Le naufrage meurtrier survenu au large des côtes du Yémen ce week-end pèse lourdement sur le cœur de nombreux Éthiopiens. Douze migrants à bord du bateau transportant 154 Éthiopiens ont survécu à la tragédie, alors qu'au moins 68 sont morts et 74 sont toujours portés disparus.
Lorsque Solomon Gebremichael a appris la catastrophe de dimanche, cela lui a rappelé des souvenirs déchirants : il a perdu un ami proche et un frère à cause de l'immigration clandestine il y a des années.
«Je comprends parfaitement votre douleur», a affirmé M. Gebremichael à l'Associated Press (AP) depuis son domicile d'Addis-Abeba, la capitale éthiopienne.
Bien que l'Éthiopie soit relativement stable depuis la fin de la guerre dans la région du Tigré en 2022, le chômage des jeunes dépasse actuellement les 20 %, ce qui pousse nombre d'entre eux à risquer des eaux dangereuses pour tenter de rejoindre les riches pays arabes du Golfe, à la recherche d'une vie meilleure ailleurs.
Mesel Kindeya a effectué la traversée en 2016 par la même route maritime que le bateau qui a chaviré dimanche, voyageant sans papiers lors de périples éprouvants organisés par des passeurs entre l'Éthiopie et l'Arabie saoudite.
«On pouvait à peine respirer, a-t-elle raconté. Si nous donnons notre avis, nous risquons d'être jetés à la mer par les passeurs. Je regrette profondément d'avoir risqué ma vie en pensant que cela améliorerait ma situation.»
Mme Kindeya a réussi à atteindre l'Arabie saoudite et a travaillé comme domestique pendant six mois, avant d'être capturée par les autorités et emprisonnée pendant huit mois. Lorsqu'elle a été expulsée vers l'Éthiopie, elle avait à peine réussi à récupérer le coût initial de son voyage.
«Malgré les difficultés de la vie, l'immigration clandestine n'est tout simplement pas une solution», a-t-elle dit.
Ces dernières années, des centaines de migrants ont péri dans des naufrages au large du Yémen, le pays le plus pauvre du monde arabe, en proie à une guerre civile depuis septembre 2014.
«Cela illustre le désespoir de nombreuses personnes en Éthiopie», selon Teklemichael Ab Sahlemariam, avocat spécialisé dans les droits de la personne à Addis-Abeba.
«On les pousse à se rendre dans un pays déchiré par la guerre, comme le Yémen, puis en Arabie saoudite ou en Europe, a-t-il expliqué à l'AP. Je connais beaucoup de personnes qui ont péri.»
Et nombre de ceux qui se font arrêter et sont renvoyés en Éthiopie tentent à nouveau la traversée.
«Les gens continuent d'y retourner, même après avoir été expulsés, risquant l'extorsion financière et l'exploitation sexuelle», a déclaré l'avocat.
Dans un communiqué publié lundi, le ministère éthiopien des Affaires étrangères a exhorté les Éthiopiens à «utiliser les voies légales pour obtenir des opportunités».
«Nous mettons en garde les citoyens contre les voies illégales pour trouver de telles opportunités et contre les trafiquants à tout prix», indique le communiqué.
Le porte-parole de l'Union africaine, Nuur Mohamud Sheek, a appelé à une action collective urgente dans une publication sur les réseaux sociaux «pour s'attaquer aux causes profondes de la migration irrégulière, faire respecter les droits des migrants et prévenir de nouvelles pertes en vies humaines».
Le Yémen est une voie de passage majeure pour les migrants en provenance des pays d'Afrique de l'Est et de la Corne de l'Afrique.
Environ 60 000 migrants sont arrivés au Yémen l'année dernière, contre 97 200 en 2023 – une baisse attribuée à une surveillance accrue des eaux, selon un rapport de mars de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), l'agence des Nations unies pour l'immigration.
En mars, au moins deux migrants sont morts et 186 autres ont été portés disparus après le naufrage de quatre bateaux au large du Yémen et de Djibouti, selon l'OIM.
