSS du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal a dit que de sortir publiquement pour encourager les personnes à dénoncer toute situation problématique faisait partie des stratégies pour briser la loi du silence.

Voici quelques-unes des recommandations:

  • Réanimer de façon trimestriel le code d’éthique, le code vestimentaire et les mesures de sécurité dans chacune des unités;
  • Acheminer tous les dossiers des employés pouvant mettre la sécurité ou le développement des jeunes à risque au DJ et à la DPJ-DP;
  • La vérification du plumitif est insuffisante pour l’embauche d’éducateurs, une recherche d’antécédents pour personnes vulnérables doit être effectuée;
  • En présence de comportements répréhensibles, appliquer systématiquement des mesures disciplinaires en gradation ;
  • Mettre en place un programme de formation continue [...];
  • Rendre disponible une équipe de consultants dédiée à Cité-des-Prairies [...];
  • Évaluer la possibilité de déplacer des éducateurs expérimentés des autres milieux d’hébergement en vue d’offrir un accompagnement rigoureux et des modèles d’inspiration auprès des nouveaux éducateurs non expérimentés;
  • Mettre en place une salle de repos pour les agents d’intervention indépendante de La Relance.

En réponse au rapport d'enquête, le CIUSSS Centre-Sud affirme être «conscient des défis soulevés par les consultantes» et «prendre au sérieux leurs recommandations». 

«Des actions concrètes sont déjà en cours afin de nous assurer d’apporter les changements et les améliorations qui s’imposent.»
- CIUSSS Centre-Sud

Les réactions

Le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, a réagi en indiquant qu’il prenait acte du rapport présenté aujourd’hui [mardi] et des recommandations qui y sont formulées.

«Les évènements qui ont eu lieu au CRJDA Cité-des-Prairies et qui ont été dévoilés il y a quelques semaines sont intolérables. Ce type de comportement est inadmissible et je prends cette situation très au sérieux. La protection des jeunes hébergés en CRJDA est une priorité. Nous ne ménagerons aucun effort pour nous assurer de leur bien-être et de leur sécurité», a-t-il écrit.

« Il faut tout mettre en œuvre pour que de tels évènements ne se reproduisent plus. […] Soyez assurés qu’un suivi serré sera effectué.» 
- Lionel Carmant, ministre responsable des Services sociaux

L’APTS du Centre-Sud-de- l’Île-de-Montréal - représentant les près de 9000 de ses membres représentés en centres jeunesse - dit avoir pris également «acte» du rapport et de continuer à l'analyser.

«Nous dénonçons fermement tout comportement individuel inadéquat ou déplacé; nous soulignons qu’une formation appropriée, un encadrement clinique et une gestion proactive des ressources humaines sont des remparts essentiels à ces situations inacceptables et évitables», a déclaré Julie Houle, présidente de l’exécutif local de l’APTS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

«Nous souhaitons que les recommandations contenues dans le rapport ne soient pas que des vœux pieux, qu’elles soient appliquées avec discernement et que les effets se ressentent sur le terrain», a-t-elle ajouté par communiqué, en plus de demander de l'aide du gouvernement pour financer davantage les formations auprès du personnel. «De cette façon, un climat de confiance pourra commencer à se rétablir entre les personnes intervenantes et la direction de Cité-des-Prairies.»

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Le centre d'hébergement Cité-des-Prairies en bref

Le Centre de réadaptation pour jeunes en difficulté Cité-des-Prairies héberge 158 garçons, âgés entre 12 et 21 ans, dans 14 unités de vie.

La majorité des jeunes y sont hébergés à la suite d'une ordonnance de la Chambre de la jeunesse. «Les jeunes qui y sont hébergés ont des problèmes de comportements sérieux allant de la toxicomanie, à la fugue répétitive et l’agressivité marquée. Cité-des-Prairies accueille également les jeunes ayant commis des délits souvent à répétition, allant du vol à l’homicide», précise-t-on.

L'enquête concernant la Cité-des-Prairies a été déclenchée à la suite d'allégation d'inconduite sexuelle entre du personnel et des jeunes hébergés dans ce centre. Deux consultants externes ont ainsi été mandatés par le CCSMTL afin de mener une enquête administrative «exhaustive et entièrement neutre» et émettre des recommandations.

Dans le cadre de cette enquête, plus de 52 témoins ont été rencontrés. Les enquêteurs ont aussi reçu six témoignages écrits en plus d'effectuer la visite sans préavis de toutes les unités de garde fermée et de garde ouverte à Cité-des-Prairies incluant l’unité La Relance.

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) mène aussi une enquête en parallèle. Il pourrait y avoir éventuellement des accusations criminelles.

Rappelons qu'après la divulgation du scandale sexuel touchant la Cité-des-Prairies, le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, a demandé la démission de la directrice nationale de la protection de la jeunesse, Catherine Lemay. À ce moment, la DPJ était aussi éclaboussée par la mise sous tutelle de la DPJ de la Mauricie et du Centre-du-Québec. C’est maintenant Lesley Hill qui se retrouve à la tête de la DPJ.

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Au même moment, le premier ministre François Legault balayait la demande du Parti libéral du Québec (PLQ) qui réclamait la démission de Lionel Carmant et gardait en poste son ministre responsable des Services sociaux et ami personnel.

Quelques jours après les révélations concernant le scandale sexuel à Cité-des-Prairies, des cas similaires ont été dévoilés dans des centres jeunesse de Laval et de la Montérégie. 

Avec des informations de Noovo Info et de La Presse canadienne