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La cheffe intérimaire de l'APN assure que l'éviction n'a «pas été prise à la légère»

«Nous savons que la décision n'a pas été prise à la légère et qu'elle a été le résultat d'un examen attentif par les dirigeants et les représentants de nos nations», a-t-elle dit.

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La nouvelle chef nationale intérimaire de l'Assemblée des Premières Nations, Joanna Bernard, assiste à l'assemblée générale annuelle de l'APN, le 11 juillet 2023. (Darren Calabrese | La Presse canadienne)

La cheffe par intérim de la plus grande organisation de défense des droits des Premières Nations au Canada assure que le vote pour évincer l'ancienne cheffe nationale «n'a pas été pris à la légère».

Joanna Bernard, cheffe régionale de l'Assemblée des Premières Nations pour le Nouveau-Brunswick, qui assume temporairement ces fonctions, s'est adressée mardi matin à l'assemblée générale annuelle de l'APN, à Halifax, pour la première fois depuis le départ fracassant de RoseAnne Archibald fin juin.

«Nous savons que la décision n'a pas été prise à la légère et qu'elle a été le résultat d'un examen attentif par les dirigeants et les représentants de nos nations», a-t-elle dit. Mme Bernard a ajouté qu'en tant que cheffe par intérim, elle s'était engagée à maintenir la stabilité.

L'ancienne cheffe nationale, élue en 2021, a elle-même comparu virtuellement devant l'assemblée, mardi, en accusant la direction de l'APN de faire taire les voix de ceux qui remettaient en question son éviction. «C'est un processus insensé, qui est injuste, qui ne permet pas de rendre des comptes pour le coup d'État politique qui s'est produit contre moi par les chefs régionaux», a-t-elle déclaré.

Elle estime que l'organisation «a déraillé» et elle a invité les chefs et les partisans à exhorter l'organisation à la réintégrer à son poste. Dans une déclaration antérieure, elle indiquait qu'elle pourrait encore assister en personne à l'assemblée annuelle, qui se déroule jusqu'à jeudi.

Après les discours d'ouverture, mardi matin, Bruce Archibald, chef de la nation Taykwa Tagamou, dans le nord-ouest de l'Ontario, était l'un des trois chefs qui ont présenté des motions pour réintégrer l'ancienne cheffe nationale, qualifiant de «très injuste» son éviction. «J'ai l'impression aujourd'hui que nous ignorons ce qui se passe réellement», a-t-il déclaré.

Ces motions n'ont pas été adoptées par l'assemblée générale.

Ce ne sont pas tous les chefs de l'APN qui étaient présents lors du vote de destitution de Mme Archibald lors d'une assemblée extraordinaire, en mode virtuel, le 28 juin. Mais sur les 231 chefs qui ont participé au vote, 71 % ont appuyé son éviction.

Cette assemblée extraordinaire, tenue donc moins de deux semaines avant l'assemblée générale annuelle de cette semaine, avait été organisée pour répondre rapidement aux conclusions d'une enquête sur les plaintes de cinq membres du personnel de l'APN contre la conduite de la cheffe nationale.

Plaintes de harcèlement

Une enquête externe indépendante avait conclu que certains des comportements de Mme Archibald constituaient du harcèlement. Les enquêteurs ont également découvert qu'elle avait enfreint les politiques de l'organisation en exerçant des représailles contre les plaignants et en ne respectant pas la confidentialité de l'enquête.

Terry Teegee, chef régional de la Colombie-Britannique, a déclaré mardi aux journalistes que même si tous les chefs n'étaient pas présents le 28 juin, ce sont des chefs qui ont pris cette décision, et non les membres du comité exécutif de l'APN, que Mme Archibald a accusés d'avoir orchestré son éviction. «Nous avons suivi les règles (...) et ça a été décidé par les chefs.»

   Le fait que Mme Archibald ait été la première femme à occuper le poste de chef national a toutefois refroidi les autres dirigeantes, a admis Joyce Naytowhow McLeod, cheffe de la Première Nation de Montreal Lake, en Saskatchewan. Elle a qualifié de «honteuse» la décision d'évincer Mme Archibald, ajoutant que cela la faisait se sentir «impuissante» dans ses propres fonctions.

«Le message est (…) 'restez silencieuses, ne vous exprimez pas'. Nous, les femmes cheffes, on entend assez ce genre de discours chez nous.»

Alors que les chefs éliront en décembre la personne qui remplacera de façon permanente RoseAnne Archibald, la cheffe Bernard espère que des «femmes dirigeantes fortes» se présenteront, mais elle a souligné que les chefs des Premières Nations devraient sélectionner un candidat engagé pour l'unité, quel que soit son genre.

Mme Bernard a déclaré aux chefs mardi matin que des travaux étaient en cours pour remédier aux lacunes de l'organisation et `reconstruire le moral du personnel'. Elle a souligné les efforts déployés pour renforcer les politiques de dénonciation et de plaintes, le code de conduite et le processus de signalement du harcèlement.

La cheffe intérimaire a promis qu'au final, l'APN voulait offrir un «environnement sûr et favorable, où tous les individus peuvent s'exprimer sans crainte de représailles».

RoseAnne Archibald a soutenu de son côté qu'elle avait été ciblée pour avoir combattu la corruption et exigé un audit financier de l'APN.

Dans son discours mardi, Mme Bernard a exprimé une certaine ouverture à la requête de Mme Archibald pour un audit, affirmant que les états financiers de l'organisation sont vérifiés chaque année, mais elle a rejeté les allégations de l'ancienne cheffe concernant des dépenses problématiques.

Si un comité chargé d'examiner la question estime qu'un audit est nécessaire, «nous suivrons ses directives», a déclaré Mme Bernard.

Avant le début de l'assemblée générale, l'organisation a d'ailleurs annoncé qu'elle partageait les états financiers indépendants et vérifiés des dix dernières années qui, selon l'APN, confirment «l'absence de toute préoccupation financière».

Une grande distraction

Le chef Teegee était quant à lui déçu que toute l'attention portée au leadership de Mme Archibald ait ralenti les progrès dans des dossiers clés, notamment l'accès à de l'eau potable, le logement, la crise de la drogue et le changement climatique. Il ne va pas jusqu'à dire que des dossiers ont complètement déraillé, mais il reconnaît que toute cette agitation a ralenti le travail de l'APN.

Une cheffe de la Nouvelle-Écosse a d'ailleurs exhorté l'assemblée générale à passer à l'action pour aborder des questions plus importantes. `Alors que nous débattons de l'ordre du jour, nous avons des gens de notre communauté qui vivent dans la pauvreté, qui sont assassinés, un dépotoir de Winnipeg qui n'est pas fouillé', a déclaré Annie Bernard-Daisley, coprésidente de l'Assemblée des chefs mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse.

«Plus nous tardons, moins nous agirons pour notre propre peuple. Laissons notre ego au vestiaire et faisons notre travail.»

La cheffe intérimaire Bernard a affirmé aux chefs, dans son discours d'ouverture mardi matin, que l'éviction de Mme Archibald mettait l'organisation en mode transition, mais elle a rappelé que l'APN avait surmonté de nombreux défis auparavant.

Les chefs des Premières Nations se réunissent jusqu'à jeudi pour discuter notamment de services policiers autochtones, d'autonomie gouvernementale des communautés métisses et d'approvisionnement sécuritaire en eau potable. L'élection de décembre et la nomination d'un directeur général des élections sont aussi à l'ordre du jour, ainsi que des discours de ministres fédéraux.