Algoma Steel a commencé à utiliser la chaleur dégagée par les arcs électriques puissants pour produire de l'acier plus écologique.
Les fours à arc électrique ne sont pas une nouveauté. La technologie a plus d'un siècle et il en existe déjà quelques-uns au Canada. Algoma considère cependant la mise en production de son premier four du genre le mois dernier comme une victoire dans le contexte de la menace existentielle face aux droits de douane américains.
«Nous avons franchi une étape décisive pour Algoma et l'industrie sidérurgique canadienne. Malgré l'incertitude engendrée par la guerre commerciale, cette réussite renforce notre confiance dans notre stratégie de transformation», a déclaré son directeur général, Michael Garcia, lors d'une récente conférence téléphonique.
Cette stratégie a notamment consisté à réduire considérablement les émissions afin de différencier ses produits. L'entreprise a même déposé la marque Volta pour son acier plus propre qu'elle prévoit de produire à partir d'un mélange de fer et de ferraille à faibles émissions.
Mais les experts soulignent que le projet voit le jour alors que le marché de l'acier vert et du métal en général est confronté à des turbulences liées aux droits de douane et à la pression sur les prix, ce qui rend difficile de savoir quels avantages financiers les producteurs pourraient tirer des importants investissements initiaux nécessaires.
«La question est de savoir s’il y aura de la demande. La demande d'acier vert sera-t-elle suffisante en Amérique du Nord?», a indiqué Chris Bataille, chercheur adjoint au Centre de politique énergétique mondiale de l'Université Columbia.
«Les États-Unis commençaient à progresser assez rapidement vers les véhicules électriques, l'acier plus propre et tout le reste sous la dernière administration, mais nous avons vu un virage à 180 degrés», a-t-il ajouté.
Les émissions de l'acier étaient une priorité aux États-Unis, et le sont toujours au Canada, car l'utilisation du charbon pour produire de l'acier est très polluante. À l'échelle mondiale, la production d'acier représente environ 8 % des émissions de carbone, selon l'Agence internationale de l'énergie. Si cela semble logique du point de vue des émissions, les acheteurs prêts à payer plus cher pour cet acier plus écologique se limitent principalement au secteur automobile, selon M. Bataille.
Les constructeurs automobiles européens ont payé jusqu'à 40 % de plus pour ce matériau plus propre, car ils peuvent l'utiliser à des fins de marketing, tout en n'augmentant que légèrement le prix final d'une voiture. En revanche, le secteur du bâtiment, plus important, s'est montré plus hésitant, a-t-il rapporté.
Il existe toujours une demande en Europe, une région vers laquelle le Canada s'est tourné pour diversifier ses exportations, mais, avec les droits de douane qui perturbent également ce marché, il est difficile d'évaluer le potentiel réel, a souligné Tommaso Ferretti, professeur adjoint à l'École de gestion Telfer de l'Université d'Ottawa.
«Il existe une demande structurelle en Europe, mais dans quelle mesure cette demande structurelle restera-t-elle en place? C'est une grande interrogation», a-t-il indiqué.
M. Garcia reconnaît lui-même qu’il n’y a pas beaucoup de potentiel de vente en Europe pour Algoma ni ailleurs à l'international. «Nous pouvons charger notre acier sur un navire océanique ici à Sault Ste. Marie, mais l'acheminer vers un client exportateur en Europe ou ailleurs n'offre pas ces possibilités pour le moment. Franchement, je ne pense pas qu'elles se présenteront beaucoup à l'avenir», a-t-il affirmé.
Un autre projet phare au point mort
Ces défis expliquent en partie pourquoi l'autre projet phare d'acier vert au Canada, celui des installations d'ArcelorMittal à Hamilton, en Ontario, est au point mort.
L'entreprise avait annoncé en grande pompe en 2022 qu'elle allait de l'avant avec un projet de 1,8 milliard $ visant à passer à l'acier vert, mais les dernières mises à jour indiquent que le projet en est encore au stade de l'ingénierie.
Les problèmes d'offre excédentaire plus larges dans l'industrie, qui ont fait baisser les prix, font partie du problème, tout comme les doutes concernant des politiques comme la tarification du carbone, a déclaré M. Bataille.
«Il existe une certaine incertitude quant à la rapidité de la transition. Pour être honnête, c'est tout simplement un secteur où il est difficile de gagner de l'argent.»
ArcelorMittal a déclaré dans son dernier rapport sur le développement durable, publié en avril, qu'elle ne s'attendait pas à ce que les projets d'acier vert soient rentables avant les années 2030 et que des politiques seraient nécessaires pour faire face aux coûts élevés d'investissement et d'exploitation.
Les gouvernements fédéral et provinciaux du Canada sont déjà intervenus pour aider à couvrir les coûts d'investissement: Algoma a reçu 420 millions $, tandis qu'ArcelorMittal a obtenu 900 millions $.
Contrairement à Algoma, ArcelorMittal prévoit également la construction d'une usine à Hamilton pour extraire l'oxygène du minerai de fer en utilisant de l'hydrogène plutôt que du charbon. Ce procédé est coûteux, ce qui a entraîné plusieurs annulations de projets récemment.
ArcelorMittal a annulé deux projets d'acier vert en Allemagne en juin, invoquant les prix élevés de l'électricité. L'année dernière, l'entreprise a également souligné l'incertitude quant à l'avenir de plusieurs autres de ses projets sidérurgiques européens, car «les clients sont peu disposés à payer plus cher pour un acier à faibles émissions de carbone».
Cleveland-Cliffs, qui a racheté l'année dernière Stelco Holdings, basée à Hamilton, a récemment abandonné son projet de conversion à l'acier vert d'une usine américaine, qui bénéficiait déjà d'un financement public de 500 millions $.
Lourenco Goncalves, directeur général de Cleveland-Cliffs, a cité le manque d'approvisionnement en hydrogène comme l'une des raisons de l'annulation du projet. Il a déclaré, lors d'une conférence téléphonique sur les résultats financiers en juillet, que le projet de réorganisation de l'exploitation à partir des ressources existantes, notamment du «charbon précieux», suscite de très bonnes discussions avec l'actuel ministère américain de l'Énergie.
M. Ferretti craint que les pressions auxquelles le secteur est confronté entraînent également une baisse des investissements en recherche et développement pour tenter de réduire les coûts.
Il croit qu'une collaboration encore plus étroite entre les secteurs public et privé est nécessaire pour que cette industrie puisse tracer la voie à suivre.
Selon M. Bataille, cette voie pourrait passer par l'utilisation des vastes réserves d'énergie renouvelable et de minerai de fer du Canada pour construire une usine de réduction directe permettant de traiter le minerai plus près de la source, puis d'expédier le fer déjà réduit en oxygène dans le monde entier.
«Vous pourriez tripler la valeur de ces exportations», a-t-il déclaré.
