L'artiste country canadien, Robert Adam, a enregistré son nouvel album à Nashville, mais face au tumulte politique lié à l'arrivée au pouvoir du président américain Donald Trump, l'artiste ne prévoit pas se rendre au sud de la frontière pour en faire la promotion.
L'artiste de Calgary qui se définit comme non binaire explique avoir mûrement réfléchi à sa décision, et ce, pendant plusieurs mois, en prenant en compte ses expériences vécues aux États-Unis en tant que personne homosexuelle, mais également l'importance du marché américain pour les musiciens émergents.
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Après avoir entendu parler des obstacles rencontrés par certains musiciens transgenres pour obtenir des visas de travail à destination des États-Unis, Robert Adam se sent en confiance et est convaincu d'avoir pris la bonne décision en évitant de se rendre dans le pays pour sa prochaine tournée.
«Je me définis plutôt comme non binaire et comme femme. Il est évident que je suis un peu à part, a déclaré l’artiste lors d’une entrevue téléphonique. Je ne veux pas passer ma vie à stresser à l'idée de devoir… atténuer mon image, ou ce que j'ai à dire, juste pour exister et jouer un spectacle.»
Un décret publié en janvier par l'administration de Donald Trump a déclaré que les États-Unis ne reconnaîtraient désormais que deux sexes, masculin et féminin, et que les documents gouvernementaux devaient faire apparaître celui assigné à la naissance.
Cela signifierait que les artistes trans et non binaires pourraient devoir se mégenrer afin d'obtenir un visa.
Certains citoyens canadiens ont également un «X» concernant leur marqueur de genre sur leur passeport. Et bien que Robert Adam ne l'ait pas, l'artiste a déclaré que le risque de questions indiscrètes sur son genre ou la possibilité d'être détenu à la frontière américaine l'emportait largement sur les avantages.
Après plusieurs concerts au Canada, Robert Adam prévoit également se rendre au Royaume-Uni et au Japon, où l'artiste estime que sa musique country queer sera mieux accueillie.
«Il est important pour moi d'aller dans des lieux où je peux faire ces choses librement et… inspirer d'autres personnes à faire de même», a ajouté l'artiste country.
Un sujet qui suscite la réflexion
D’autres artistes canadiens, certains membres de la communauté LGBTQ+ et d’autres non, se posent des questions sur la pertinence d’une tournée aux États-Unis en raison de considérations éthiques ou de risques pour la sécurité.
Le nouveau venu du rock indépendant Drew Tarves, qui se produit sous le nom de Young Friend, a adopté une approche différente. En mars, il a annoncé l'annulation de ses concerts à New York et Los Angeles qui visaient à promouvoir son premier album «Motorcycle Sound Effects».
Le musicien vancouvérois a déclaré qu'il consacrerait plutôt son énergie à 17 concerts canadiens dans six provinces. Drew Tarves a imputé la guerre douanière de M. Trump et ses aspirations à annexer le Canada à son choix de se concentrer sur son pays d'origine.
«Je n'étais pas très enthousiaste à l'idée d'y aller, a déclaré le jeune homme de 26 ans lors d'une récente entrevue. Ce fut une décision difficile, a-t-il ajouté. Jouer là-bas par le passé a toujours été essentiel pour un artiste en devenir. C'est une plaque tournante de la musique.»
Le mois dernier, l'artiste pop T. Thomason a également annoncé renoncer à ses concerts aux États-Unis, estimant «ne pas se sentir en sécurité de tenter de traverser la frontière» en tant que personne trans.
Sa décision est intervenue peu de temps après que l'auteur-compositeur-interprète trans Bells Larsen ait également annulé une tournée américaine en raison de la nouvelle politique suggérant qu'il se verrait probablement refuser un visa en raison de son identité de genre
Les données de Statistique Canada suggèrent que de nombreux Canadiens ont renoncé à se rendre aux États-Unis. En mars, le nombre de personnes revenant des États-Unis en voiture avait diminué de près de 32 % par rapport à l'année dernière, marquant ainsi le troisième mois consécutif de baisse d'une année sur l'autre.
Parallèlement, les données du Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis montrent que le nombre de citoyens canadiens refoulés à la frontière terrestre a également diminué de 44 % au cours du même mois. En mars, 1747 personnes ont été déclarées interdites de territoire – pour des raisons aussi diverses que des casiers judiciaires ou des documents irréguliers – contre 3126 un an plus tôt. Il s'agit du quatrième mois consécutif de baisse.
Néanmoins, nombreux sont ceux qui sont inquiets. Dans la tourmente, certains musiciens choisissent de garder le silence, de peur que tout commentaire négatif sur l'administration américaine ne se retrouve dans une recherche Google effectuée par un agent des frontières. Près d'une douzaine de musiciens et responsables ont refusé d'accorder une entrevue pour cet article, certains expliquant qu'ils ne pouvaient pas risquer de perdre l'accès au lucratif circuit des tournées américaines.
