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Carl Latulippe vise toutes les équipes de la LHJMQ, la ligue elle-même et la LCH dans sa demande d'action collective.
Carl Latulippe, qui a rapporté des abus physiques et sexuels survenus à l’époque où il jouait dans le hockey junior majeur des années 1990, dépose une demande d’action collective de plus de 15 millions de dollars contre toutes les équipes de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ), la ligue elle-même et la Ligue canadienne de hockey (LCH).
Le document, déposé par la firme Kugler Kandestin et dont Noovo Info a obtenu une copie, est déposé au nom de «tous les joueurs de hockey qui ont subi des abus, alors qu’ils étaient mineurs et évoluaient au sein de la [LHJMQ], et ce, depuis le 1er juillet 1969». Le somme de 15 millions de dollars reflète «la gravité, la nature de la violation des droits fondamentaux des personnes, [...] le nombre potentiel de membres concernés», ainsi que «le désir de s'assurer qu'il y ait un changement de comportement», a commenté Me David Stolow dans un entretien avec Noovo Info.
En avril dernier, M. Latulippe, avait dénoncé haut et fort dans La Presse les agressions physiques et psychologiques multiples subies lors de son passage dans les rangs de la LHJMQ. Dans sa demande d'action collective, l'ancien joueur des Saguenéens de Chicoutimi et des Voltigeurs de Drummondville rappelle ce qu'il a déjà rapporté par le passé, soit plusieurs exemples de gestes répréhensibles qu’aurait vécus M. Latulippe entre 1994 et 1996.
Voyez le récapitulatif de Louis-Philippe Bourdeau dans la vidéo qui accompagne ce texte.
Lui et ses coéquipiers des Saguenéens auraient été forcés de se masturber lors d’un séjour en autobus. Il aurait ensuite été enfermé dans les toilettes avec d’autres membres de son équipe qui ne seraient pas parvenus à éjaculer. Des entraineurs de l’équipe se trouvaient à bord de l’autobus, affirme-t-on dans le document.
Après son transfert chez les Voltigeurs de Drummondville, M. Latulippe affirme avoir vu un coéquipier se faire introduire un cintre dans l’anus, «entraînant son déchirement».
Il affirme que les recrues s’enduisaient «de shampooing avant de se doucher afin que leur peau soit glissante» pour se protéger des vétérans qui tenteraient de les agresser.
Carl Latulippe aurait aussi été battu de façon «extrême» par le capitaine de son équipe après avoir refusé de se battre sur la glace.
Les avocats responsables du dossier estiment que les instances citées par la demande «avaient l'obligation de protéger» les joueurs «et de veiller à leur bien-être». Elles ont été «témoins de l'abus, l'ont encouragé, négligé, toléré, couvert ou ignoré».
Le document cite une longue liste de gestes troublants pouvant être considérés comme de «l’abus» dans le cadre de ce recours: agression sexuelle, être forcé à se confiner, se raser ou se dénuder, être forcé de boire de l’urine, de la salive, du sperme ou encore être forcé de s’auto-infliger des blessures ou de commettre des actes de bestialité.
La direction de la LHJMQ a pris connaissance du dépôt de la demande d'action collective et a réagi en fin de journée, par le biais d'un communiqué.
«La LHJMQ prend les allégations de maltraitance très au sérieux et condamne la conduite des individus ou des équipes qui ont agi de façon inappropriée et en dehors des attentes et des standards de la LHJMQ», a-t-on écrit dans cette communication.
L'organisation se dit «aussi au courant des allégations de M. Latulippe» et indique qu'une «enquête indépendante est d’ailleurs toujours en cours».
On indique qu'un plan d'action sera déposé dans les prochaines semaines «pour renforcer les initiatives déjà mises en place par la Ligue».
La ministre responsable des Sports, Isabelle Charest, a pris connaissance de la judiciarisation du dossier. «Dans notre discours, on encourageait les victimes à dénoncer et à faire les procédures nécessaires. On va suivre les développements», a brièvement commenté la ministre à l’Assemblée nationale.
