L’avocat spécialisé en défense des droits de la personne, Me Julius Grey, poursuit sa bataille contre le système de répartition des médecins de famille au Québec. Il sera entendu par la Cour d’appel jeudi matin, à Montréal, dans l’espoir de faire déclarer cette mesure comme étant déraisonnable.
Tous les médecins de famille qui pratiquent dans le cadre du régime public du Québec sont obligés de détenir un avis de conformité leur permettant d’exercer dans une région déterminée par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Cette autorisation vient avec l’obligation d’effectuer «au moins 55 % de leurs jours de facturation» à l’intérieur de cette zone, précise-t-on sur le portail du gouvernement.
C'est ce qu'on appelle les «plans régionaux d’effectifs médicaux» (PREM).
Avec ce système, le gouvernement cherche à équilibrer la présence d’omnipraticiens dans l’ensemble des régions pour atteindre un taux de prise en charge de 85 %. Or, selon le Dr Mark Roper, représenté par Me Grey, les calculs utilisés par Québec seraient simplistes, non représentatifs et appuyés sur des données erronées.
Par conséquent, l’île de Montréal se trouverait grandement désavantagée.
D’après les tableaux présentés par le Dr Roper lors d’une conférence tenue cette semaine, Montréal affichait le plus faible taux d'inscription auprès d'un médecin de famille parmi l'ensemble des régions du Québec en date du 31 décembre 2021.
À titre comparatif, le taux d'inscription dans la métropole était de 68 % contre 75 % en Montérégie, qui affichait le deuxième taux le plus faible. Les régions les mieux desservies selon ce critère étaient le Saguenay–Lac-Saint-Jean à 91 % et la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine avec 89 %.
Si l'on raffine davantage l'analyse, au niveau des sous-régions, les cinq pires taux d'inscription se situent sur l'île de Montréal. La métropole occupe même huit des dix dernières places parmi les 129 sous-régions québécoises.
Ce ne sont toutefois pas ces chiffres qu’emploie le MSSS pour déterminer sa répartition des effectifsmédicaux. Le gouvernement se base simplement sur la population habitant une région et le nombre de médecins qui y pratiquent. De l’avis de Me Julius Grey, ce raisonnement relève carrément de l’«absurde».
Il reproche à Québec de faire fi du droit à la mobilité des patients. Concrètement, les patients sont libres de consulter un médecin dans la région de leur choix, peu importe où ils habitent. Ainsi, la métropole, qui attire notamment des milliers de travailleurs des couronnes nord et sud, voit son bassin de patients gonfler. L’avocat souligne également qu’il faut tenir compte de la présence de touristes, de diplomates et de réfugiés qui ont parfois besoin de soins.
Toujours d’après les arguments de Me Grey, les omnipraticiens qui exercent à Montréal sont aussi accaparés par bon nombre de responsabilités autres que la médecine familiale en cabinet. Plusieurs sont employés par des instituts spécialisés ou encore des centres de recherche. Pourtant, Québec les inclut dans son calcul, sans distinction.
Un risque pour la vie?
En entrevue à La Presse Canadienne, Julius Grey explique vouloir attaquer le système des PREM sur deux fronts. D’abord, en tentant de démontrer qu’il s’agit d’une décision administrative «déraisonnable» en s’appuyant sur les critères énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov. Le tribunal a ainsi déterminé qu’une décision administrative doit être compréhensible, raisonnable et prise en conformité avec les règles de justice naturelle.
Puis, d’un autre angle, il allègue que la version actuelle des PREM contrevient à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés qui protège le «droit à la vie, à la liberté et la sécurité de la personne».
Sur ce front, Me Grey entend démontrer que le risque de mortalité augmente significativement chez les personnes qui n’ont pas accès à un médecin de famille. Ainsi, en limitant le nombre de permis accordés sur l’île de Montréal, sa population se verrait lésée. Par ailleurs, le ministre exerce un droit discrétionnaire lui permettant de modifier le nombre de places accordées aux différentes régions sans justification.
D’après les données compilées par le Dr Roper, le ministre de la Santé, Christian Dubé, aurait ainsi décidé de couper 30 places d’omnipraticiens à Montréal en 2021, puis 15 autres en 2022.
Dans son jugement de première instance, daté du 8 septembre 2022, la juge de la Cour supérieure Dominique Poulin avait conclu que l’«exercice de répartition» relevait «de l’expertise, des connaissances et des informations qui sont disponibles» au ministère et au ministre. Ainsi, elle disait ne pas disposer des données lui permettant de remettre leur décision en cause ni de la qualifier de déraisonnable.
Cette fois, Me Grey espère parvenir à convaincre le panel de trois juges. Si elle se montre favorable à sa plaidoirie, la Cour d'appel pourrait venir forcer la main du gouvernement pour qu'il revoie son système de répartition des postes en médecine de famille.