«Ils sont terrifiés à l'idée de se retrouver bloqués à la frontière et d'être interrogés pour des publications sur les réseaux sociaux, a déclaré Eric Alper, attaché de presse représentant plusieurs artistes qui ont refusé de s'exprimer. Beaucoup d'artistes canadiens se concentrent sur leur survie.»
Une plaque tournante de l'industrie musicale
Selon Liana White, directrice générale de la Fédération canadienne des musiciens, les boycottages sont encore assez rares. Elle a déclaré que l'intérêt exprimé par les musiciens canadiens pour une tournée aux États-Unis demeure «énorme», malgré l'imprévisibilité actuelle.
Malgré les obstacles supplémentaires et le climat politique turbulent, certains musiciens canadiens affirment qu'ils ne pourraient pas imaginer abandonner le public américain.
Le groupe de punk féministe montréalais Nobro, dont le premier album a été partiellement inspiré par un concert tenu quelques heures après l’annulation du droit à l’avortement par la Cour suprême des États-Unis, affirme qu’il souhaite non seulement promouvoir sa musique, mais aussi renforcer le pouvoir de ses admirateurs en se produisant dans ce pays.
«Nous ne donnons pas de grands concerts, nous donnons des concerts de 200 places, et beaucoup de jeunes peuvent se permettre nos billets, a déclaré la bassiste Kathryn McCaughey. Il est vraiment important de soutenir ces communautés et de leur donner le sentiment d'être vues et entendues, et surtout de simplement s'amuser.»
Le groupe torontois The Beaches s'est récemment produit au festival de musique Coachella en Californie et a joué l'année dernière en Floride, un État conservateur doté de plusieurs lois anti-LGBTQ+.
La claviériste Leandra Earl a déclaré que le groupe estimait essentiel d'«aller là-bas et de rencontrer tous nos admirateurs qui ont vraiment besoin d'échapper à la vie parfois. Personnellement, en tant que femme queer, je pense qu'il est vraiment important pour nous de continuer à jouer dans toutes ces villes qui cherchent à être représentées. Où que les gens nous veuillent, nous irons».
Khalid Yassein, du groupe folklorique torontois Wild Rivers, a déclaré qu'ils étaient en train d'améliorer le statut de tous les membres du groupe en demandant un visa O1, qui reconnaît les travailleurs du secteur artistique. Auparavant, certains d'entre eux détenaient des visas O2, destinés aux assistants des travailleurs O1.
Le groupe espère ainsi simplifier le processus et éliminer les obstacles potentiels, a-t-il ajouté. Ils prévoient également de traverser la frontière américaine au même moment. «Nous discutons avec notre équipe pour mieux nous préparer. C'est un marché musical énorme et important pour nous. Certes, nous sommes excités à chaque fois que nous rentrons chez nous, car nous sommes un peu moins stressés.»
La précaution est de mise
«Je pense que tout le monde a raison d'être anxieux, inquiet et préoccupé à l'idée d'entrer aux États-Unis en ce moment, a déclaré Will Spitz, avocat au sein de la division des arts de la scène du cabinet new-yorkais CoveyLaw. On dirait que chaque jour, une nouvelle histoire d'horreur se produit : une personne détenue, harcelée ou expulsée.»
Malgré la tension accrue à la frontière, M. Spitz a constaté que «peu de choses avaient changé» pour les voyageurs qui ne sont pas trans, non binaire ou intersexes.
De nombreux rejets de visas —qui peuvent sembler être des actions de l'ère Trump —sont en fait dus à des erreurs administratives courantes, a-t-il souligné.
«Mais est-ce que cela signifie pour autant que la situation ne peut pas changer demain? Non», a ajouté M. Spitz.
«Je pense qu'il y a un réel risque qu'ils (l'administration de Donald Trump) élargissent leur champ d'action à tous ceux qui ont exprimé ouvertement leur soutien à la Palestine et à d'autres enjeux qui déplaisent à l'administration actuelle.»
Liana White conseille tout de même aux artistes en déplacement de redoubler de précautions lors de la planification de leurs concerts aux États-Unis. Les délais de traitement des visas ont ralenti ces dernières années, un problème qui existait déjà avant l'arrivée de l'administration de Donald Trump.
Les musiciens devraient tenir compte de ces retards en planifiant plus à l'avance, a-t-elle ajouté, et en prévoyant un budget pour payer une prime qui accélère l'approbation.
Autres points à considérer : transporter des médicaments dans des flacons d'ordonnance, acheter des vitamines au sud de la frontière et conserver les aliments dans leur emballage d'origine.
«Si l'avion est possible, je le recommande», a ajouté Liana White, soulignant qu'il est plus facile de retirer une demande d'entrée aux États-Unis dans de nombreux aéroports, car la personne est toujours en sol canadien.
