Environnement

L'augmentation des feux de forêt suscite une grande inquiètude chez les trappeurs

«Personne n'a pu y entrer. On ne nous y a pas autorisés.»

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Des partipants à un encan examinent la qualité des peaux mis en vente à Thompson, au Manitoba. Des partipants à un encan examinent la qualité des peaux mis en vente à Thompson, au Manitoba. (Photo fournie par Ron Spence via La Presse canadienne)

Des trappeurs s'attendent à subir des pertes catastrophiques en 2025, à cause de la deuxième pire saison de l'histoire en matière des feux de forêt au pays.

Des données du Centre interservices des feux de forêt du Canada laissent entendre que 78 000 kilomètres carrés de territoire ont été ravagés par les flammes, principalement dans les Prairies.

«Ce sont des incendies gigantesques (…) la majorité des terrains de piégeage seront gravement touchés», estime Ron Spence, trappeur de la Première Nation crie Nisichawayasihk, au Manitoba.

«Je suis sûr que certaines parties de mes lignes seront touchées.»

Environ 20 000 kilomètres carrés de terres ont brûlé cette année dans ce qui est considéré comme la pire saison de feux de forêt au Manitoba depuis au moins 30 ans. C'est plus du double de la superficie de la deuxième pire saison de la province, soit l'été 2013.

Les trappeurs, pour qui la trappe est un mode de vie, considèrent la forêt comme leur lieu de travail. Ils n'ont pas d'autres choix que la patience en attendant de voir comment les incendies ont affecté les lignes de piégeage, les équipements et les cabanes.

M. Spence, qui est conseiller communautaire, supervise une partie des terrains de piégeage en tant que vice-président de l'Association des trappeurs du Manitoba. Outre Nisichawayasihk, il s'occupe d'autres secteurs confrontés aux incendies et aux évacuations, notamment dans les Nations cries de Tataskwayak et d'O-Pipon-Na-Piwin.

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Son terrain de piégeage enregistré s'étend, en forme de fer à cheval, entre Nelson House et South Indian Lake. Des incendies à l'ouest et au sud ont menacé des portions de sa ligne et une cabane. En raison des flammes et de la fumée, il lui faudra un certain temps avant de pouvoir aller évaluer les dégâts.

«Personne n'a pu y entrer. On ne nous y a pas autorisés», a-t-il indiqué.

Au Manitoba, il existe environ 900 terrains de piégeage enregistrés. Certains, comme celui de M. Spence, sont transmis de génération en génération. Il se souvient avoir été élevé sur ces terres par ses grands-parents.

Pertes monétaires

Pour beaucoup, le piégeage est leur seule source de revenus. La saison s'étend généralement de novembre à mai.

La taille des terrains de piégeage varie: certains sont accessibles à pied ou en raquettes et s'étendent sur 25 à 30 kilomètres carrés. D'autres s'étendent sur plus de 1000 kilomètres carrés et sont bordés de plusieurs cabanes.

Bill Abercrombie, de l'Association des trappeurs de l'Alberta, estime que les feux peuvent avoir fait perdre des centaines de milliers de dollars aux trappeurs. Comme le gouvernement provincial est déjà venu à la rescousse des trappeurs par le passé, M. Abercrombie espère bien que ceux-ci obtiendront des indemnités cette année.

«Certaines zones de piégeage en forêt ont subi des pertes considérables cette année, a-t-il déclaré. Les incendies sont arrivés si vite et étaient si chauds qu'ils ont brûlé de vastes zones. Je connais des trappeurs qui ont pratiquement tout perdu – des familles de trappeurs qui étaient là (…) depuis des générations. L'année a été très, très difficile.»

M. Abercrombie s'attend à ce qu'il faille déployer des efforts considérables pour accéder à certaines zones reculées en automne et en hiver. L'accès dépend du gel des ruisseaux et des lacs; des ponts et des sentiers damés ont brûlé dans les incendies.

Certains trappeurs sont assurés, a expliqué M. Abercrombie, mais beaucoup ne peuvent pas se permettre les primes élevées.

Son association offre une indemnisation à ses membres, a-t-il ajouté, mais c'est un montant minime comparé aux pertes totales que cette saison d'incendies pourrait représenter.

Il faut aussi considérer la perte de revenus.

M. Spence capture une variété d'animaux sur son territoire de piégeage: loups, pékans, visons, lynx, castors et martres. Les martres, qui ressemblent à des belettes et sont populaires auprès des trappeurs du Manitoba, peuvent rapporter entre 50 $ et 150 $ par animal. Une ligne permet d'en capturer des centaines.

Le gouvernement du Manitoba a prévenu que certains territoires de piégeage seraient probablement plus touchés par les incendies que d'autres, mais que l'impact n'a pas encore été pleinement déterminé. De nombreuses populations d'animaux à fourrure vivent naturellement de manière cyclique et se sont adaptées aux écosystèmes dépendants des incendies, a ajouté la province.

Une profonde importance

Pour les trappeurs autochtones comme M. Spence, le piégeage est plus qu'un travail: c'est un mode de vie.

«Ce n'est pas seulement un terrain de piégeage (…) nous cueillons des plantes médicinales, nous chassons», a-t-il expliqué.

Les terrains de piégeage sont également un lieu où les jeunes Autochtones reçoivent leur éducation sur le territoire, une tradition importante pour leur culture.

C'est l'une des raisons pour lesquelles le grand chef Garrison Settee du Manitoba Keewatinowi Okimakanak, un groupe de défense des droits représentant certaines communautés du nord de la province, souhaite la mise en place d'un programme d'aide financière aux Premières Nations en cas de catastrophe naturelle.

Il a affirmé que les gouvernements doivent collaborer directement avec les dirigeants des Premières Nations pour s'assurer que les politiques d'urgence reflètent les réalités et les droits des Autochtones.

«On ne perd pas seulement des biens (…) ces espaces sont là pour soutenir notre mode de vie. Il faut donc que la province reconnaisse que les infrastructures de récolte traditionnelles ne sont pas facultatives.»

M. Spence se souvient d'une époque, au début des années 1980, où sa cabane familiale sur le terrain de piégeage a brûlé. Ils ont reçu de l'aide de la province, et cela a été bénéfique à long terme, a-t-il rapporté.

C'est une mesure qu'il aimerait voir réinstaurer.

Il a comparé les pertes que de nombreux trappeurs subiront cette saison à celles que subissent les agriculteurs lors de catastrophes naturelles.

Un porte-parole du gouvernement du Manitoba a indiqué que les trappeurs ne seront pas dédommagés pour les pertes subies, car les lignes de piégeage sont considérées comme «des probabilités plutôt qu'une garantie de succès».

L'Alberta a aidé les trappeurs par le passé, a souligné M. Abercrombie, qui s'attend à ce qu'il y ait une certaine compensation cette année, sans en connaître la mesure.

«Les faits en sont que ce sera surtout à nous de régler nous-mêmes nos problèmes», a-t-il déclaré.

Brittany Hobson

Brittany Hobson

Journaliste