Justice

Garderie de Laval: le statut de délinquant à haut risque de Ny St-Amand est contesté

Ses avocats soutiennent que l'application du statut de délinquant à haut risque aux personnes déclarées non criminellement responsables viole plusieurs articles de la Charte canadienne des droits et libertés

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d0aa71b2347afac44f462d13d924b107c98bb5d539709538e03c2f64b7ed1136.jpg En avril, le juge a statué que Pierre Ny St-Amand était vraisemblablement en état psychotique lorsqu'il a percuté une garderie à Laval. Photo prise le jeudi 9 février 2023. LA PRESSE CANADIENNE/Graham Hughes (Graham Hughes | La Presse canadienne)

Les avocats de l'homme qui a tué deux enfants et en a blessé six autres en fonçant avec un autobus dans une garderie de Laval en 2023 affirment qu'il serait inconstitutionnel pour un juge de le déclarer délinquant à haut risque. 

Une audience de la Cour supérieure du Québec s'est ouverte lundi matin à Laval dans l'affaire de Pierre Ny St-Amand, déclaré non criminellement responsable en avril en raison d'un trouble mental.

La Couronne demande au juge Éric Downs de déclarer M. Ny St-Amand délinquant à haut risque, ce qui lui imposerait des règles plus strictes pendant son internement dans un hôpital psychiatrique.

Ses avocats souhaitent toutefois que le juge invalide l'article du Code criminel qui permet aux tribunaux de désigner comme délinquants à haut risque les personnes déclarées non criminellement responsables, arguant qu'il viole la Charte canadienne des droits et libertés.

Ils affirment que le statut de délinquant à haut risque présuppose que ces individus sont irrécupérables et ne pourront jamais être réintégrés dans la société.

En avril, le juge Downs a statué que Pierre Ny St-Amand était vraisemblablement en proie à une psychose lorsqu'il a foncé avec l'autobus dans la garderie, tuant Jacob Gauthier, quatre ans, et Maëva, une fillette de cinq ans dont le nom de famille est protégé par une ordonnance de non-publication à la demande de ses parents.

M. Ny St-Amand affirme ne se souvenir de rien. Il est actuellement détenu à l'hôpital psychiatrique Philippe-Pinel à Montréal.

Lors d'une audience en septembre, la Couronne avait plaidé que les actes de M. Ny St-Amand étaient si brutaux qu'il devait être considéré comme un délinquant à haut risque et qu'il existait une forte probabilité qu'il récidive. 

Ce statut de délinquant à haut risque l'empêcherait de quitter l'hôpital psychiatrique, sauf pour des raisons médicales ou pour les besoins de son traitement. 

Il limiterait également les décisions que la Commission d'examen des troubles mentaux du Québec peut prendre dans son cas. Toute modification de son plan de traitement ou des restrictions de ses déplacements devrait être soumise à la Cour supérieure du Québec.

Dans une requête déposée en août, les avocats de M. Ny St-Amand avaient plaidé que le statut de délinquant à haut risque viole les droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, notamment le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, le droit à la protection contre les peines cruelles et inusitées et le droit à l'égalité devant la loi.

Selon eux, ce traitement est comparable à une peine d'emprisonnement à perpétuité dans un hôpital psychiatrique. Ils estiment également que cette désignation renforce le stéréotype du criminel fou.

En réponse, la Couronne avait rétorqué que le statut de délinquant à haut risque fait l'objet d'un examen annuel et peut être révoqué. Le document mentionne aussi le témoignage d'un psychiatre qui avance que M. Ny St-Amand pourrait de nouveau devenir violent en cas de nouvel épisode psychotique.

En pratique, cependant, il est difficile pour les délinquants de se voir retirer leur statut de délinquant à haut risque, explique Emmanuelle Bernheim, professeure à l'Université d'Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en santé mentale et accès à la justice. Cela tient notamment au fait que l'un des critères d'application est la gravité de l'infraction, qui demeure inchangée.

Le statut de délinquant à haut risque a été ajouté au Code criminel en 2014 par le gouvernement conservateur de Stephen Harper, à la suite de l'indignation publique suscitée par des affaires comme celle de Vince Li, un homme qui avait décapité un passager dans un autobus Greyhound au Manitoba en 2008. Début 2014, il avait été rapporté que M. Li serait autorisé à quitter sans escorte l'hôpital psychiatrique où il était détenu.

Mme Bernheim a souligné que les commissions d'examen qui prennent de telles décisions sont censées se concentrer uniquement sur le risque actuel que l'accusé représente pour la sécurité publique, et non sur le crime initial. 

Or, la désignation de délinquant à haut risque prive les commissions d'examen de ce pouvoir et exige que les tribunaux approuvent toute modification concernant ces délinquants, a-t-elle ajouté.

Témoignant lundi devant le tribunal, le Dr Mathieu Dufour, chef du département de psychiatrie de l'Institut Philippe-Pinel, a indiqué qu'une stigmatisation supplémentaire est associée à la désignation de délinquant à haut risque. Cela peut aussi entraîner une perte d'espoir, ce qui peut affecter le fonctionnement et le bien-être mental des personnes concernées, a-t-il précisé.

L'audience reprendra mercredi.

Maura Forrest

Maura Forrest

Journaliste