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L’entreprise montréalaise spécialisée en analyse balistique qui a promis des millions de dollars en pots-de-vin à des responsables philippins, dont un ministre et son frère, afin de décrocher des contrats avec la police devra payer 10,5 millions $ dans le cadre d’une entente qui lui évitera d’être poursuivie au Canada.
C’est ce que l’on peut apprendre dans un accord conclu par Ultra Electronics Forensic Technology avec des procureurs fédéraux, qui a été approuvé par la Cour supérieure du Québec.
Il s’agit ainsi du deuxième accord de réparation, aussi appelé «accord de poursuite suspendue», conclu au Canada depuis leur ajout au Code criminel en 2018. Dans le premier cas, des procureurs provinciaux du Québec s’étaient entendus avec SNC-Lavalin au sujet de corruption dans son contrat de réfection du pont Jacques-Cartier.
Dans le cas présent, l’accord oblige Ultra Electronics Forensic Technology à payer environ 10,5 millions $, à coopérer aux enquêtes, à tenir au courant les procureurs sur la mise en œuvre de l’entente et à se conformer à un programme anti-corruption supervisé par un auditeur externe embauché aux frais de l’entreprise.
Le tribunal a approuvé l'accord en février, mais ce n'est que le 16 mai que la décision finale, dont La Presse Canadienne a obtenu copie, a été rendue.
Située à Montréal, dans l'arrondissement de Saint-Laurent, l’entreprise Ultra Electronics Forensic Technology se spécialise dans les outils d'identification balistique. Elle vend ses produits à des corps policiers de partout dans le monde pour les aider à résoudre les crimes commis avec des armes à feu sur leur territoire.
«Nous saluons l'approbation de l’accord de réparation qui est lié à un contrat conclu aux Philippines», a souligné le président-directeur général de l’entreprise, Alvaro Venegas, dans un courriel.
«Aucune personne impliquée (dans cette histoire) n'est encore avec l'entreprise aujourd'hui. L’incident en question s'est produit il y a plus de cinq ans, et nous avons depuis mis en place une gestion, une culture, des systèmes et des contrôles considérablement améliorés», a-t-il fait valoir.
En septembre 2022, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a annoncé que des accusations de fraude et de corruption avaient été portées en vertu de la Loi sur la corruption d'agents publics étrangers contre l'entreprise et quatre de ses dirigeants : Robert Walsh, Philip Timothy Heaney, René Bélanger et Michael McLean.
Les poursuites individuelles contre les dirigeants se poursuivent, tandis que les charges contre l’entreprise sont suspendues et seront retirées si cette dernière se conforme aux critères de l'accord de réparation.
L'exposé conjoint des faits joint à la décision du tribunal révèle que, de 2006 à 2018, deux hauts placés de l'entreprise ont été impliqués dans un stratagème visant à soudoyer des fonctionnaires philippins afin d'obtenir de contrats d’une valeur de 17 millions $ avec la police nationale des Philippines.
Un peu moins de 4,4 millions $ auraient été versés pour camoufler ce stratagème, mais «les montants exacts des pots-de-vin, ainsi qu’à qui ils ont été versés, ne sont pas disponibles dans les preuves», indique l'exposé des faits.
On peut tout de même y apprendre que les pots-de-vin étaient promis à des fonctionnaires et à d'autres personnes «suffisamment bien placées pour exercer une certaine influence».
Ronaldo Puno, qui a été secrétaire du ministère de l'Intérieur et du gouvernement philippin de 2006 à 2010, serait l’une des personnes impliquées dans ce stratagème. L’exposé des faits précise que M. Puno était «une personne clé afin de débloquer les budgets nécessaires pour se procurer» les produits phares de l’entreprise d’analyse balistique.
Le jugement indique aussi qu'entre septembre 2006 et janvier 2018, deux cadres supérieurs de l'entreprise ont demandé l'aide de «l'agent commercial» Rizalino Espino, à Manille, pour aider à conclure les contrats avec la police.
L’entreprise de M. Espino, Concept Dynamics Enterprises, devait recevoir des commissions sur un pourcentage de tous les contrats, dont «une partie substantielle» était destinée à être des pots-de-vin.
La déclaration indique que M. Espino a recruté deux hommes d'affaires locaux pour aider au programme de corruption en raison de leur «relation étroite» avec M. Puno et son frère Rodolpho Puno, qui était alors président du Philippines Road Board.
L’exposé des faits indique que pendant 12 ans, M. Espino et un associé ont reçu «une grande latitude» de la part des employés d'Ultra Electronics «pour travailler sur le paiement de pots-de-vin aux fonctionnaires et à leur entourage».
Mais le stratagème s'est effondré lorsque le président d'Ultra a reçu une lettre, en avril 2018, de la part d’un ancien agent commercial qui alléguait des pratiques de corruption.
À ce moment, Ultra avait été acquise par une nouvelle société mère au Royaume-Uni. L’entreprise a largement coopéré avec la GRC et les autorités britanniques lors de l'enquête et a également congédié les employés impliqués en 2019.
Le Service des poursuites pénales du Canada a publié une déclaration sur l'accord de réparation le 17 mai, indiquant qu'Ultra devrait payer une amende de 6 593 178 $ et une suramende de 659 318 $, en plus de la saisie d’un montant de 3 296 589 $ pour l’avantage retiré du comportement fautif.
Il précise que la Cour supérieure du Québec «estime que l’approbation de cet accord incitera les sociétés à divulguer volontairement les actes répréhensibles».
Les directives du service des poursuites indiquent que les accords de réparation «peuvent constituer, pour les cas qui s’y prêtent, comme une solution de rechange à une poursuite.
«Ils permettent également de responsabiliser les sociétés tout en réduisant le risque d’infractions futures et de préjudice envers des tiers, comme des employés, des investisseurs ou des victimes.»
Les accords de réparation ne peuvent être conclus qu'avec des organisations et ne sont pas disponibles pour les accusés individuels.