Plusieurs membres du conseil d'administration de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) ont été mis au parfum à maintes reprises sur les difficultés liées au virage numérique de l'organisation, bien avant le lancement de la plateforme SAAQclic. Mais «ça ne questionnait pas beaucoup», selon un ex-vérificateur interne.
Le comptable à la retraite Daniel Pelletier a entamé son témoignage lundi à la commission Gallant, qui tente de faire la lumière sur la modernisation technologique de la société d'État, connu comme le projet CASA/SAAQclic.
M. Pelletier a dirigé de 2016 à 2024 le département des auditeurs internes de la SAAQ. Dès les premières années de son mandat, lui et son équipe ont prévenu des lacunes, préoccupations et risques liés au projet informatique dans des notes adressées à des membres du C.A.
Dans ces notes datant de 2017 à 2020 et déposées à la commission, M. Pelletier a souvent exprimé des réserves quant à l'échéancier et les coûts du projet, parlant de «cibles ambitieuses». Il a aussi remis en doute le «réalisme et la faisabilité» de la livraison de SAAQclic.
Ces notes étaient présentées aux membres du comité conjoint comportant environ la moitié des membres du C.A. dédiés à surveiller l'évolution du projet informatique, a indiqué M. Pelletier. Leur contenu était discuté à l'occasion d'un huis clos.
«Quand vous allez à huis clos et vous expliquez vos craintes, est-ce qu'il y a des questions qui sont posées?», a demandé le commissaire Denis Gallant.
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«Non, ça ne questionnait pas beaucoup», a répondu l'ancien directeur de la vérification interne et de l'évaluation des programmes de la SAAQ.
M. Pelletier a révélé que la PDG de la SAAQ à l'époque, Nathalie Tremblay, s'immisçait dans le contenu des notes qu'il préparait avant de les déposer au comité conjoint.
Il a expliqué que, à la suite de discussions entre elle et lui, des informations relatant des enjeux concernant le projet CASA étaient retirées de la version finale du document.
Le responsable du projet et le patron informatique de la SAAQ, Karl Malenfant, aurait eu aussi son mot à dire, à quelques reprises, sur les notes de M. Pelletier avant les rencontres du comité. Qu'un auditeur interne doive négocier le contenu de ses constatations avec la personne concernée par un audit n'est pas une pratique courante ni «souhaitable», a mentionné M. Pelletier.
Au cours de son témoignage, des projets de notes de M. Pelletier ont été comparés avec les versions officiellement remises aux membres du C.A. Parmi les renseignements charcutés, il est notamment question de dépassements de coûts.
«Pour compenser» l'absence de certaines informations dans ses notes, il profitait des huis clos avec le comité conjoint pour faire mention de ces détails. «C'était mon forum», a-t-il dit, soulignant toutefois qu'aucun compte-rendu pouvant témoigner des discussions n'émanait lors de ces séances.
M. Pelletier a par ailleurs fait part, au cours de son témoignage, de difficultés rencontrées dès 2017 par les vérificateurs internes pour obtenir des informations «au bon moment» afin d'exercer leur travail de surveillance du projet.
Des projections remises en doute
Plus tôt lundi, M. Pelletier a évoqué que les responsables du projet SAAQclic ont usé de «comptabilité créative» pour mousser la rentabilité de la plateforme transactionnelle.
Il s'est souvenu que son équipe avait «accroché sur certains éléments» concernant les projections des bénéfices que pourrait générer la plateforme SAAQclic, à la suite de la conclusion du contrat en 2017.
L'équipe de CASA présentait notamment un chiffre de 175 millions $ reposant essentiellement sur des prévisions budgétaires qui n'avaient jamais eu lieu dans le passé.
«On n'était pas d'accord avec eux, a indiqué M. Pelletier. On trouvait, pour reprendre notre expression, que c'était de la comptabilité créative un peu.» Une firme externe est venue, plus tard, leur donner raison sur ces prétentions, a souligné l'ancien directeur.
«On a toujours voulu obtenir des suivis et des actualisations quant aux bénéfices à chaque fois que le projet évoluait. On nous répondait souvent: l'actualisation s'en vient. Mais, on n'a jamais eu le ‘‘picture global’’ (la situation générale) quant à ces fameux bénéfices-là qui aujourd'hui n'existent pas finalement», a affirmé M. Pelletier.
Avant son arrivée en poste, sa prédécesseure mettait en garde le conseil d'administration des risques sur la solution que la SAAQ a choisie pour moderniser ses systèmes informatiques, soit un progiciel (PGI), selon un document présenté à la commission.
La direction de la vérification interne et de l'évaluation des programmes se basait notamment sur une étude d'une firme-conseil spécialisée en PGI, Panorama. Celle-ci démontrait que «les dépassements de coûts et les délais sont très fréquents (...) et que les bénéfices attendus ne sont pas toujours au rendez-vous».
Rappelons que, selon le rapport du vérificateur général, le projet de modernisation technologique de la SAAQ pourrait coûter minimalement plus de 1,1 milliard $ d'ici 2027, soit 500 millions $ de plus que prévu.
Le témoignage de M. Pelletier doit se poursuivre mardi matin.

