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Au Québec, cette transformation a pris le nom de «virage ambulatoire», justifié par des raisons économiques, mais aussi par les progrès de la médecine.
Depuis le début de la pandémie, la capacité des réseaux hospitaliers, notamment le nombre de lits disponibles, est évoquée par les différents gouvernements du pays pour justifier l'imposition de mesures aussi restrictives qu'un couvre-feu ou la fermeture des commerces. Pourtant, il y a quelques décennies, le nombre de lits par habitant au Canada était trois fois plus élevé qu'en 2019, avant que débute la pandémie.
Partout au pays, les réseaux de la santé sont mis à rude épreuve et les gouvernements cherchent par tous les moyens à augmenter les lits d'hospitalisation.
En 2019, le Canada avait 2,52 lits d'hôpitaux par tranche de 1000 habitants, une moyenne qui correspond à celle du Québec.
Mais en 1970, le nombre de lits d'hôpitaux disponibles pour 1000 habitants était de 7, soit presque le triple, selon des données recueillies par la Banque Mondiale.
À partir du milieu des années 1980, les réseaux de santé canadiens ont été le théâtre de profonds changements qui visaient à «désengorger les hôpitaux», et qui ont provoqué le déclin, jusqu'à aujourd'hui, du nombre de lits d'hospitalisation.
Au Québec, cette transformation a pris le nom de «virage ambulatoire», justifié par des raisons économiques, mais aussi par les progrès de la médecine.
La technologie et l'évolution des pratiques médicales ont permis de déplacer beaucoup de soins médicaux vers la communauté, ou carrément aux domiciles des patients.
Par exemple, il y a une trentaine d'années, une femme pouvait rester de trois à cinq jours à l'hôpital après un accouchement, alors qu'aujourd'hui, la durée de séjour est habituellement de 24 à 36 heures.
«C'est un contexte scientifique et médical qui a favorisé cette transformation», souligne l'auteur et historien de la médecine Denis Goulet.
L'historien rappelle que «dans les années 1940 et 1950, vous pouviez passer de 20 à 30 jours à l'hôpital après une intervention chirurgicale».
Il explique qu'au fil de temps «les interventions sont devenues beaucoup plus chirurgicales, donc beaucoup moins invasives», ayant pour résultat que les patients «nécessitent moins de journées d'hospitalisation et parfois, ils n'ont tout simplement pas besoin d'être hospitalisés».
«Les chirurgies d'un jour ont fait en sorte de diminuer le nombre de lits» dans les hôpitaux.
Dans les années 1980-1990, plusieurs autres pays ont grandement réduit le nombre de lits disponibles par habitant, pour les mêmes raisons que le Canada, mais certains ont fait preuve de plus de prudence, selon la professeure Maude Laberge, spécialiste de l'économie de la santé à l'Université Laval.
«Par rapport aux autres pays, on était déjà parmi ceux qui avaient le moins de lits à l'époque, puis en continuant à diminuer la quantité, on est demeuré parmi les pays qui ont le moins de lits par habitant, et il y a des pays qui ont beaucoup plus de lits, par exemple le Japon.»
Parmi les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), c'est au Japon et en Corée que le nombre de lits d'hôpital par habitant est le plus élevé, avec respectivement 13 et 12 lits pour 1000 habitants, selon les données de la Banque Mondiale. La France, avec 6 lits par 1000 habitants, en a plus que le double du Canada.
«Il y a des pays qui ont fait le choix de conserver une capacité beaucoup plus forte que nous', souligne Denis Goulet en ajoutant qu'il y a sans doute `des considérations économiques qui l'ont emporté sur les considérations sociales et humanitaires».
Selon Maude Laberge, une partie du problème de «l'engorgement des hôpitaux» en période hors pandémie réside dans le fait que «nos lits hospitaliers sont utilisés pour des gens qui devraient être ailleurs», car beaucoup de patients, même avant la COVID-19, occupaient des lits d'hôpitaux alors «qu'ils devraient être dans des centres d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) et d'autres milieux de vie».
Elle souligne qu'un des objectifs du virage ambulatoire «était de donner des soins à domicile, donc de permettre au patient de retourner chez lui, mais cette partie-là s'est moins bien passée».
La professeure Laberge préconise donc d'augmenter les capacités en CHSLD et dans les soins à domicile, car «seulement augmenter la quantité de lits dans les hôpitaux ne résoudra pas les problèmes», surtout dans un contexte de pénurie de personnel.
Un système de santé qui s'inspire de l'industrie automobile
Dans une chronique publiée par la Coopérative nationale de l'information indépendante il y a quelques jours, l'ancien ministre de la Santé Réjean Hébert dénonçait la «culture de gestion Lean» qui prévaut dans le réseau de la santé au Québec et qui fait «qu'on est toujours à la limite de notre capacité» et qu'on veut «toujours en faire plus» en utilisant «au maximum les lits disponibles», soulignant au passage la «réduction substantielle de la durée des séjours hospitaliers et du nombre de lits dans les hôpitaux».
Il faisait ainsi référence à la méthode Lean popularisée par Toyota et qui se concentre sur la «gestion sans gaspillage».
Le professeur à la Faculté de médecine de l'Université de Sherbrooke Christian Rochefort partage les inquiétudes de l'ancien ministre péquiste.
«Peut-être que ça fonctionne dans les entreprises manufacturières, mais dans les entreprises où il est question de la santé humaine, c'est tellement complexe», souligne-t-il en ajoutant qu'il est difficile de quantifier les soins d'un patient et que les méthodes appliquées à l'industrie automobile ne sont pas un gage de succès dans les milieux hospitaliers.
Le professeur Rochefort précise que la méthode Lean «s'est répandue un peu partout en Amérique du Nord et pas seulement au Québec».
Le Canada n'a pas seulement un des taux de lits par habitant les plus faibles du monde, il est également en tête de liste des pays industrialisés pour les taux d'occupation des lits, selon des données de l'OCDE.
Ainsi, juste avant la pandémie en 2019, la moyenne d'occupation des lits était de 91,6 % au pays, comparativement à 65 % aux États-Unis et 79 % en France.
Seulement trois pays, le Canada, Israël et l'Irlande, avaient un taux d'occupation supérieur ou égal à 90 % avant la COVID-19.