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Pendant un moment, l’espace de quelques semaines, Karine Gagnon, sa famille et les médecins y ont cru : le traitement semblait fonctionner, la Bête restait dans sa cage et la vie reprenait un cours un petit peu plus normal.
Mais ça n’a duré que le temps de commencer à espérer. En l’espace de quelques jours, au mois d’octobre, tout a basculé : la fièvre est revenue, une douleur déjà atroce au dos est devenue insupportable, et Karine a dû être hospitalisée de nouveau.
Même si elle continuait à témoigner d’un optimisme indestructible sur son blogue Facebook « Le sommet de la Victoire », la jeune femme de 39 ans, qui se battait depuis un an contre un cholangiocarcinome, un cancer sans pitié des voies biliaires, arrivait au bout de ses forces.
Le 25 novembre, elle est transférée à la Maison Aube-Lumière, un centre de soins palliatifs, « pour se reposer et passer du temps de qualité avec ses proches », peut-on lire sur son blogue.
Le 8 décembre, trop puissante et trop hargneuse, la Bête, comme elle surnommait sa maladie, a finalement triomphé, lui refusant même le privilège d’un dernier Noël avec ceux qu’elle aimait.
Quand on lui demande si Karine est partie en croyant qu’ils se reverraient tous un jour, son conjoint, François St-Louis, partage une anecdote émouvante.
Quelques jours après l’annonce du diagnostic, il y a un an, le couple sort son sapin de Noël un peu asséché pour pouvoir continuer à l’allumer en toute sécurité à l’extérieur. Karine remarque alors qu’un cardinal vient s’y percher presque tous les jours.
« Ce n’était jamais arrivé auparavant, a dit M. St-Louis. Il était vraiment devant la fenêtre. Elle croyait sincèrement que c’était quelqu’un qui venait lui parler. »
Exactement deux mois avant son décès, le 8 octobre, Karine écrivait sur son blogue : « Je sais que je vis sur du temps emprunté mais j’ose croire au miracle… tout se peut. »
Même si son état avait à ce moment commencé à se détériorer graduellement, l’optimisme dont elle faisait preuve depuis le premier jour était toujours au rendez-vous. Elle sortait après tout d’un été relativement plaisant pendant lequel elle avait pu profiter du beau temps avec sa famille. Son amoureux et elle avaient même séjourné dans la région de Kamouraska pendant quelques jours.
« On a fait de la randonnée, mais elle n’était plus en forme comme elle l’était au mois d’août », a dit M. St-Louis.
Hospitalisée peu de temps auparavant, la jeune femme convainc l’hôpital de lui accorder un court congé pour qu’elle puisse aller fêter l’Halloween avec ses enfants. Elle admet à ce moment à son conjoint qu’elle comprend les gens qui finissent par baisser les bras.
La fin approche. Les médecins commencent, au début du mois de novembre, à préparer la petite famille à ce qui s’en vient.
« Les médecins venaient une fois par semaine, semer des graines, a dit M. St-Louis. Le premier est venu nous dire qu’il était fort probable qu’elle ne se rendrait pas à Noël. Là, ça a frappé comme une masse. À partir de là, elle sentait qu’il n’y avait plus rien (à faire). »
Les métastases avaient recommencé à envahir son corps. Un médecin lui offre une dernière chimiothérapie, tout en lui soulignant que cela ne lui achèterait au mieux que quelques jours de plus et qu’elle ne serait pas nécessairement en grande forme.
Karine refuse éventuellement cette offre et prend le chemin de la maison Aube-Lumière.
« On pensait avoir un peu de temps de qualité, mais le médecin m’a appelé dimanche matin (…) parce qu’elle a vraiment comme “crashé” dans la nuit du samedi au dimanche », a confié M. St-Louis.
Quelques jours plus tard, tout était terminé.
Le cholangiocarcinome demeure un cancer très rare, même s’il se fait possiblement un peu plus fréquent en Occident depuis quelques années. Les options thérapeutiques dont disposent les médecins pour le combattre sont limitées et le taux de survie est extrêmement faible.
« La majorité des patients n’ont pas de facteurs de risque identifiables », a dit le docteur Frédéric Lemay, un gastro-entérologue du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke qui se spécialise en oncologie digestive.
Le docteur Lemay était le médecin traitant de Karine. S’il n’était pas en mesure de discuter spécifiquement de son cas, pour des raisons évidentes de confidentialité, il a quand même accepté de discuter de la maladie et de son traitement en termes généraux.
Karine avait longuement jasé avec La Presse canadienne au printemps. Le tabac ou la fumée secondaire... Jamais. L’alcool ? De temps en temps, avec modération.
