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Il y a trois ans, le port de Beyrouth explosait

Aujourd'hui, les tentatives de poursuivre les responsables sont embourbées dans des intrigues politiques, le bilan final des morts reste contesté et de nombreux Libanais ont moins que jamais confiance en leurs institutions.

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Un homme court devant des drapeaux libanais placés en l'honneur de ceux qui sont morts dans l'explosion du port de Beyrouth en 2020, lors du troisième anniversaire de l'explosion, sur la plage de Copacabana à Rio de Janeiro, au Brésil, le vendredi 4 ... Un homme court devant des drapeaux libanais placés en l'honneur de ceux qui sont morts dans l'explosion du port de Beyrouth en 2020, lors du troisième anniversaire de l'explosion, sur la plage de Copacabana à Rio de Janeiro, au Brésil, le vendredi 4 août 2023. (The Associated Press)

Trois ans après l'énorme explosion au port de Beyrouth, les tentatives de poursuivre les responsables sont embourbées dans des intrigues politiques, le bilan final des morts reste contesté et de nombreux Libanais ont moins que jamais confiance en leurs institutions étatiques en déliquescence.

Alors que le pays souligne l'anniversaire de la tragédie ce vendredi, les proches de certaines personnes décédées luttent toujours pour que leurs êtres chers soient reconnus comme victimes de l'explosion, reflétant le chaos permanent depuis le 4 août 2020. L'explosion a tué au moins 218 personnes, selon le décompte de l'Associated Press et en a blessé plus de 6 000, en plus de dévaster de vastes zones de Beyrouth et causer des milliards de dollars de dégâts.

Parmi ceux qui ne sont pas reconnus comme victimes de l'explosion se trouve un bébé de cinq mois, Qusai Ramadan, fils de réfugiés syriens. Ses parents affirment qu'il a été tué lorsque l'explosion a fait s'effondrer le plafond et une armoire dans sa chambre d'hôpital, l'écrasant. Les parents n'ont pas réussi à faire ajouter le bébé à la liste officielle des décès, une mesure qui aurait pu les rendre éligibles à une compensation future.

Ils accusent les autorités de discriminer les victimes qui ne sont pas libanaises.

Pendant ce temps, l'anniversaire de l'explosion a entraîné de nouvelles demandes pour une enquête internationale sur les responsables, y compris les hauts responsables qui ont permis à des centaines de tonnes de nitrate d'ammonium hautement inflammable, un matériau utilisé dans les engrais, d'être mal entreposées pendant des années dans un entrepôt du port.

The Associated Press L'explosion survenue il y a trois ans a tué plus de 200 personnes et a causé des milliards de dollars de dégât. (The Associated Press)

Des organisations libanaises et internationales, des survivants et des familles de victimes ont lancé un appel en ce sens au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, déplorant que «le troisième anniversaire de l'explosion ne nous rapproche pas de la justice et de la responsabilité pour la catastrophe».

Maan, un groupe libanais de défense des victimes et des survivants, a établi le bilan des morts à 236, nettement plus élevé que le chiffre du gouvernement de 191. Les autorités ont cessé de compter les morts un mois après l'explosion, même si certains des blessés graves sont décédés par la suite.

Agonie après l'explosion de Beyrouth

Parmi les noms figurant sur la liste de Maan se trouve Qusai, le nourrisson syrien.

Qusai recevait un traitement pour une grave maladie du foie et avait été transféré dans un hôpital gouvernemental près du port environ une semaine avant l'explosion. Le personnel de l'hôpital a déclaré que le nourrisson avait besoin d'une greffe de foie et était dans un état critique.

Le jour de l'explosion, la tante de Qusai, Noura Mohammed, était assise à son chevet pendant que sa mère se reposait à la maison. La tante a déclaré que le personnel a ordonné à tout le monde d'évacuer immédiatement après l'explosion et qu'elle a trouvé le nourrisson mort, écrasé par les débris tombés, lorsqu'elle est revenue.

Les responsables de l'hôpital ont déclaré que Qusai était décédé une heure après l'explosion, le certificat de décès indiquant un arrêt cardio-respiratoire comme cause. La famille l'a enterré un jour plus tard.

«Nous avons demandé [aux autorités] d'inscrire mon fils parmi les victimes de l'explosion», a déclaré sa mère, Sarah Jassem Mohammed, lors d'une récente entrevue dans une petite tente dans un verger du village libanais de Markabta, où elle vit avec son mari, ses deux fils et sa fille. «Ils ont refusé.»

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Perte de confiance envers le gouvernement libanais

Le Liban accueille plus d'un million de réfugiés syriens, qui représentent environ 20% de la population du pays. Un groupe libanais, le Mouvement contre le racisme, a déclaré qu'au moins 76 citoyens non libanais, dont 52 Syriens, figuraient parmi les personnes tuées dans l'explosion.

Pendant ce temps, de nombreux Libanais ont perdu confiance dans l'enquête nationale et certains ont commencé à déposer des plaintes à l'étranger contre des entreprises soupçonnées d'avoir apporté le nitrate d'ammonium.

Les produits chimiques avaient été expédiés au Liban en 2013. Des responsables politiques et de sécurité de haut niveau étaient au courant de leur présence et du danger potentiel, mais n'ont rien fait.

Les victimes libanaises et non libanaises ont toutes vu le processus judiciaire retardé, l'enquête étant interrompue depuis décembre 2021. La classe politique libanaise, puissante et corrompue, est intervenue à plusieurs reprises dans le travail du système judiciaire.

En janvier, le procureur général du Liban, Ghassan Oueidat, a ordonné la libération de tous les suspects détenus dans le cadre de l'enquête.

«La classe politique a utilisé tous les outils à sa disposition, tant légaux qu'illégaux, pour saboter, entraver et bloquer l'enquête nationale sur l'explosion», insiste Aya Majzoub, chef adjointe pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord au sein du groupe de défense des droits de l'homme Amnistie Internationale.

Makhoul Mohammed, 40 ans, citoyen syrien, a été légèrement blessé dans l'explosion dans son appartement de Beyrouth, tandis que sa fille Sama, qui avait six ans à l'époque, a perdu son œil gauche.

Mohammed, qui s'est installé au Canada l'année dernière, a déclaré qu'il prévoit de poursuivre en justice les responsables de l'explosion devant un tribunal canadien.

«L'enquête [nationale] n'aboutira à aucun résultat tant que cette classe politique dirigera le pays», a-t-il affirmé.