À l’hiver 2023, le gouvernement Legault avait ordonné la tenue d’audiences publiques. L’exercice s’était soldé notamment par la démission du commissaire Gilles Courteau.
Aujourd’hui, Carl Latulippe souhaite plus qu’une commission parlementaire, selon ses avocats.
«Il avait le sentiment que c’était le moment de donner de l’espoir et du courage aux autres membres du groupe, pour montrer qu’il y a une voie pour rechercher la justice et tenir les personnes responsables», a indiqué Me David Stolow.
La firme a déjà reçu des appels et des courriels depuis la médiatisation de la demande d'autorisation en matinée. Les potentiels victimes peuvent communiquer avec la firme de manière gratuite et anonyme
Les faits allégués par Carl Latulippe ont été niés par d’anciens joueurs, dont l’ancien gardien de but Marc Denis, qui a commencé son parcours junior au même moment que M. Latulippe. Actuellement analyste hockey, M. Denis dit n'avoir jamais été victime ou encore témoin de violence de ce type.
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Une demande d'autorisation d'action collective visant sensiblement les mêmes objectifs avait été rejetée en février dernier par un juge ontarien. Dans ce cas, elle était portée par trois plaignants au nom de quelque 15 000 joueurs provenant des trois ligues de hockey junior majeur canadien, soit la LHJMQ et ses semblables en Ontario et dans l'Ouest canadien.
La décision du juge Paul Perrell avait semé la consternation au pays, avec ses révélations de cas révoltants de torture et d'agressions criminelles graves. Le magistrat avait cependant suggéré que les joueurs affectés lancent des procédures individuelles. La demande présentée au Québec prévoit d'ailleurs exclure les joueurs qui choisiraient cette voie.
Le clan de Latulippe estime que la demande de l'ex-joueur de la LHJMQ est différente.
«Les deux actions parlent d'abus, mais je vous dis que juridiquement, il y a des différences fondamentales, a commenté Me David Stolow auprès de Noovo Info. L’action collective proposée en Ontario était beaucoup plus large que celle déposée aujourd'hui. En Ontario, on impliquait les trois ligues canadiennes de hockey, soit environ 70 équipes.»
«Le standard et le test pour l’approbation d’un recours collectif sont différents en Ontario qu’au Québec. […] Les raisons évoquées par le juge ontarien pour ne pas certifier l’action là-bas... Selon nous, ces motifs n’existent pas chez nous», a-t-il ajouté.
La demande affirme qu'«il existe au sein de la LCH et la LHJMQ (et les autres ligues juniors majeures d'hockey) un problème systémique de comportements abusifs envers les joueurs mineurs, exacerbé par une culture de silence qui est généralisée et soutenue par les défenderesses». Selon la requête, «ces comportements abusifs existent depuis des années parmi les équipes actuelles et passées de la LHJMQ et sont toujours présents à ce jour».
«Je pense que personne n'est en position ou se sente confiant ou confortable de dire aujourd'hui que tout ça a changé et que ça ne pose plus de problème, que tout à coup il y a eu un revirement de 180 degrés et que tout a changé», affirme d'ailleurs Me Stolow en entrevue.
À Québec, la ministre responsable du Sport, Isabelle Charest, s'est montrée avare de commentaires, invoquant la judiciarisation du dossier. Elle a tout de même rappelé que «j'ai toujours dit aux victimes de porter plainte quand elles sont dans une situation comme celle-là. C'est ce qui est en train de se passer par le biais du système de justice. Mon espoir pour eux, c'est de retrouver la paix.»
Du côté d'Ottawa, la ministre des Sports, Pascale St-Onge, s'est dite d'avis «qu'il doit y avoir un changement de culture dans le monde du hockey et dans le monde du sport en général». Elle estime que «le fait que les gens aujourd'hui en parlent, c'est une excellente chose parce qu'on brise cette culture du silence et qu'aujourd'hui ces personnes se sentent écoutées, entendues, crues». Selon elle, de tels recours en justice sont «une démonstration comme quoi la société évolue».
Avec de l'information de Simon Bourassa pour Noovo Info et de La Presse canadienne.