L’entrée en vigueur imminente d’une nouvelle loi forçant les bars et restaurants à modifier la façon dont ils calculent les pourboires inquiète certains serveurs, qui craignent de perdre jusqu’à 15% de leurs revenus. Une situation qui pourrait venir compliquer le recrutement de la main-d’œuvre, selon des propriétaires d’établissements interrogés par Noovo Info.
Jusqu’ici, les clients ajoutaient souvent un pourboire après le calcul des taxes, ce qui avait pour effet de gonfler la facture finale.
La loi 72, qui entrera en vigueur le 7 mai, forcera les établissements à mettre à jour leurs terminaux de paiement afin que le pourboire de 15%, 18% (voire 25% dans certains cas) soit dorénavant calculé sur le total avant taxes. Une façon de «s’attaquer à un irritant du quotidien» et de mettre fin à des «pratiques abusives et nuisibles», a expliqué Simon Jolin-Barrette, ministre responsable de la protection des consommateurs, en marge du dépôt du projet de loi.
Si la mesure est bien accueillie par les consommateurs, elle suscite de la grogne et de l’inquiétude chez certains travailleurs de la restauration, qui tirent la majorité de leurs revenus des pourboires.
Après la pandémie, une nouvelle injustice
Les employés de la restauration, qu’ils soient serveurs, barmans ou livreurs, forment une main-d’œuvre particulièrement vulnérable. Avec un taux de syndicalisation de seulement 8,7% en 2023 dans les secteurs de l’hébergement et de la restauration, ces travailleurs bénéficient rarement de conventions collectives, selon l'Institut de la statistique du Québec.
«C'est sûr que ça va diminuer mon salaire. On est quand même taxés, on est quand même imposé», a indiqué Hannah, serveuse au restaurant 3 Amigos, au micro de Noovo Info.
Un autre serveur rencontré par Noovo Info a tenu également à rappeler que les serveurs qui récoltent les pourboires partagent souvent leurs gains avec les membres de l'équipe du restaurant.
«Notre 15% se transforment en 12% et avec les changements imposés sur le pourboire peut-être que notre 12% va se transformer à 11% ou 10%, ça nous donne encore moins dans nos poches», explique-t-il.
D’après Kyrianne Ouellette, gérante du Pub L'Île Noire sur la rue Saint-Denis, à Montréal, la loi 72 vient directement attaquer une population précaire.
«Avec l’inflation, les prix ont monté pour tout le monde», rappelle-t-elle. Avec la loi 72, ses collègues et elle se sont «fait voter une diminution de salaire», estime-t-elle. «C’est vraiment injuste!»
L’après-pandémie a été très difficile, explique la gérante du pub, qui constate que le pourboire est devenu monnaie courante dans certains commerces où il était auparavant inexistant.
«Au dépanneur, chez le mécanicien ou encore dans des fast food», énumère-t-elle.
«Les gens ne comprennent plus quand c’est important de donner du pourboire. Il faut donner du pourboire à ceux qui ont un revenu en dessous du salaire minimum.»
La jeune femme souligne que cette précarité est accentuée par l’absence quasi systématique d’avantages sociaux. Peu d’employés ont accès à des assurances maladie, des congés payés ou des fonds de pension. La variabilité des revenus est dépendante de la saison, de l’achalandage et des quarts de travail.
Kyrianne Ouellette affirme d’ailleurs que l’âge d’or de la restauration au Québec est passé. Aujourd’hui, la situation financière est instable pour les gens de la restauration, surtout dans un contexte d’inflation.
Un salaire minimum en hausse: 12,90 $ contre 16,10 $
Au Québec, les employés au pourboire, comme les serveurs et les barmans, sont rémunérés à un salaire au pourboire, fixé à 12,90 $ l’heure depuis le 1er mai 2025, contre 16,10 $ pour le salaire minimum régulier. Cette disparité est justifiée par l’idée que les pourboires compensent l’écart.
Travailler dans la restauration, particulièrement dans les bars, est une tâche exigeante, tant sur le plan physique que psychologique, relate la gérante de bar.
Les employés travaillent fréquemment le soir, la nuit, les week-ends et les jours fériés, ce qui complique la conciliation travail-vie personnelle. Les week-ends libres sont rares, voire inexistants.
La majorité des employés n’ont pas accès à des assurances maladie et les femmes, qui représentent une part importante des effectifs de bars, sont exposées au harcèlement sexuel.
«S'il y a quoi que ce soit qui se passe dans ta vie, il faut que tu souries et que tu serves le client.»

