Le président français Emmanuel Macron a nommé mardi le ministre des Armées Sébastien Lecornu, son homme de confiance venu de la droite, au poste à haut risque de premier ministre, au lendemain de la chute de François Bayrou et à la veille d’une journée de protestation dans tout le pays.
Il devient le septième premier ministre d’Emmanuel Macron, et le cinquième depuis le début de son second quinquennat en 2022. Du jamais-vu dans une Ve République longtemps réputée pour sa stabilité mais entrée dans une crise sans précédent depuis la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024, qui n’a pas permis de dégager une majorité.
Le président de la République a chargé Sébastien Lecornu, qui prendra ses fonctions mercredi à la mi-journée, « de consulter les forces politiques représentées au Parlement en vue d’adopter un budget pour la Nation et bâtir les accords indispensables aux décisions des prochains mois », a annoncé l’Élysée dans un communiqué.
« À la suite de ces discussions, il appartiendra au nouveau Premier ministre de proposer un gouvernement », a ajouté la présidence française.
À 39 ans, M. Lecornu, inamovible au gouvernement depuis 2017, a monté les échelons jusqu’à devenir ministre des Armées, un portefeuille ultrasensible en temps de guerre en Ukraine, et s’est imposé comme un fidèle et un intime du chef de l’État.
Après avoir reconnu la défaite de son camp aux législatives anticipées post-dissolution, à l’été 2024, puis nommé successivement deux premiers ministres, Michel Barnier (droite) puis François Bayrou (centre), il s’en remet donc à un macroniste pur jus.
« Le président tire la dernière cartouche du macronisme, bunkerisé avec son petit carré de fidèles », a raillé sur X Marine Le Pen, cheffe de file du parti d’extrême droite Rassemblement national.
Emmanuel Macron « prend le risque de la colère sociale légitime et du blocage institutionnel du pays », a dénoncé dans un communiqué le Parti socialiste (PS).
Une non-censure des socialistes?
Le leader de la gauche radicale (LFI), Jean-Luc Mélenchon a dénoncé « une triste comédie » et réclamé à nouveau le départ d’Emmanuel Macron.
Le casse-tête auquel est confronté le président français est le même que celui qu’il a été incapable de dénouer depuis plus d’un an: trouver un profil susceptible de survivre face à une Assemblée plus fragmentée que jamais.
À l’Élysée, on estime que la fragile coalition bâtie il y a un an entre la macronie et la droite est un acquis. Le président a exhorté ses chefs à « travailler avec les socialistes » pour « élargir » son assise.
Mais il a refusé d’aller jusqu’à nommer comme premier ministre leur patron, Olivier Faure, malgré ses offres de services pour la formation d’un « gouvernement de gauche » qui irait chercher des « compromis ».
Pour tenir, le futur gouvernement devra obtenir, a minima, une non-censure du PS, indispensable pour doter la France d’un budget pour 2026, dont la préparation vient de faire tomber le gouvernement sortant qui avait présenté un effort de 44 milliards d’euros. Le calendrier budgétaire risque déjà de dérailler en raison de cet énième soubresaut de la crise politique, après le retard inédit de l’an dernier.
Et l’impasse politique pourrait agiter les marchés financiers, en attendant la décision de l’agence Fitch susceptible de dégrader vendredi la note de la dette française. Mardi, la France a emprunté à échéance dix ans aussi cher que l’Italie, longtemps considérée parmi le mauvais élève en Europe.
Selon un interlocuteur régulier d’Emmanuel Macron, ce dernier pourrait cette fois accepter que le premier ministre fasse de réelles concessions aux socialistes, par exemple sur la taxation des plus riches, jusqu’ici un tabou pour lui.
« Urgence »
Au-delà du budget, il y avait « urgence à nommer un premier ministre » parce qu’il ne doit pas « y avoir de pouvoir vacant » à la veille du mouvement de contestation citoyen « Bloquons tout », prévu mercredi, et avant une mobilisation syndicale du 18 septembre, a martelé dans la matinée le ministre de l’Intérieur sortant Bruno Retailleau, patron de LR, évoquant un mois « propice à tous les débordements ».
Mais la portée réelle de la mobilisation - qui rappelle à certains égards celle des Gilets jaunes qui a secoué la France en 2018-2019 - reste incertaine.
80 000 policiers et gendarmes vont être déployés pour faire face à des centaines d’actions prévues dans le cadre de ce mouvement de mécontentement, nourri par un rejet du plan d’économies présenté pendant l’été par François Bayrou.
Emmanuel Macron le sait: s’il n’a que des cartes imparfaites entre les mains, l’atout qu’il va abattre risque d’être le dernier avant de devoir, en cas de nouvel échec, dissoudre à nouveau l’Assemblée, comme l’y invite le Rassemblement national.
En cas d’impasse prolongée, la pression monterait sur une démission d’Emmanuel Macron, espérée par l’extrême droite comme par La France insoumise.
