Alors que la perspective de compressions budgétaires menace la capitale, un organisme de développement économique d'Ottawa sollicite l'aide du gouvernement fédéral pour développer l'industrie locale de la défense et la transformer en un pôle d'innovation.
Investir Ottawa, un organisme de développement économique local sans but lucratif, demande au gouvernement fédéral d'accorder à la région de la capitale nationale la désignation officielle de «pôle d'innovation en matière de défense nationale» et d'«investir pleinement» dans le développement de l'industrie locale de la défense.
Dans un document soumis au comité des finances de la Chambre des communes, qui étudie les demandes budgétaires en prévision du budget du 4 novembre, Investir Ottawa indique vouloir créer de nouveaux «emplois de grande valeur» dans la région d'Ottawa et de Gatineau et contribuer au développement de nouveaux produits de défense destinés à l'exportation.
Une autre demande au ministère des Finances réclame des fonds pour un nouveau site de recherche sécurisé — ce qu'elle appelle une «installation d'information compartimentée sensible» — où les entreprises pourraient collaborer avec l'armée sur des questions classifiées.
Elle demande également des fonds fédéraux pour agrandir la Zone X.O d'Investir Ottawa, un complexe de recherche et développement en milieu rural pour les technologies émergentes.
L'organisation veut aussi qu'Ottawa alloue une part déterminée des nouvelles embauches dans le secteur de la défense nationale à la région d'Ottawa.
Sonya Shorey, présidente-directrice générale d'Investir Ottawa, affirme que son organisation voit une occasion de contrebalancer les pertes d'emplois prévues dans le secteur public et de relancer l'économie locale.
«Les possibilités en matière de défense et de sécurité sont immenses, a-t-elle souligné. Nous y voyons une véritable occasion de contrebalancer et de compenser une partie des pertes dans ce secteur public. Nous espérons qu'il y aura également du perfectionnement et du recyclage. Nous soutenons sans aucun doute une stratégie de gestion des talents dans le cadre de notre stratégie globale pour la région de la capitale concernant le secteur de la défense.»
Cette initiative survient alors que le gouvernement fédéral envisage d'accroître ses dépenses de défense au cours des prochaines années afin d'atteindre les nouveaux objectifs ambitieux de l’Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) en matière de dépenses de défense.
Le gouvernement fédéral a l'intention d'augmenter les dépenses de défense à l'équivalent de 2 % du PIB, puis à 5 % d'ici 2035, soit une augmentation de plusieurs dizaines de milliards de dollars par an.
Ottawa compte quelque 330 entreprises du secteur de la défense et abrite le quartier général du ministère de la Défense nationale, Recherche et développement pour la défense Canada et quatre centres d'essais «accélérateurs d'innovation» de l'OTAN.
Mme Shorey a indiqué avoir collaboré avec le maire d'Ottawa, Mark Sutcliffe, à l'élaboration d'une stratégie pour le secteur de la défense de la région de la capitale nationale. Cette stratégie, qui devrait être publiée fin octobre, comportera des objectifs précis en matière d'emploi et d'investissement.
Le gouvernement fédéral élabore une politique industrielle nationale visant à renforcer l'assise industrielle de la défense nationale — dont la publication est prévue cet automne — et met en place une nouvelle agence d'approvisionnement en matière de défense afin de restructurer la façon dont Ottawa effectue ses achats militaires.
Ottawa et Gatineau représentent également un bastion politique pour les libéraux. Les députés de la région comprennent le premier ministre Mark Carney, le ministre de la Défense, David McGuinty, et Jenna Sudds, secrétaire parlementaire chargée de l'approvisionnement en matière de défense.
M. McGuinty a pris la parole lors d'un événement la semaine dernière à la Zone X.O, où il a mentionné que le gouvernement avait collaboré avec des centaines d'entreprises pour élaborer sa nouvelle stratégie industrielle.
Dans un discours partagé avec La Presse Canadienne que Mme Shorey a prononcé devant le caucus libéral de la région de la capitale nationale le 29 août, la PDG d'Investir Ottawa a affirmé aux députés qu'il était possible d'obtenir un «impact économique disproportionné» grâce à des «investissements disproportionnés».
Son organisation n'a pas encore précisé le montant exact du financement fédéral qu'elle sollicite pour stimuler le secteur local de la défense.
La politique au centre des décisions
Selon des experts, la politique jouera un rôle dans les décisions du gouvernement fédéral, car il répartit le gâteau de la défense à travers le pays.
Evert Lindquist, professeur à l'École d'administration publique de l'Université de Victoria, a expliqué que le gouvernement pourrait être submergé de demandes de financement, car d'autres villes y voient des opportunités.
«Je pense que chaque municipalité et chaque région devrait réfléchir en ce sens, a-t-il déclaré. On observe soudainement un vaste réseau (national), et le gouvernement doit composer avec l'idée d'investir uniquement à Ottawa. L'industrie de la défense, de manière générale, devra réfléchir à la manière de communiquer cette information au gouvernement dans son ensemble afin de l'aider à gérer les enjeux politiques liés à des investissements aussi importants.»
Il a ajouté que le processus décisionnel du gouvernement peut également être surchargé, car il cherche à maîtriser sa trajectoire budgétaire.
Christian Leuprecht, professeur au Collège militaire royal du Canada et à l'Université Queen's, n'est pas certain que les fonctionnaires licenciés puissent trouver un emploi dans le secteur de la défense, mais il estime qu'il existe clairement une opportunité.
«Auparavant, au pays, la coopération avec la défense était plutôt mal vue. Le fait qu'Ottawa perçoive cela comme une opportunité témoigne également d'un changement d'opinion publique plus large, a-t-il avancé. J'espère que le gouvernement envisagera une approche plus coordonnée du rôle des municipalités et de ce que nous attendons précisément d'elles.»
D'autres régions à l'affût
La région d'Ottawa n'est pas la seule à vouloir profiter de l'essor des dépenses de défense du gouvernement fédéral.
Le Bureau de développement économique de Calgary demande 3 millions $ pour un centre de commercialisation de la défense, tandis que l'organisme représentant les chambres de commerce du Québec réclame un nouveau programme de prêts-subventions destiné aux petites et moyennes entreprises du secteur de la défense.
Les meilleures universités de recherche canadiennes cherchent à nouer des liens précoces avec un nouvel institut fédéral de recherche sur la défense promis: BOREALIS, soit le bureau de recherche, d’ingénierie et de leadership avancés en matière d’innovation et de science. Cet institut, dont M. Carney a fait la promotion pendant la campagne électorale, vise à faire progresser la recherche en intelligence artificielle, en informatique quantique et en cybersécurité.
De nombreux autres groupes proposent des investissements fédéraux dans des projets à double usage qui pourraient également être appliqués à d'autres domaines.
La Fédération canadienne des municipalités veut s'assurer que le financement de la défense dans l'Arctique et le Nord renforce également les infrastructures municipales et communautaires en améliorant les ports, les routes, les aéroports et les réseaux d'eau et d'égouts.