« J’ai toujours bien mangé, avait-elle raconté lors d’un long entretien téléphonique. Ma mère m’a toujours alimentée avec de bons produits, pas des produits transformés. Elle a toujours tout fait elle-même, ses muffins, ses lasagnes. Elle cuisinait beaucoup et moi je cuisine énormément. Je fais tout moi-même. On mange bien, pas trop de viande, on est équilibrés. »
Cela n’a pas empêché la maladie de la frapper de plein fouet.
« Même si on cherche, même si on fait des analyses génétiques, pour essayer de savoir si c’est quelque chose de familial, souvent on ne trouve rien, a admis le docteur Lemay. Pour une raison qu’on ne s’explique pas, il va y avoir un défaut dans la prolifération normale des cellules. (…) Dans le cas (du cholangiocarcinome) comme dans d’autres cancers que je traite, d’avoir des patients sans facteurs de risques, malheureusement, oui, c’est surprenant, puis malheureusement, on en voit. »
On sait toutefois que Karine a pu profiter d’un traitement sophistiqué, et passablement dispendieux, ce qui n’est pas donné à tout le monde. La médecine personnalisée, ou médecine de précision, est à la fine pointe de ce qui se fait actuellement : il s’agit essentiellement d’analyser le code génétique du patient et le code génétique de son cancer afin d’identifier le traitement qui aura les meilleures chances de succès, au lieu d’adopter une approche plus générique.
Si la thérapie a été très efficace au début, ce qui a permis à Karine de profiter d’un dernier été avec ses proches, les médecins les avaient prévenus que l’accalmie pourrait ne pas durer.
« Apparemment que ce traitement-là, ça arrive, a dit M. St-Louis. Tout fonctionne et puis pouf, à un moment donné, ça arrête. Le médecin nous avait dit qu’on peut prendre une pause puis le recommencer. Mais quand (le traitement) a commencé à ne plus fonctionner, ça a été la débandade. »
Le docteur Lemay a confirmé que le cancer peut être très habile quand vient le temps d’esquiver les attaques lancées contre lui.
« C’est comme s’il y a une “switch” qui était à “On” dans le cancer. Nous on va la mettre à “Off”, a-t-il illustré. Souvent, ça marche bien, mais ça marche un certain temps. Puis le cancer va devenir résistant, il va trouver un autre voie de signalisation (…) puis celle-là, on ne sera pas nécessairement capable de la trouver, encore moins de la mettre à “Off”. Donc c’est l’histoire malheureusement trop fréquente d’un traitement qui marche bien, mais qui va être limité dans le temps. »
La famille de Karine ne considère pas qu’elle a échoué à atteindre le « sommet de la Victoire ».
Dans un touchant message mis en ligne sur le blogue, son oncle Michel écrit : « Karine a-t-elle échoué à atteindre le Sommet de la Victoire ? Ma réponse est la suivante : non seulement elle l’a atteint, mais elle l’a largement dépassé. (…) La leçon de vie que nous donne Karine ne se termine pas avec son départ : son refus de baisser les bras devant la maladie nous invite tous à suivre son exemple dans nos propres vies. Le courage dont elle a fait preuve nous enseigne à ne pas nous apitoyer sur notre sort, mais à lutter pour atteindre nos objectifs, malgré les obstacles, souvent contre vents et marées. Si la réussite n’est pas toujours au rendez-vous, l’obligation de fournir les efforts nécessaires et de pousser nos capacités à leur limite doit toujours guider nos actions. »
À un certain moment, le matin du 18 décembre, la file de gens qui attendaient pour saluer Karine et ses proches une dernière fois s’étirait jusqu’aux portes principales d’un complexe funéraire de Sherbrooke.
À l’intérieur de la salle, deux guirlandes de cœurs confectionnées par ses enfants, Léo et Juliette, étaient accrochées au mur.
« J’ai l’impression des fois d’être dans un film, a dit M. St-Louis. C’est une dose d’amour incommensurable. »
À sept et cinq ans, Léo et Juliette sont trop jeunes pour comprendre vraiment ce qu’est la mort (Léo a dit à son papa qu’il comprendra peut-être quand il sera « plus vieux »). Ils comprennent toutefois qu’ils ne reverront plus leur maman et ils parlent d’elle très souvent.
La maladie qui s’est étirée pendant un an, et les absences multiples de Karine, les avaient en quelque sorte préparés au choc de son départ. Déjà bien installée, leur routine d’être seuls avec M. St-Louis se poursuit, et leur résilience est pour lui une source d’inspiration.
« Dans le fond, c’est nous qui devrions vivre un peu comme eux, dans le sens qu’eux autres, c’est au jour le jour, a-t-il dit. Si j’ai faim, j’ai de quoi manger; si j’ai goût de bouger, je peux aller bouger; si j’ai besoin d’affection, j’ai de l’affection. Les choses de base. Si c’est bien rempli, ils sont heureux. »