Des chefs de Premières Nations, à l'origine d'une contestation judiciaire de deux lois fédérale et provinciale visant à accélérer les projets d'infrastructure, disent se tourner vers les tribunaux par crainte que ces lois ne conduisent à la destruction de l'environnement.
Neuf Premières Nations de l'Ontario souhaitent que le tribunal déclare inconstitutionnelles la loi fédérale, connue sous le nom de projet de loi C-5, et la loi ontarienne, connue sous le nom de projet de loi 5, et sollicitent une injonction qui empêcherait les gouvernements d'utiliser certains de leurs aspects les plus litigieux.
La cheffe June Black, de la nation Apitipi Anicinapek, située dans le nord-est de l'Ontario, s'est montrée émue mercredi lors d'une conférence de presse, affirmant que son peuple occupe ces terres «depuis des temps immémoriaux».
«Nous avons la responsabilité sacrée de protéger ces terres, a-t-elle soutenu. Ce qui va se passer va être très néfaste. Les projets de loi 5 et C-5 sont des mesures législatives qui tentent de bafouer les droits et les terres des Premières Nations, sans aucun respect pour notre pouvoir décisionnel et nos compétences.»
Il y a déjà 40 000 concessions minières actives sur son territoire, a signalé Mme Black, et elle s'inquiète de ce qui arrivera à la terre et à l'eau de source que les Premières Nations boivent si les gouvernements utilisent les lois pour contourner les processus normaux d'approbation et d'évaluation environnementale de grands projets.
«Nous vivons de la terre, a rappelé la cheffe. Nous mangeons les animaux qui y vivent. Nous pêchons. Tout cela est naturel pour nous et tout cela est menacé (…) Si l'on regarde ce qui va arriver en conséquence de ces projets de loi, c'est la destruction.»
Le projet de loi C-5 permet au Cabinet d'accorder rapidement des approbations fédérales pour de grands projets jugés d'intérêt national, comme des mines, des ports et des pipelines, en contournant les lois existantes. Le projet de loi de l'Ontario permet quant à lui à son gouvernement de suspendre les lois provinciales et municipales par la création de zones baptisées «zones économiques spéciales».
Les dirigeants autochtones affirment que les lois empêchent toute consultation adéquate avec eux, et la cheffe Sheri Taylor, de la Première Nation de Ginoogaming, a confié croire que cela a été fait intentionnellement, et non par inadvertance.
«Pour moi, ces projets de loi ont été élaborés parce que, en tant que Premières Nations, nous sommes de la bureaucratie», a-t-elle avancé.
«Il s'agit de contourner nos droits, en privilégiant l'accélération des projets au lieu de collaborer de manière à prendre en compte et à protéger nos droits (…) Le Canada et l'Ontario ont l'obligation de respecter les droits des Premières Nations et de favoriser les relations de nation à nation. Les projets de loi 5 et C-5 non seulement ignorent cette obligation, mais la réduisent à néant.»
Carney veut se faire rassurant
La contestation judiciaire survient juste avant la rencontre prévue entre le premier ministre Mark Carney et les chefs des Premières Nations, qui doivent lui exposer leurs préoccupations concernant le projet de loi C-5. Cependant, les chefs de l'Ontario affirment que le gouvernement a déjà instauré des conditions de discussion inégales.
S'exprimant lors d'une conférence de presse mercredi pour annoncer des mesures de soutien à l'industrie sidérurgique, M. Carney a déclaré que le dialogue était en cours.
«La première chose que nous ferons, c'est un engagement et une série de réunions avec les peuples autochtones», a-t-il dit en français.
«Le premier volet (…) consiste à discuter des modalités, du fonctionnement, de la collaboration et des priorités – et ce, avant toute consultation sur un projet ou un type de projet spécifique», a précisé le premier ministre, en anglais.
L’Ontario a déjà entamé des consultations avec les Premières Nations qui «partagent notre vision de créer des opportunités économiques et des infrastructures essentielles dans leurs communautés, et elles poursuivront ces consultations tout au long de l’été», a indiqué le cabinet du premier ministre Doug Ford dans une déclaration écrite.
Les gouvernements fédéral et ontarien ont tous deux affirmé que leurs lois sont des outils pour contrer les effets des droits de douane imposés par le président américain, Donald Trump, en permettant au développement canadien, comme l’exploitation des ressources naturelles, d’aller plus vite.
Mais il ne s’agit pas d’une lutte entre le développement et l’absence de développement, affirment les Premières Nations. Elles préconisent plutôt de «bien faire les choses» en veillant à ce que les informations nécessaires soient recueillies avant d’aller de l’avant et que les droits et les protections soient respectés «afin que les coûts réels du développement ne dépassent pas de loin les avantages revendiqués», écrivent-elles dans leur contestation judiciaire.
L'avocate Kate Kempton a affirmé que le projet de loi C-5 a été élaboré «dans la panique, la précipitation et la peur» pour répondre aux droits de douane imposés par M. Trump.
«Mais ce faisant, nous ne pouvons pas rejeter les valeurs qui sont censées être chères au Canada, ni la Constitution qui impose leur respect en toutes circonstances», a-t-elle ajouté.
«Nous ne pouvons pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Nous ne pouvons pas rejeter l'essence même de ce que nous prétendons être comme si elle était étrangère et périphérique. Le coût du développement à grande échelle doit être pris en compte et traité. Nous ne pouvons pas développer des projets malgré les coûts, économiques, environnementaux et humains, qui nous retomberont dessus – et qui toucheront particulièrement les Premières Nations.»
