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Noovo Info a recueilli les témoignages d’une dizaine de femmes forcées de mener un combat épuisant contre la CNESST pour que leur COVID longue soit reconnue comme une lésion professionnelle.
Des employées des domaines de la santé et de l’éducation qui affirment avoir développé des séquelles de la COVID-19 après avoir été infectées au travail sont sans revenu depuis des mois parce que la Commission de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) refuse de les indemniser.
Les travailleurs atteints de la COVID-19 qui ont été infectés dans le cadre de leur travail sont couverts par la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles et ont en principe droit à des indemnités de remplacement du revenu et au remboursement de leurs frais médicaux.
«Dans la mesure où le lien entre le travail et la lésion est établi, la CNESST peut ainsi indemniser la travailleuse ou le travailleur, et ce sans égard à la durée de la lésion», résume un porte-parole de l’organisation par courriel.
Le tout semble assez simple. Mais dans les faits, certains travailleurs qui développent la COVID longue peinent à obtenir ces prestations.
Noovo Info a recueilli les témoignages d’une dizaine de femmes forcées de mener un combat épuisant contre la CNESST pour que leur COVID longue soit reconnue comme une lésion professionnelle.
Elles sont préposées aux bénéficiaires, travailleuses sociales, enseignantes… Incapables de retourner travailler, certaines d’entre elles se retrouvent sans salaire depuis plusieurs mois parce qu’elles n’arrivent pas à prouver qu’elles ont bel et bien été infectées au travail ou parce que leur demande d’indemnisation a été faite trop longtemps après leur test PCR.
D’autres ont reçu une indemnisation de remplacement de salaire, mais ont dû débourser des milliers de dollars de leur poche pour obtenir des traitements médicaux parce que la CNESST ne reconnaît pas leurs symptômes comme une conséquence directe de leur infection initiale.
«Je suis découragée, frustrée, malade. Tous les efforts que je mets à me battre, je ne les consacre pas à aller mieux.» – Lucie Rouleau, préposée aux bénéficiaires
Lucie Rouleau a contracté la COVID-19 en travaillant comme préposée aux bénéficiaires dans une résidence privée pour aînés (RPA) en mai 2020, au plus fort de la première vague de la pandémie.
À l’aube de la soixantaine, la maladie lui est rentrée dedans. Trop mal en point pour retourner travailler, son employeur lui recommande de demander la Prestation canadienne d’urgence (PCU), qu’elle recevra pendant près de trois mois.
La PCU épuisée, elle tente un retour au travail à la fin de l’été 2020 malgré ses symptômes, mais fait une rechute quelques mois plus tard.
Lucie Rouleau est en arrêt de travail depuis bientôt un an en raison de séquelles de la COVID-19.
Armée d’un diagnostic de COVID longue, elle dépose sa demande à la CNESST à l’été 2021, plus d’un an après son infection initiale. Mais sa demande est refusée.
Comme la CNESST traite les infections à la COVID-19 comme un accident de travail, on lui explique que les travailleurs infectés doivent présenter leur demande moins de six mois après la date du test PCR confirmant leur infection.
«En gros, j’aurais dû faire une demande à la CNESST en mai 2020, au cas où je développerais une maladie qui n’existait même pas à l’époque», ironise-t-elle.
En arrêt de travail depuis des mois, Lucie Rouleau craint maintenant de devoir vendre sa maison pour subvenir à ses besoins.
Pour mieux comprendre le quotidien des personnes atteintes de la COVID longue, revoyez ce reportage d'Émilie Clavel, visionnez le reportage COVID longue : les oubliés de la pandémie :
Johanne*, une travailleuse sociale dans le réseau public, a elle aussi attrapé la COVID au début de la pandémie, quand elle a été envoyée prêter main-forte dans un CHSLD. Peu malade, elle manque trois jours de travail, pour lesquels elle est payée.
«Sur mon talon de paie, c’était écrit CNESST pour ces trois jours-là, se souvient-elle. Dans ma tête, ça voulait dire que l’employeur l’avait déclaré.»
De retour au travail, elle commence à ressentir de la fatigue et des vertiges persistants. Comme le monde entier ignorait alors l’existence de la COVID longue, ni elle ni son médecin ne font de lien avec le virus. Au fil des mois, son état se détériore, au point où elle doit arrêter de travailler en janvier 2021, plus de six mois après son test PCR positif.
