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La toute première stratégie industrielle de défense du Canada sera dévoilée peu après le budget fédéral du 4 novembre, mais sera rendue publique au plus tard à Noël, a déclaré vendredi le ministre de la Défense, David McGuinty.
Le ministre McGuinty a expliqué que le document définira les besoins et les capacités souveraines du Canada et identifiera les secteurs de la défense nationale qui présentent un avantage commercial comparatif.
Ottawa «accordera une grande importance aux technologies à double usage» qui répondent à la fois aux besoins civils et militaires, a indiqué le ministre lors d'une conférence à l'Empire Club of Canada à Toronto.
Les observateurs de l'industrie observent attentivement le résultat de la stratégie après des mois d'études et de révisions, et s'il y aura des gagnants et des perdants.
«La dernière fois qu'un gouvernement canadien s'est penché sérieusement sur la politique industrielle, c'était lors de la Commission Macdonald, au début des années 1980», a expliqué Craig Stone, professeur agrégé émérite d'études de la défense au Collège des Forces canadiennes.
Si le gouvernement est sérieux, cela signifie qu'il y aura des gagnants et des perdants. Non pas des perdants au sens où vous ne ferez jamais affaire avec le gouvernement, mais des perdants dans le sens où «le gouvernement a déclaré que ce que vous faites n'est pas une priorité stratégique».
Le Canada possède des atouts dans les technologies de l'information et l'informatique quantique, a indiqué M. Stone, même si de nombreuses PME dépendent de la propriété intellectuelle pour survivre et pourraient ne pas être prêtes à y renoncer pour des applications militaires.
La ministre de l'Industrie, Mélanie Joly, a laissé entendre quelques allusions à la stratégie, notamment qu'elle adoptera une interprétation large de ce qui constitue des dépenses de défense.
«Quand je parle de défense, soyons très clairs. Cela inclut, bien sûr, les forces terrestres, maritimes et aériennes. Cela inclut la cybersécurité», a indiqué Mélanie Joly lors d'un discours à Toronto le 9 octobre.
«Cela inclut également les menaces pour notre santé, comme les pandémies, ou même les impacts des changements climatiques, comme les feux de forêt. Nous avons donc une définition large de la défense», a-t-elle ajouté.
Le premier ministre Mark Carney s'est engagé à augmenter massivement les dépenses de défense afin de respecter les engagements du Canada envers l'OTAN : d'abord à 2 % du PIB annuel du Canada, puis à 5 % d'ici 2035.
Ce chiffre de 5 % consacre 3,5 % aux besoins essentiels de la défense, le 1,5 % restant étant destiné aux secteurs militaires adjacents, comme les infrastructures.
Anessa Kimball, professeure de relations internationales à l'Université Laval et spécialiste en économie de la défense, a déclaré que les alliés de l'OTAN ont réussi à s'entendre sur ce nouvel objectif ambitieux précisément parce que ce montant de 1,5 % n'est que vaguement défini.
Alors que les pays de l'OTAN commencent à évaluer ce qui relève de ce 1,5 %, a expliqué Mme Kimball, ils pourraient se rendre compte qu'ils dépensent déjà une bonne partie de la somme requise.
M. Carney, dont le gouvernement fait pression pour que des projets majeurs soient réalisés afin d'atténuer les effets de la guerre commerciale avec les États-Unis, a déclaré cette semaine que de nouveaux ports et des projets miniers seront essentiels pour stimuler les exportations canadiennes.
«Dans certaines régions où nous pourrions laisser nos partenaires de l'OTAN intervenir, par exemple dans l'Arctique, nous dirions : 'Tiens, testons et développons de l'équipement là-bas, peut-être avec des entreprises canadiennes et les nôtres dans les pays de l'OTAN', a ajouté Mme Kimball. On voit donc comment cela peut s'aligner sur un objectif plus large, avec un peu de créativité.»
