L'ex-secrétaire générale Dominique Savoie, qui travaillait directement sous l'autorité du premier ministre François Legault, a été informée à l'hiver 2024 par la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) de nouveaux dépassements de coûts à venir pour la plateforme SAAQclic.
L'ex-PDG de la SAAQ, Éric Ducharme, a complété son témoignage vendredi après-midi devant la commission Gallant.
Il a rencontré en mars 2024 Mme Savoie, qui est à l'époque le bras droit de M. Legault au ministère du Conseil exécutif. M. Ducharme a affirmé lui avoir annoncé que la société d'État était sur le point d'épuiser — et plus vite que prévu — l'argent restant au contrat avec le consortium qui s'élevait alors à 573 millions $.
«Ce n'est pas de bonnes nouvelles. On a un système qui doit fonctionner. Ça prend des ressources, ça prend des licences. On a encore un système qui a des problèmes en 2024», a expliqué M. Ducharme à la commission.
Ce nouvel «avenant» de 39,1 millions $ s'est ajouté aux deux autres signés au cours des deux années précédentes.
La SAAQ conclura aussi en 2024 trois autres appels d'offres pour assurer l'exploitation et l'évolution du projet informatique nommé CASA. L'objectif derrière est «de se sortir» du contrat-cadre avec le consortium formé de LGS et SAP, a mentionné M. Ducharme. À sa surprise, LGS remportera essentiellement ces nouveaux contrats.
En additionnant le coût initial du contrat, les extras et les derniers appels d’offres, la facture pour le consortium est alors portée à 797 millions $, a calculé la procureure de la commission, Mélanie Tremblay.
Ce chiffre est toutefois «sur une plus longue période» que le contrat initial, a précisé M. Ducharme. Et de ce montant, un contrat de 75 millions $ «pourrait servir à CASA», a-t-il aussi nuancé.
M. Ducharme a également affirmé avoir présenté ces chiffres à la directrice de cabinet de la ministre des Transports, Geneviève Guilbault.
Rappelons que le virage numérique de la SAAQ, qui comprend la plateforme SAAQclic, devrait coûter au moins 1,1 milliard $, selon le Vérificateur général du Québec.
M. Ducharme s'est par ailleurs défendu d'avoir eu peu d'intérêt pour la vérification interne, comme l'ont soutenu certains témoins devant la commission.
Une ancienne vérificatrice de la SAAQ, Marie-Line Lalonde, avait déclaré en juin dernier avoir eu l'impression de s'être fait «cracher dessus» lors d'une réunion en janvier 2024 où M. Ducharme était resté les bras croisés, semblant dire: «Je n'en veux pas de votre travail.»
L'ex-PDG s'est dit surpris d'avoir laissé une telle perception alors qu'«on était en train de changer les choses».
«J'en suis même blessé (...) C'était loin de moi d'avoir ce type de rencontre avec ces gens-là, au contraire. J'ai posé plusieurs gestes qui n'ont peut-être pas paru», a-t-il déclaré, plaidant qu'il juge important le travail des auditeurs internes.
M. Ducharme n'a pas voulu commenter le courriel de Mme Guilbault adressé à M. Legault en décembre 2024, et qui a été exhibé la semaine dernière à la commission. La ministre s'en prenait à M. Ducharme et demandait des changements à la tête de la SAAQ.
M. Ducharme a été congédié en juillet dernier par le gouvernement. «Ce qu'on m'a dit, c'est que la pression était trop forte et que c'était rendu à mon tour de laisser ma place», a-t-il confié.
Témoignages de Dubé et LeBel
Vendredi matin, les ministres Christian Dubé et Sonia LeBel ont à leur tour témoigné dans le cadre de la commission d'enquête publique.
M. Dubé, qui a été président du Conseil du trésor de 2018 à 2020, a livré un court témoignage devant la commission Gallant, à Montréal. Il était présent aux balbutiements du projet de modernisation informatique de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) nommé CASA.
Selon lui, à son arrivée en poste, le projet n’était pas sur le radar du gouvernement. La première fois qu'il entend «des éléments de dépassements de coûts si importants» est lors du dépôt du rapport du Vérificateur général du Québec (VGQ), en février dernier, a dit M. Dubé, aujourd'hui ministre de la Santé.
Sa successeure, Sonia LeBel, a notamment été interrogée à propos de la main-d'oeuvre déployée par la SAAQ pour sa transformation numérique. Le secrétariat du Conseil du trésor a un rôle de suivi sur le niveau des effectifs auprès d'organismes comme la société d'État.
Mme LeBel a dit avoir appris vers juin 2021 que la SAAQ «était en surconsommation» d'effectifs, soit qu'elle dépassait ses cibles autorisées. Le secrétariat demandait alors à l'organisation un plan de résorption.
À la lecture de documents, ces demandes de réduction n'ont jamais été respectées entre 2020 et 2025 alors que les effectifs sont demeurés en hausse durant cette période, a fait remarquer le procureur de la commission, Vincent Ranger.
«Ils ont des difficultés effectivement, a reconnu la ministre caquiste. Ils ne sont pas les seuls en difficulté. On sort de la pandémie. Il y a eu beaucoup de bouleversements.»
Elle s'est par ailleurs défendue d'avoir été «passive» devant ce dépassement d'effectifs. «Le SCT (Secrétariat du Conseil du trésor) n'est pas du tout spectateur ou dépassé ou passif. Le SCT a les outils que la loi lui donne», a soutenu l'élue.
Mme LeBel a indiqué ne pas avoir pas eu de rencontres fréquentes avec son collègue Éric Caire, à l'époque où ce dernier était le ministre délégué à la Transformation numérique gouvernementale. Ce portefeuille était intégré au sein du Conseil du trésor avant la création du ministère de la Cybersécurité et du Numérique en 2022.
Mme LeBel a expliqué que M. Caire avait sa pleine autonomie comme ministre délégué. Mais elle a assuré que son collègue devait l’informer en cas d’enjeu critique.
«Je le laissais quand même juger de ça parce que je ne lui respirais pas dans le cou, communément dit. Mais naturellement, s'il savait qu'il y avait quelque chose qu'il jugeait opportun et pertinent de me parler, il devait le faire», a dit Mme LeBel.
La commission Gallant doit entendre le premier ministre François Legault mardi.

