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Pourquoi la situation semble-t-elle si chaotique en Haïti? Les dirigeants ont utilisé les gangs de rue pour prendre le pouvoir. Puis les gangs sont devenus trop puissants.
Le premier ministre haïtien, Ariel Henry, a annoncé sa démission mardi, cédant ainsi à la pression internationale pour sauver son pays en proie à la violence et contrôlé par des bandits lourdement armés.
Ariel Henry a fait cette annonce quelques heures après que des responsables, dont des dirigeants des Caraïbes et le secrétaire d'État américain Antony Blinken, se soient réunis en Jamaïque pour discuter d'une solution visant à mettre un terme à la spirale de la crise haïtienne et aient accepté une proposition commune visant à établir un conseil de transition.
Il est facile d'imputer cette nouvelle flambée de violence dans la première république noire libre de l'Occident à une pauvreté de longue date, à l'héritage du colonialisme, à la déforestation généralisée et à l'ingérence de l'Europe et des États-Unis.
Cependant, une série d'experts ont expliqué à l'Associated Press que la cause immédiate la plus importante est plus récente: la dépendance croissante des dirigeants haïtiens aux gangs de rue.
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Depuis des décennies, Haïti n'a plus d'armée permanente ni de police nationale solide et bien financée.
Les interventions des Nations unies et des États-Unis se sont succédé. Sans une solide tradition d'institutions politiques honnêtes, les dirigeants haïtiens ont utilisé des civils armés comme outils d'exercice du pouvoir.
Aujourd'hui, l'État est devenu faible et les gangs prennent sa place.
Les chefs de gangs, de manière surprenante, tiennent des conférences de presse. Et nombreux sont ceux qui les considèrent comme de futures parties prenantes dans les négociations sur l'avenir du pays.
Un embargo a été imposé dans les années 1990 après le renversement du président Jean-Bertrand Aristide par l'armée. L'embargo et l'isolement international ont dévasté la petite classe moyenne du pays, explique Michael Deibert, auteur de Notes From the Last Testament : The Struggle for Haiti et Haiti Will Not Perish: A Recent History.
Après qu'une force de l'ONU soutenue par les États-Unis a chassé les dirigeants du coup d'État en 1994, un ajustement structurel parrainé par la Banque mondiale a conduit à l'importation de riz en provenance des États-Unis et a dévasté la société agricole rurale, selon M. Deibert.
Les garçons sans travail ont afflué à Port-au-Prince et ont rejoint des gangs. Les politiciens ont commencé à les utiliser comme bras armé bon marché. Aristide, un prêtre devenu politicien, a acquis une certaine notoriété en utilisant des gangsters.
En décembre 2001, le fonctionnaire de police Guy Philippe a attaqué le Palais national lors d'une tentative de coup d'État et Aristide a appelé les gangsters à sortir des bidonvilles, a raconté M. Deibert.
«Ce n'était pas la police qui défendait le Palais national de son gouvernement», se souvient M. Deibert, qui était sur place. «Il s'agissait de milliers de civils armés.»
«Maintenant, vous avez ces différents politiciens qui ont collaboré avec ces gangs pendant des années, et... cela leur a explosé à la figure», a-t-il ajouté.
De nombreux gangs ont battu en retraite face à la MINUSTAH, une force de l'ONU établie en 2004.
René Préval, le seul président démocratiquement élu à avoir remporté et terminé deux mandats dans un pays connu pour ses bouleversements politiques, a adopté une ligne dure à l'égard des gangs, leur donnant le choix entre «déposer les armes ou se faire tuer», relate Robert Fatton, professeur de gouvernement et d'affaires étrangères à l'université de Virginie.
Après sa présidence, les dirigeants qui lui ont succédé se sont montrés au mieux indulgents à l'égard des gangs ou, dans le pire des cas, se sont liés à eux, a-t-il ajouté.
M. Fatton a expliqué que chaque acteur clé de la société haïtienne avait ses gangs, notant que la situation actuelle n'est pas unique, mais qu'elle s'est détériorée à un rythme plus rapide.
«Au cours des trois dernières années, les gangs ont commencé à gagner en autonomie. Aujourd'hui, ils constituent un pouvoir à eux seuls», a-t-il soutenu, les comparant à un «mini-État mafieux».
«L'autonomie des gangs a atteint un point critique. C'est pourquoi ils sont désormais capables d'imposer certaines conditions au gouvernement lui-même.»
«Ceux qui ont créé les gangs ont créé un monstre. Et aujourd'hui, ce monstre n'est peut-être pas totalement aux commandes, mais il a la capacité de bloquer toute forme de solution.»
Les gangs, tout comme de nombreux politiciens et hommes d'affaires haïtiens, gagnent de l'argent grâce à un mélange illicite de «taxes» obtenues par l'extorsion, les enlèvements et la contrebande de drogues et d'armes, a énuméré M. Fatton.
«Il y a toutes sortes de réseaux criminels dans la région.»
Après l'élection de M. Préval, les gangs, les politiciens et les hommes d'affaires ont soutiré chaque dollar qu'ils pouvaient, a déclaré François Pierre-Louis, professeur de sciences politiques au Queens College de l'Université de la ville de New York.
«C'était la porte ouverte aux gangs, à la drogue, le pays est devenu un État narcotrafiquant», a-t-il déclaré. «En fait, les gangs ont pris le pouvoir, et non seulement ils ont pris le pouvoir, mais ils ont bénéficié de la protection de l'État, des politiciens qui les protégeaient.»