Des groupes de défense des libertés civiles préviennent que le nouveau projet de loi du gouvernement libéral sur les crimes haineux pourrait porter atteinte au droit de manifester.
Vibert Jack, directeur du contentieux à l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, a déclaré lors d'une entrevue que le projet de loi constituait une «attaque contre la liberté d'expression».
Il a ajouté qu'il «créerait un effet dissuasif susceptible de limiter la capacité des citoyens à manifester et à exprimer leur désaccord, pourtant nécessaire au bon fonctionnement d'une démocratie».
Le projet de loi, déposé vendredi, créerait de nouvelles infractions d'obstruction et d'intimidation visant à protéger les lieux de culte et les institutions – notamment les écoles, les garderies et les résidences pour personnes âgées – utilisées par un groupe identifiable.
«La nouvelle infraction d'intimidation est beaucoup plus large que les interdictions existantes et pourrait criminaliser les manifestations pacifiques simplement parce qu'elles sont perçues comme perturbatrices», a déclaré Anaïs Bussières McNicoll, directrice du programme des libertés fondamentales de l'Association canadienne des libertés civiles (ACLC), dans un communiqué de presse.
La peine maximale prévue par la nouvelle loi serait de 10 ans d'emprisonnement. Mme Bussières McNicoll a indiqué que la sanction «est très sévère et pourrait contraindre les militants au silence».
L'ACLC a affirmé que le projet de loi pourrait affecter des dizaines de milliers d'espaces communautaires à travers le pays. Elle a ajouté que la police peut assurer la sécurité publique en s'appuyant sur les lois existantes concernant les méfaits, l'intimidation, les menaces et le harcèlement.
Mme Bussières McNicoll a déclaré en entrevue que «la nouvelle disposition relative à l'intimidation va bien au-delà des infractions pénales existantes en criminalisant tout comportement visant à provoquer un état de peur chez une autre personne afin de l'empêcher d'accéder à certains lieux».
Elle a dit que la notion d'intention de créer un «état de peur» n'est pas définie dans le projet de loi, «de sorte que la disposition pourrait facilement être interprétée par la police comme visant des manifestations pacifiques, mais perçues par certains comme offensantes ou perturbatrices, et donc incitant à la peur».
M. Jack a déclaré qu'il existe «toutes sortes de raisons tout à fait légitimes» d'organiser une manifestation devant un édifice religieux ou un centre communautaire.
«Mais il n'est absolument pas certain que les gens pourront manifester pacifiquement dans ces lieux avec l'entrée en vigueur de cette disposition, a-t-il fait valoir. Cela crée un effet dissuasif qui aura des répercussions sur les activités d'expression protégées par la Charte, mais les gens pourraient s'abstenir de les exercer par crainte d'être criminalisés.»
Le projet de loi ne créerait pas de «zones tampons» pour interdire les manifestations autour des bâtiments désignés. Ces zones doivent être décrétées par les provinces ou les municipalités.
Le ministre de la Justice, Sean Fraser, a déclaré vendredi aux journalistes que le projet de loi «met tout en œuvre pour protéger spécifiquement la capacité des Canadiens à participer à des manifestations pacifiques».
Le projet de loi criminaliserait également la promotion volontaire de la haine par l'utilisation de symboles haineux. Il créerait une nouvelle catégorie de crime haineux qui s'ajouterait aux infractions existantes et augmenterait la peine d'emprisonnement maximale pour les personnes reconnues coupables de l'infraction sous-jacente.
M. Jack a affirmé que «les peines maximales pour la plupart des infractions sont déjà suffisamment lourdes pour traiter la haine comme une circonstance aggravante».
Errol Mendes, professeur de droit à l'Université d'Ottawa, s'est montré plus favorable au projet de loi que les groupes de défense des libertés civiles.
«Je suis davantage préoccupé par la mise en œuvre adéquate de cette mesure. Je l'appuie en général, mais je pense qu'il faut un débat public beaucoup plus approfondi», a-t-il soutenu.
Le projet de loi vise à codifier la définition de la haine proposée par la Cour suprême du Canada. Le professeur Mendes a indiqué qu'il peut être difficile de déterminer ce qui répond aux normes énoncées dans cette définition.
«J'ai été surpris qu'ils aient simplement intégré cette même définition dans la loi», a-t-il déclaré, soulignant que c'est là qu'il nourrit «quelques inquiétudes quant à sa mise en œuvre».