Ce n’est qu’à la fin de l’été dernier qu’un infectiologue lui diagnostique officiellement la COVID longue. Elle présente sa demande à la CNESST le jour-même. Elle apprend alors que son infection initiale n’avait pas été déclarée à la CNESST, contrairement à ce qu’elle croyait . Comme plus de six mois se sont écoulés, la demande est refusée.
Si la COVID longue était traitée comme une maladie professionnelle plutôt qu’un accident de travail, le délai de six mois pour présenter une demande aurait été calculé en fonction du moment où un professionnel de la santé a diagnostiqué la maladie, plutôt que de la date du test PCR. Les demandes des deux femmes auraient donc été admissibles.
«La COVID longue, ça ne rentre dans aucune case à la CNESST, donc ils ne savent pas quoi faire, déplore Johanne. C’est trop rigide.»
«Je suis sûre que le stress et la fatigue de devoir gérer tout ça ont ralenti ma guérison» – Johanne*, travailleuse sociale
Johanne poursuit maintenant ses démarches auprès de la CNESST pour renverser la décision. Elle s’estime «chanceuse», puisqu’elle est couverte par un régime d’assurance salaire. Mais elle a dû débourser de sa poche des milliers de dollars pour des traitements qui auraient normalement été remboursés, comme la physiothérapie et l’ergothérapie.
D’autres travailleurs se heurtent à des refus de la CNESST même s’ils ont fait leur demande dans les délais impartis, parce qu’ils sont incapables de prouver qu’ils ont été infectés au travail.
C’est le cas de Michelle Le Guerrier. Intervenante dans un organisme communautaire, elle effectuait régulièrement des visites à domicile chez des familles vulnérables avant d’attraper la COVID-19, au printemps dernier. «Après mes visites, ça pouvait arriver qu’une maman m’appelle pour me dire que son enfant avait des symptômes. Mais personne ne se faisait tester», raconte-t-elle.
Résultat? Sa demande à la CNESST est refusée, parce qu’il n’y a pas eu d’éclosion documentée sur son lieu de travail. Cerise sur le sundae, on lui exige même de rembourser le salaire qui lui a été versé pendant ses deux semaines d’isolement. Incapable de reprendre le travail en raison de ses symptômes persistants, elle a pris le décision de quitter son emploi il y a quelques mois.
D’autres travailleuses ont témoigné de situations similaires, dont une directrice d’école qui a vu sa demande refusée malgré des éclosions dans son établissement, sous prétexte que le personnel de direction n’a pas suffisamment de contact avec les élèves.
Questionnée par Noovo Info, la CNESST n’a pas été en mesure de préciser comment un travailleur peut prouver qu’il a contracté la COVID-19 dans le cadre de son travail.
Des histoires comme celles-là, les organisations syndicales en ont entendu plusieurs au cours des derniers mois. «Ça ne me surprend pas du tout, lance Judith Huot, vice-présidente de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN). Il y a énormément d’employeurs qui ont induit leurs employés en erreur en les orientant vers leur régime d’assurance salaire ou la Prestation canadienne d’urgence, par exemple.»
Elle aimerait voir le ministre du Travail Jean Boulet rappeler à l’ordre ces employeurs, qu’elle qualifie de «voyous».
«Avec l’assurance salaire, non seulement les travailleurs sont sans salaire pendant le délai de carence, mais en plus ils n’ont pas de recours si la maladie s’aggrave ou s’ils développent des séquelles», rappelle Mme Huot, encourageant tous les travailleurs qui contractent la COVID-19 à bien s’informer sur leurs droits.
Pour le porte-parole de l’opposition officielle en matière de travail, Frantz Benjamin, il est aussi grand temps que le ministre du Travail intervienne.
Le porte-parole de l’opposition officielle en matière de travail, Frantz Benjamin, critique le manque de souplesse dans l’application de la loi par la CNESST.
«La CAQ dort au gaz, lance le député de Viau. Le gouvernement doit donner des directives claires à la CNESST pour indemniser ces travailleurs essentiels qui sont tombés au combat et qui ont besoin de l’aide de l’État.»
Il appelle la CNESST à faire preuve de «souplesse» et de «flexibilité», étant donné la situation exceptionnelle causée par la pandémie.
Un plaidoyer auquel fait écho la préposée aux bénéficiaires Lucie Rouleau. «Au début de la pandémie, on nous appelait les “anges gardiens”, et là, regarde comment je suis traitée. La COVID ne m’a pas tuée, mais elle a pris ma vie. Et la CNESST a détruit le reste.»
Le cabinet du ministre Boulet n’avait pas formulé de commentaire au moment d’écrire ces lignes.