Politique

Agressions sexuelles dans l'armée: la juge Arbour demande des changements structurels

Dans un autre rapport publié lundi, Mme Arbour soutient que de nombreuses recommandations faites au fil des ans, comme par l'ex-juge Marie Deschamps en 2015, n'ont pas été suivies de prises d'action adéquates et porteuses de réels changements par les FAC.

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Dans un autre rapport coup-de-poing sur cet enjeu majeur publié lundi, Mme Arbour soutient que de nombreuses recommandations faites au fil des ans, comme par l'ex-juge Marie Deschamps en 2015, n'ont pas été suivies de prises d'action adéquates et por... Dans un autre rapport coup-de-poing sur cet enjeu majeur publié lundi, Mme Arbour soutient que de nombreuses recommandations faites au fil des ans, comme par l'ex-juge Marie Deschamps en 2015, n'ont pas été suivies de prises d'action adéquates et porteuse (Sean Kilpatrick | La Presse Canadienne)

En plus d'appeler au transfert de tout dossier d'agression sexuelle et de harcèlement sexuel au sein des Forces armées canadiennes (FAC) vers des autorités civiles, l'ex-juge de la Cour suprême Louise Arbour exhorte à de profonds changements dans les structures et les façons de faire de l'armée.

Dans un autre rapport coup-de-poing sur cet enjeu majeur publié lundi, Mme Arbour soutient que de nombreuses recommandations faites au fil des ans, comme par l'ex-juge Marie Deschamps en 2015, n'ont pas été suivies de prises d'action adéquates et porteuses de réels changements par les FAC.

«Elles ont choisi de se conformer à la lettre plutôt qu'à l'esprit des recommandations et de prioriser l'apparence des mesures plutôt que leur substance, ce qui a eu pour effet de renforcer les façons de faire existantes, tranche-t-elle. Je crois qu'il s'agit là d'une conséquence du mode de fonctionnement insulaire qui prévaut traditionnellement chez les FAC et de la détermination de ces dernières à continuer d'opérer de la même manière qu'elles l'ont toujours fait». 

Dans une conférence de presse lundi, le ministère de la Défense a annoncé la publication du rapport final de l’examen externe sur le harcèlement sexuel et l’inconduite sexuelle au sein du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes. 

Louise Arbour, qui a aussi été haute-commissaire des Nations unies pour les droits de l'Homme, précise que son constat n'en est pas un de défaitisme, mais que la façon passée de répondre aux recommandations en produisant « des listes, des graphiques, des inventaires et des présentations PowerPoint, ainsi qu'à instaurer de nouveaux ordres, politiques et directives » doit être reléguée aux oubliettes.

«Plusieurs des questions qu'on m'a demandé d'aborder n'ont rien de nouveau [...] Cet examen était une tâche laborieuse. J'ai constaté que le changement de culture dans les armées a très peu de chance  de se réaliser sans l'implication de l'organisation», a dit Mme Arbour en conférence. 

48 nouvelles recommandations

La juge à la retraite recommande qu'une personne indépendante soit mandatée «immédiatement» pour assurer un suivi continu aux recommandations de son rapport. Ce «contrôleur externe» serait chargé de fournir des examens d'étape chaque mois à la ministre de la Défense, Anita Anand.

«Une réelle ouverture aux apports et à l'aide de l'extérieur, ne se limitant pas seulement à des conseils ponctuels et non contraignants, pourrait avoir une incidence d'une grande portée. Ultimement, cette ouverture pourrait permettre aux FAC d'évoluer au même rythme que la société canadienne et de démontrer un véritable effort de changement organisationnel», peut-on lire dans le rapport.

La ministre Anand, qui s'est engagée lundi à la prise d'actions immédiates pour 17 des 48 recommandations, a promis de nommer ce «contrôleur externe».

Appelée à préciser quand cela serait fait et à quel moment cette personne serait à pied d'oeuvre, Mme Anand a répondu «aussitôt que possible» aux journalistes.

Quelques copies du rapport final rédigé par Louise Arbour. | Crédits photo: Sean Kilpatrick pour la La Presse Canadienne

À l'instar de sa recommandation préliminaire, Louise Arbour demande à ce que toute accusation de nature sexuelle qui équivaudrait à une infraction au Code criminel «relève de la compétence exclusive des autorités civiles». Selon elle, le développement du leadership est nécessaire pour qu'il y ait un changement de culture. 

La ministre de la Défense, Anita Anand, avait accepté cette recommandation «dans son intégralité» en novembre dernier, après que plusieurs allégations d'inconduite sexuelle eurent ébranlé les hauts rangs des FAC.

«J'ai reçu et analysé le rapport complet de Mme Arbour et j'ai le plaisir de partager au public. Il y a 48 recommandations pour changer la culture», a déclaré la ministre Anand en conférence. 

Elle a dit que des discussions ont été lancées avec les partenaires provinciaux et territoriaux pour ces transferts et qu'elle écrirait, la semaine prochaine, aux ministres de ces ordres de gouvernement sur la marche à suivre. Elle a mentionné qu'une table de travail intergouvernementale serait mise en place pour garantir un processus «durable qui va bien servir les membres des FAC sur le long terme».

Outre les 17 recommandations où des actions immédiates sont promises, la ministre Anand a soutenu que le reste des 48 mesures suggérées requièrent un travail d'analyse et de planification. «Je vais personnellement évaluer si et quand nous pouvons implanter ces recommandations efficacement et de façon efficiente.»

Mme Arbour réclame notamment qu'Ottawa indique clairement, d'ici la fin de 2022, quelles recommandations seront mises de côté, ce que la ministre Anand a confirmé qu'elle ferait.

L'ex-haute-commissaire des Nations unies demande aussi à ce que tout cas de harcèlement sexuel se retrouve entre les mains de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP).

De leur côté, les principaux partis d'opposition ont accusé le gouvernement Trudeau d'inaction pour avoir laissé dormir les recommandations du rapport Deschamps, qui avait généré une onde de choc en 2015.

«La balle est maintenant dans le camp des libéraux. Vont-ils encore prendre sept ans après le dépôt d'un rapport pour agir?», a lancé le chef adjoint des conservateurs, Luc Berthold.

Le leader parlementaire néo-démocrate Peter Julian a renchéri que le coût, pendant ces années, a été «dévastateur sur les femmes militaires».

La porte-parole bloquiste en matière de Condition féminine, Andréanne Larouche a quant à elle invité le gouvernement à «démontrer sa réelle volonté politique de mettre fin à cette culture toxique dans les forces armées canadiennes».

Émilie Bergeron

Émilie Bergeron

Journaliste