Un organisme national de surveillance de l'espionnage a constaté un manque de rigueur dans la façon dont l'Agence du revenu du Canada (ARC) sélectionne les organismes de bienfaisance pour les vérifications liées au terrorisme, affirmant que ce processus introduit des risques de partialité et de discrimination.
Dans un rapport récemment publié, l'Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement (OSSNR) affirme que la Division de la revue et de l'analyse ne dispose pas d'une méthode fondée sur des données probantes pour valider les indicateurs de risque qu'elle utilise pour justifier l'examen d'un organisme de bienfaisance.
L'Office a conclu que certains organismes de bienfaisance ont fait l'objet d'une vérification même s'il n'existait aucun risque évident de financement du terrorisme, contrairement à l'affirmation de l'ARC selon laquelle la Division de la revue et de l'analyse n'enquête que sur les cas présentant le risque le plus élevé.
L'OSSNR recommande à la division appartenant à la Direction des organismes de bienfaisance de l'ARC de s'assurer que la décision de lancer une vérification est appuyée par des renseignements ou des informations à jour et crédibles.
La Presse Canadienne a obtenu une copie du rapport de l'organisme de surveillance du renseignement grâce à la Loi sur l'accès à l'information. Il a ensuite été publié sur le site internet de l'organisme de surveillance du renseignement.
La publication du rapport jeudi fait suite aux préoccupations soulevées ces dernières années selon lesquelles les organismes de bienfaisance musulmans ont été injustement ciblés par l'Agence du revenu du Canada (ARC).
Il y a quatre ans, un rapport de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, basée à Ottawa, indiquait que la Division de la revue et de l'analyse de l'ARC effectuait des vérifications sans grande transparence ni contrôle indépendant.
Tim McSorley, coordonnateur national de la CISL, a déclaré jeudi que le rapport de l'ARC «confirme substantiellement ce que nos recherches ont démontré il y a plusieurs années, à savoir que les processus de l'ARC présentent de graves lacunes».
«Nous espérons que le rapport d'aujourd'hui fera clairement comprendre au gouvernement que le statu quo ne peut perdurer et qu'il faut changer les choses.»
L'OSSNR a constaté que sur les 37 vérifications effectuées par la division de l'ARC entre 2009 et 2022, 67 % visaient des organisations islamiques et 19 % des organisations sikhes.
L'organisme de surveillance a également déclaré qu'il ne pouvait conclure que les activités de la division de l'ARC étaient partiales ou discriminatoires, car l'ARC ne recueille pas les données nécessaires pour s'acquitter du lourd fardeau de la preuve imposé par la Charte des droits et libertés pour de telles allégations.
«Un processus non documenté ne peut étayer la responsabilisation interne ou externe ni permettre d'évaluer l'absence de partialité ou de discrimination dans les décisions», a indiqué le rapport.
L'organisme de surveillance indique que dans cinq des huit audits les plus récents de la Division de la revue et de l'analyse, les préoccupations liées au terrorisme «n'étaient pas présentes» dans les conclusions de l'audit.
Il recommande à la Division de la revue et de l'analyse de limiter ses audits aux organismes de bienfaisance qui présentent «un risque crédible d'abus à des fins terroristes».
Certaines recommandations acceptées
L'ARC a indiqué jeudi qu'elle s'efforce de garantir que les organismes de bienfaisance enregistrés soient traités de manière équitable et impartiale.
L'Agence accepte la plupart des recommandations de l'organisme de surveillance du renseignement et a affirmé avoir déjà pris des mesures pour renforcer ses processus et sa surveillance.
Elle a précisé que ces mesures comprennent la documentation explicite des indicateurs de risque pris en compte dans les évaluations des risques qui éclairent les décisions de vérification, et la mise en œuvre d'un modèle de notation qui quantifiera et complétera le processus actuel d'évaluation qualitative des risques.
L'ARC a toutefois rejeté la recommandation de recueillir et d'évaluer les données démographiques du secteur de la bienfaisance afin de garantir un traitement exempt de discrimination envers les organismes de bienfaisance.
«La Loi sur la protection des renseignements personnels protège la vie privée des personnes en ce qui concerne leurs renseignements personnels et régit la collecte et l'utilisation de ces renseignements par le gouvernement fédéral, a indiqué l'ARC dans un communiqué de presse. De plus, les ministères et organismes gouvernementaux ne doivent recueillir que les renseignements directement liés à un programme ou à une activité en cours.»
L'Association musulmane du Canada, qui a intenté une action en justice pour tenter d'empêcher une vérification de l'ARC, a souligné jeudi que le rapport de l'organisme de surveillance du renseignement confirme les arguments avancés par l'association dans sa contestation judiciaire.
L'organisme de surveillance du renseignement a «décelé des lacunes qui exposent l'ARC à un risque de violation de la Charte des droits et libertés, confirmant ainsi la véracité de nos allégations», a affirmé Sharaf Sharafeldin, président de la stratégie de l'association, dans un communiqué de presse.
M. Sharafeldin a déclaré que le travail de l'organisme de surveillance «valide (ses) préoccupations», ajoutant que le gouvernement fédéral devrait «enfin mettre en œuvre des réformes afin que les audits soient équitables, transparents et renforcent les organismes de bienfaisance musulmans plutôt que de les stigmatiser».

