Début du contenu principal.
Quelque part dans l'espace, entre la Terre et Mars. 800e jour du voyage. C'est l'heure de la bouffe. Quatre astronautes font la pause. Quel est le menu?
Par Bob Weber – La Presse canadienne
Un lait fouetté aux microalgues cultivées sur des biofilms? Une savoureuse tartinade de criquets accompagnée de minuscules fraises? Des œufs brouillés pondus par des microbes et accompagnés d'une tranche de «lard de l'espace», c'est-à-dire d'un mycélium de champignon?
Ces mets font partie des suggestions soumises par des demi-finalistes du Défi de l'alimentation dans l'espace lointain, un concours coparrainé par l'Agence spatiale canadienne et la NASA.
Sur le site internet de l'agence, il est indiqué que ce concours vise à la créer «de nouvelles technologies de production alimentaire qui nécessitent un minimum d'intrants (p. ex. matériel, énergie, eau) pour produire un maximum d'aliments sains, nutritifs et agréables au goût».
«On ne peut pas aller aussi loin que ce que peuvent manger les astronautes», rappelle Clelia Cothier, de l'Agence spatiale canadienne.
Chaque demi-finaliste recevra 30 000 $ pour financer le prochain stade de leur projet, lequel devra être construit sur un modèle de travail d'ici janvier 2023. Le vainqueur du concours sera annoncé au printemps 2024.
Le défi est titanesque.
Le système choisi devra aider à nourrir quatre astronautes partis vers la planète rouge sans possibilité de se réapprovisionner. Il devra avoir la superficie d'un réfrigérateur avec une limite stricte de poids et d'énergie. Le projet devra «créer une variété d'aliments appétissants, nutritifs et sécuritaires qui nécessitent peu de temps de traitement pour les membres d'équipage».
Les algues sont une solution proposée par plusieurs participants. «Je compare les algues aux imprimantes 3D, dit Soheyl Mottahedeh d'AlgaBloom International. On a la possibilité de produire tous les ingrédients que renferme la planète Terre.»
M. Mottahedeh dit que son système peut facilement produire des boissons, des nouilles, des croustilles et des pâtisseries à consistance de yogourt contenant tous les minéraux et vitamines nécessaires à la vie d'un astronaute. Toutefois, il s'agirait d'un régime sans glucides.
De tels systèmes sont faciles à utiliser, dit une autre concurrente, Valerie Ward, de l'Université de Waterloo. On a juste à faire jaillir l'algue de la surface hôtesse tous les deux jours. Selon elle, son système permettrait de produire environ 20% de l'alimentation requis pour les quatre astronautes. «Ça goutte un peu comme les épinards. C'est très nutritif.»
Ah! On préfère les microbes. Alors, le concurrent Noblegen met déjà en marché des produits dérivés de l'euglène, une espèce microscopique mi-animale, mi-végétale.
Les euglènes transforment les déchets en une pâte jaune-vert ou un liquide doré, dit le directeur de Noblegen, Scott Farrow. «Non seulement cela est rempli de protéines, mais il contient des lipides très sains», dit-il.
Noblegen tente de transformer l'euglène pour qu'il goûte comme du porc effiloché, une salade de thon ou des œufs brouillés. Si l'entreprise est à veille de réussir pour les œufs, un grand chemin reste à faire pour tous les produits. «Les textures, le goût, l'odeur. Tout le monde éprouve des difficultés avec ces éléments», souligne M. Farrow.
D'autres se penchent sur les petits insectes. Des étudiants de l'Université McGill utilisent des criquets pour recycler les déchets comme des vêtements usagés ou du papier en nourriture. Le produit peut être mélangé à d'autres aliments ou bu. Le système doit bientôt subir le test du goût, dit le superviseur du projet pour l'université, Mark Lefsrud. «Les astronautes devront vouloir manger ça.»
Certains préfèrent travailler avec des plantes. Mme Cothier dit que ce concours a contribué à mousser l'intérêt pour cette recherche scientifique et faire naître des experts canadiens dans un domaine en plein essor. «C'est l'essentiel, lance-t-elle. L'idée est d'encourager les entreprises et les faire croître au sein d'une cohorte.»
Être associé au voyage spatial donne un certain charme à ce concours, mais les participants espèrent que les recherches seront aussi utiles sur la Terre. Des systèmes adaptés aux difficiles conditions de l'espace peuvent améliorer la sécurité alimentaire dans des endroits où l'agriculture traditionnelle ne peut fonctionner comme les déserts ou l'Arctique.
«Si nous ne sommes pas choisis pour la prochaine phase du concours, nous poursuivrons notre projet, dit Leonard Audibert. Il pourrait vraiment s'appliquer à la Terre. On pourra nourrir les gens.»