Mme Kimball a indiqué que le gouvernement semble adopter une approche de «défense totale» combinant des projets de résilience civile à des dépenses de défense conventionnelles.
«Nous parlons de la nécessité pour les Canadiens d'avoir une trousse de préparation aux situations d'urgence de 72 heures, n'est-ce pas ? Combien de ménages en disposent actuellement ? En Norvège et en Finlande, c'est le cas — chaque adresse en dispose et le gouvernement vous l'a fournie», a expliqué la professeure Kimball.
«Donc, si vous souhaitez investir (…) dans la défense et renforcer la résilience, voici les solutions. Dans des pays comme la Suède et la Finlande, chaque civil, en raison de la pénurie de main-d'œuvre dans leurs forces armées, doit suivre une formation en sécurité civile», a-t-elle ajouté.
Même au sein de l'industrie canadienne de la défense, le contenu exact de la stratégie demeure un mystère.
«Nous avons vu tous les ingrédients sur la table, mais Ottawa a-t-il préparé un gâteau à la vanille ou un gâteau au chocolat ? Je ne saurais vous le dire», a expliqué Christyn Cianfarani, PDG de l’Association des industries canadiennes de défense et de sécurité.
Elle a ajouté que, pour que la stratégie soit couronnée de succès, elle devra expliquer clairement comment elle prévoit développer l’industrie en fixant un objectif — soit une part du PIB, soit un objectif axé sur les revenus, se chiffrant en milliards de dollars.
Elle doit s’accompagner d’une liste de «capacités souveraines» que le Canada juge nécessaires à l’intégrité territoriale et à l’édification de la nation, a-t-elle dit. Et la nouvelle Agence d’investissement pour la défense du gouvernement devra avoir pour mandat de maximiser les achats des capacités énumérées dans la stratégie, a-t-elle ajouté.
Le gouvernement fédéral a créé cette nouvelle agence dans le cadre de ses efforts pour remanier son protocole d’achat d’équipement militaire, afin d’accélérer un système conçu pour être lent et peu risqué.
James Fergusson, chercheur principal en défense à l'Université du Manitoba, a récemment averti un comité de la Chambre des communes qu'il était quasiment impossible de réformer le système d'approvisionnement en raison de la multitude d'intérêts concurrents en jeu.
«On peut jouer sur les marges et faire évoluer les choses petit à petit, mais on ne résoudra pas le problème», a-t-il dit.
Les politiciens veulent créer des emplois locaux. Les bureaucrates veulent dépenser l'argent des contribuables judicieusement et éviter de privilégier les entreprises. L'armée veut du matériel conçu pour cette tâche.
Mais Gaëlle Rivard Piché, directrice de l'Institut de la Conférence des associations de la défense, a déclaré que l'approvisionnement en matière de défense peut évoluer si la volonté politique est là et si le Cabinet envoie des «signaux clairs» quant à ses souhaits.
«Historiquement, si l'on considère les moments où le Canada a réellement augmenté ses dépenses de défense et acquis rapidement des capacités, c'était face à une menace claire, a-t-elle expliqué. Ce qui nous échappe encore, c'est de savoir quelles sont les menaces auxquelles le Canada est confronté.»
«La Russie représente une menace évidente, car elle incite les alliés de l'OTAN à violer l'espace aérien des pays européens par des incursions de drones et d'avions», a-t-elle ajouté.
Mme Rivard Piché a soutenu qu'Ottawa et la communauté de la défense doivent encore convaincre les Canadiens de la nécessité d'augmenter les dépenses de défense, pour des raisons qui vont au-delà des pressions commerciales du président américain Donald Trump et de ses commentaires sur l'annexion du Canada.
Elle a ajouté que le déploiement actuel des Forces canadiennes en Lettonie est à peu près au même niveau que celui de la mission en Afghanistan à son apogée, mais que «pour une raison inconnue, nous n'y accordons pas vraiment d'importance».